Cour d’appel administrative de Lyon, le 6 mars 2025, n°24LY01167

En l’espèce, un ressortissant étranger, entré sur le territoire français et y ayant séjourné durant sept années, initialement sous un statut d’étudiant, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour. Sa demande a été rejetée par un arrêté préfectoral en date du 14 novembre 2023, lequel était assorti d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d’une interdiction de retour sur le territoire d’une durée d’un an. L’intéressé a formé un recours en annulation contre cette décision devant le tribunal administratif de Dijon, qui, par un jugement du 21 mars 2024, a rejeté sa demande. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, faisant valoir plusieurs moyens de légalité externe et interne, tenant notamment à une prétendue méconnaissance de son droit au respect de la vie privée et familiale, et à une erreur d’appréciation quant à la nécessité de l’interdiction de retour. Il soutenait en particulier l’existence de liens stables en France, attestés par sa vie de couple avec une ressortissante étrangère en situation régulière et la naissance prochaine d’un enfant. La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale d’un étranger présent depuis plusieurs années sur le territoire, mais dont le séjour n’avait pas été continûment régulier et qui avait présenté un document frauduleux. D’autre part, la cour devait apprécier si le prononcé d’une interdiction de retour sur le territoire était justifié au regard des critères légaux, notamment la menace à l’ordre public, face à un acte de fraude isolé mais dans un contexte d’intégration personnelle et familiale. Par un arrêt du 6 mars 2025, la cour administrative d’appel a partiellement fait droit à la requête. Elle a confirmé la légalité du refus de séjour et de l’obligation de quitter le territoire, jugeant que ces mesures ne constituaient pas une atteinte excessive au droit à la vie privée et familiale de l’intéressé. En revanche, la cour a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français, considérant que les conditions légales pour prononcer une telle mesure n’étaient pas réunies.

La décision de la cour administrative d’appel illustre une dissociation nette entre l’appréciation de la légalité de la mesure d’éloignement principale et celle de la sanction accessoire qui l’accompagne. Ainsi, elle confirme la légitimité du refus de séjour fondé sur une application stricte des conditions d’admission (I), tout en exerçant un contrôle rigoureux de la proportionnalité de l’interdiction de retour sur le territoire, sanctionnant son caractère injustifié en l’espèce (II).

I. La confirmation de la légalité du refus de séjour et de l’obligation d’éloignement

La cour valide le raisonnement de l’administration concernant le rejet de la demande de titre de séjour en se fondant sur une appréciation classique des critères légaux (A), ce qui la conduit à écarter l’argument tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (B).

A. Une application rigoureuse des conditions d’obtention du titre de séjour

Le juge administratif rappelle en premier lieu le cadre normatif applicable à la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « salarié ». L’obtention de ce titre est expressément conditionnée par la possession d’une autorisation de travail. En l’absence de cette autorisation, le préfet est en situation de compétence liée pour refuser le titre sollicité sur ce fondement. La cour constate qu’en l’espèce, le requérant « n’a pas présenté l’autorisation de travail exigée ». Elle écarte les justifications de l’intéressé relatives aux dysfonctionnements administratifs, retenant le fait constant que ses demandes d’autorisation avaient fait l’objet de décisions de refus. De surcroît, le juge relève un élément aggravant, à savoir la production d’un « récépissé de demande de titre de séjour frauduleux », comportement qui affaiblit considérablement la crédibilité de la demande et témoigne d’une volonté de contourner les exigences légales. Cette approche pragmatique et stricte confirme que la charge de la preuve des diligences et du respect des procédures incombe entièrement au demandeur, l’administration n’ayant pas à pallier ses manquements, même en cas de difficultés alléguées. L’argumentation du requérant est ainsi jugée inopérante, la cour refusant de faire prévaloir les circonstances personnelles sur le non-respect d’une condition substantielle de fond.

B. Une conception restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale

En second lieu, la cour examine le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle procède à une balance des intérêts en présence : d’un côté, le droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, et de l’autre, le droit de l’État de contrôler l’immigration. Le juge reconnaît l’ancienneté du séjour de sept ans, mais en relativise la portée en soulignant que « l’essentiel de cette durée de séjour a été acquise en qualité d’étudiant, qui ne lui donne pas vocation à s’installer durablement sur le territoire ». Concernant les liens familiaux, bien que la compagne de l’intéressé séjourne régulièrement et qu’un enfant soit né, la cour retient la formule selon laquelle « rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale puisse se reconstituer dans le pays dont l’un ou l’autre a la nationalité ». Cette analyse, classique en contentieux des étrangers, montre que la seule existence de liens familiaux, même intenses, ne suffit pas à faire obstacle à une mesure d’éloignement lorsque le séjour a été précaire et que les conditions d’une admission au séjour pérenne ne sont pas remplies. La décision litigieuse n’est donc pas jugée comme ayant porté une « atteinte disproportionnée » aux droits du requérant, validant ainsi l’appréciation du préfet sur ce point.

II. L’annulation ciblée de l’interdiction de retour, sanction d’une erreur d’appréciation

Si la cour se montre rigoureuse quant à la mesure principale, elle exerce un contrôle plus poussé sur la sanction complémentaire de l’interdiction de retour (A), ce qui témoigne de sa volonté de réserver cette mesure aux situations présentant une réelle gravité (B).

A. Un contrôle concret des critères justifiant l’interdiction de retour

La cour fonde son annulation de l’interdiction de retour sur une analyse détaillée des critères posés par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La loi impose à l’autorité administrative de tenir compte de plusieurs éléments pour fixer la durée d’une telle interdiction : la durée de présence de l’étranger, la nature de ses liens en France, l’existence de précédentes mesures d’éloignement et la menace pour l’ordre public. Le juge va ici se livrer à un examen concret de la situation du requérant au regard de ces critères. La cour énonce alors un considérant de principe important : « La seule circonstance, pour répréhensible qu’elle soit, que M. C… ait produit au cours de sa demande un récépissé frauduleux de demande de titre de séjour ne suffit pas, à elle-seule, à le regarder comme présentant une menace à l’ordre public ». Par cette formule, elle distingue l’illégalité, même frauduleuse, commise dans le cadre d’une démarche administrative, de la notion de menace à l’ordre public, qui suppose un comportement d’une autre gravité. En contrepoint, la cour valorise les éléments favorables au requérant : son absence d’antécédents en matière d’éloignement, sa durée de présence de sept ans et l’intensité de ses liens personnels et familiaux.

B. La portée réaffirmée du principe de proportionnalité des sanctions administratives

En annulant l’interdiction de retour, la cour administrative d’appel rappelle que chaque décision prise par l’administration doit être individuellement justifiée et proportionnée. L’illégalité du séjour et la fraude commise, si elles justifient le refus de titre et l’obligation de quitter le territoire, ne sauraient automatiquement entraîner l’application d’une sanction supplémentaire. Cette dernière doit répondre à sa propre logique et ne peut être une simple conséquence automatique de la mesure principale. La décision a donc une portée pédagogique pour l’administration : elle l’incite à ne pas recourir à l’interdiction de retour comme une punition systématique, mais à la réserver aux cas où le comportement de l’étranger, notamment par la menace qu’il représente, le justifie véritablement. L’arrêt réaffirme ainsi la plénitude du contrôle du juge de l’excès de pouvoir sur l’appréciation des faits par l’administration, garantissant que même un étranger en situation irrégulière ne peut se voir infliger une sanction qui excéderait ce qui est strictement nécessaire et justifié par sa situation personnelle globale.

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Hassan KOHEN
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