Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’une décision préfectorale refusant la délivrance d’un titre de séjour à une ressortissante algérienne invoquant son état de santé.
En l’espèce, une citoyenne de nationalité algérienne, entrée en France en 2020 pour y rejoindre son époux, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en se fondant notamment sur la nécessité d’une prise en charge médicale. Le préfet de l’Isère a rejeté sa demande par une décision du 19 décembre 2022, assortie d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. L’intéressée a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté son recours par un jugement du 14 septembre 2023. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité de la procédure suivie, notamment quant à l’avis émis par le collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), ainsi que l’appréciation portée sur sa situation personnelle au regard du droit au séjour pour raisons de santé et du droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il était ainsi demandé à la cour de déterminer dans quelle mesure l’autorité préfectorale et le juge de l’excès de pouvoir peuvent se fonder sur l’avis du collège de médecins de l’OFII pour apprécier le droit au séjour d’un étranger malade. La question se posait également de savoir si le refus de séjour opposé à une personne ayant des attaches familiales en France, mais dont l’état de santé peut être traité dans son pays d’origine, constitue une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.
La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant le raisonnement des premiers juges. Elle a estimé que la procédure suivie était régulière et que l’avis médical, sur lequel le préfet s’est appuyé, n’était entaché d’aucune irrégularité. Elle a de surcroît considéré que le refus de titre de séjour ne portait pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, compte tenu de l’ensemble des éléments de sa situation personnelle.
La décision commentée illustre ainsi le rôle central de l’expertise médicale dans le contentieux du droit au séjour des étrangers malades (I), tout en réaffirmant une application classique du contrôle de proportionnalité en matière de vie privée et familiale (II).
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I. La place déterminante de l’avis médical dans l’appréciation du droit au séjour
La Cour administrative d’appel confirme la légalité du refus de séjour en validant d’une part la régularité formelle de la procédure d’avis médical (A), et en entérinant d’autre part l’appréciation substantielle de la situation sanitaire de l’intéressée (B).
A. La validation de la régularité de la procédure d’examen médical
La requérante soulevait plusieurs moyens de procédure visant à contester la validité de l’avis rendu par le collège de médecins de l’OFII. Elle critiquait notamment l’ancienneté de cet avis, le défaut d’examen individuel de sa situation, et le non-respect des règles de composition du collège. La Cour écarte l’ensemble de ces arguments en se fondant sur une analyse pragmatique des pièces du dossier.
Concernant l’ancienneté de l’avis, le juge relève que l’avis datant du 12 août 2022 n’était pas obsolète lorsque le préfet a statué le 19 décembre 2022. Il ajoute qu’il appartenait à l’intéressée de signaler une éventuelle dégradation de son état de santé qui aurait justifié une nouvelle saisine. La Cour se montre ainsi peu formaliste, considérant qu’un avis de quelques mois demeure pertinent en l’absence d’élément nouveau produit par l’administré. De même, les allégations sur l’irrégularité de la composition du collège sont balayées par la production d’une attestation du directeur de l’OFII. L’arrêt confirme ici que la charge de la preuve d’une irrégularité procédurale pèse sur le requérant, l’administration pouvant se contenter de fournir des éléments de justification suffisants. Le juge administratif exerce un contrôle de la légalité externe de l’avis, mais sans exiger de l’administration qu’elle produise des pièces couvertes par le secret médical, rappelant que le préfet lui-même n’a pas accès au dossier médical mais seulement à l’avis qui en découle.
B. La confirmation de l’appréciation substantielle de l’état de santé
Au-delà des aspects procéduraux, la discussion portait sur le fondement même du refus, à savoir la possibilité pour la requérante de bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. L’article 6 de l’accord franco-algérien conditionne en effet la délivrance du titre de séjour pour soins à l’absence d’un tel traitement. La Cour se range entièrement derrière les conclusions de l’avis médical, qui affirmait que l’intéressée « peut bénéficier effectivement en Algérie d’un traitement approprié à son état de santé ».
Face à cet avis, la requérante avançait des critiques générales sur le système de santé algérien et un risque éventuel d’aggravation de sa pathologie. Le juge considère que ces éléments ne sont pas suffisants pour remettre en cause les conclusions circonstanciées du collège de médecins. Il qualifie le risque d’aggravation de « faiblement établi et purement éventuel », et juge que les difficultés générales d’un système de santé ne sauraient suffire à démontrer l’indisponibilité d’un traitement spécifique. Cette approche révèle les limites du contrôle du juge sur une appréciation éminemment technique. Sauf erreur manifeste ou contradiction flagrante, le juge administratif n’entend pas substituer son appréciation à celle des experts médicaux désignés par la loi. La décision du préfet, qui s’est fondé sur cet avis sans se considérer comme lié, n’est donc entachée ni d’erreur de droit ni d’erreur manifeste d’appréciation.
Une fois la question de l’état de santé tranchée, la Cour examine les autres aspects de la situation personnelle de la requérante à travers le prisme du droit au respect de la vie privée et familiale.
II. La réaffirmation d’un contrôle de proportionnalité classique
L’arrêt procède à une balance des intérêts en cause, caractéristique du contrôle de proportionnalité. Il met en balance, d’une part, les liens de la requérante avec son pays d’origine (A) et, d’autre part, l’intensité de ses attaches avec la France (B), pour conclure à l’absence d’atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale.
A. La prégnance des liens avec le pays d’origine
Pour écarter la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour prend soin de détailler les éléments qui rattachent fortement la requérante à l’Algérie. Elle rappelle qu’elle y est née, y a vécu « jusqu’à l’âge de 59 ans », s’y est mariée et y a eu six enfants. Le juge souligne également que cinq de ses six enfants y résident toujours.
Cet inventaire factuel sert à démontrer que le centre de ses intérêts privés et familiaux demeure, pour une large part, dans son pays d’origine. La décision de renvoi ne l’expulse pas vers un pays qui lui serait étranger, mais vers celui où elle « a la nationalité et où elle a vécu la quasi-totalité de son existence ». En insistant sur la durée de vie passée en Algérie, la Cour minimise la portée de son installation récente en France et relativise l’impact de la mesure d’éloignement. Cette méthode d’analyse, qui consiste à peser les liens avec le pays d’origine, est une constante dans la jurisprudence relative au droit des étrangers et permet de justifier la légalité de nombreux refus de séjour.
B. La faiblesse relative des attaches tissées en France
En contrepoint des liens solides avec l’Algérie, la Cour constate que les attaches de l’intéressée en France sont d’une intensité moindre. Son séjour, au moment de la décision attaquée, est récent, s’élevant à « moins de trois ans ». Si son époux réside en France, le juge relève que le couple était « séparé depuis 11 ans lors de l’entrée en France de Mme B… », ce qui atténue la force de l’argument tiré de la vie conjugale. De même, la présence d’une de ses filles sur le territoire français est jugée insuffisante au regard du fait que ses cinq autres enfants sont en Algérie.
Le juge conclut son analyse en notant que la requérante « ne fait pas valoir d’éléments particuliers d’intégration en France ». L’absence de maîtrise de la langue, d’activité professionnelle ou de participation à la vie associative sont autant d’indices implicitement retenus pour caractériser une intégration limitée. Dans ces conditions, l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale est jugée proportionnée aux buts poursuivis par la décision, à savoir la maîtrise des flux migratoires. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits et qui ne témoigne d’aucune évolution jurisprudentielle, mais de la simple application de principes bien établis.