La Cour administrative d’appel de Lyon a rendu, le 7 juillet 2025, une décision importante concernant la responsabilité d’un établissement public de santé envers un praticien. La juridiction d’appel devait se prononcer sur l’indemnisation des préjudices résultant de harcèlement moral et de l’exclusion illégale d’un médecin de la permanence des soins.
Un praticien hospitalier, recruté en 2008 et ancien chef de service, a subi des dégradations constantes de ses conditions de travail après avoir quitté ses fonctions managériales. L’administration l’a écarté des gardes et astreintes, puis l’a suspendu totalement de ses fonctions, ce qui a provoqué une dégradation significative de son état professionnel.
Saisi en première instance, le tribunal administratif de Dijon a reconnu la responsabilité de l’hôpital et a condamné l’établissement au versement d’une indemnité de 25 000 euros. Le requérant a toutefois interjeté appel afin d’obtenir une réparation intégrale de ses préjudices matériels et une augmentation substantielle de son indemnisation morale.
Le litige soulève la question de la recevabilité de conclusions indemnitaires nouvelles en appel et de la détermination du lien de causalité entre l’illégalité et le gain manqué. La Cour doit également apprécier si le comportement de l’agent peut atténuer la responsabilité de l’administration dans un contexte de harcèlement moral établi par l’instruction.
Les juges rejettent les demandes de réparation matérielle fondées sur des préjudices incertains ou irrecevables car liés à des faits générateurs distincts de la réclamation préalable. L’indemnité globale est néanmoins portée à 27 000 euros pour sanctionner l’aggravation des troubles résultant d’une suspension de fonctions ultérieurement reconnue illégale par la juridiction.
L’analyse de cette solution impose d’étudier d’une part la rigueur des conditions de recevabilité et de responsabilité, et d’autre part les modalités d’évaluation des préjudices indemnisables.
I. L’admissibilité des conclusions indemnitaires et l’affirmation de la responsabilité
A. Le maintien de la liaison du contentieux autour du fait générateur
La Cour rappelle avec fermeté les règles relatives à la liaison du contentieux indemnitaire, laquelle dépend étroitement de la décision administrative rejetant la réclamation préalable. Elle précise que « la décision par laquelle l’administration rejette une réclamation […] lie le contentieux indemnitaire à l’égard du demandeur pour l’ensemble des dommages causés par ce fait générateur ».
Cette règle permet au requérant d’invoquer de nouveaux chefs de préjudice devant le juge, à condition qu’ils découlent du même événement initial que la demande administrative. Toutefois, le praticien ne peut pas soumettre au juge des dommages résultant d’un fait générateur nouveau survenu après sa réclamation initiale sans lier à nouveau le contentieux.
En l’espèce, les conclusions liées à la suspension de fonctions décidée en 2020 sont jugées irrecevables car elles reposent sur un acte distinct de la demande de 2019. Cette solution préserve la fonction de filtre de la réclamation préalable tout en autorisant une certaine souplesse pour les conséquences évolutives d’une même faute administrative.
B. L’inopposabilité du comportement de la victime en matière de harcèlement
L’établissement de santé tentait de limiter sa responsabilité en invoquant le comportement fautif du praticien comme cause exonératoire de son obligation de réparation des préjudices subis. Les juges rejettent cet argument en soulignant que le harcèlement moral, une fois établi, ne peut être atténué par les agissements de l’agent qui en est victime.
La Cour affirme que « la nature même des agissements en cause exclut […] qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences ». Cette position protège efficacement les agents publics contre les dérives managériales en refusant de diluer la responsabilité de l’administration dans des fautes partagées hypothétiques.
La responsabilité de l’hôpital est donc confirmée sans aucune exonération, validant ainsi l’analyse du tribunal administratif de Dijon sur l’existence d’une faute grave de service. Le contentieux se déplace dès lors vers la détermination exacte du montant de la réparation due au requérant au titre des différents dommages invoqués.
II. Une évaluation rigoureuse de la réparation des préjudices invoqués
A. Le rejet des préjudices matériels faute de preuve de leur certitude
Le praticien sollicitait la réparation de pertes de revenus liées à son éviction du tableau des gardes et à la diminution de son activité libérale au sein de l’hôpital. La Cour rejette ces demandes en application du principe de réparation intégrale qui exige que le préjudice soit direct, certain et présente un lien de causalité établi.
Concernant les gardes, le requérant « n’établit ni même n’allègue qu’il aurait opté pour l’indemnisation » de ces périodes plutôt que pour leur récupération en temps de repos. Faute de prouver une option pour la rémunération, la perte de chance de bénéficier de primes de sujétion n’est pas considérée comme une certitude par les juges.
De même, la baisse des revenus de l’activité libérale est jugée incertaine dans son principe et son montant en raison du changement de service opéré par le médecin. L’absence de démonstration que la patientèle aurait effectivement consulté le praticien dans son nouveau cadre d’exercice empêche toute condamnation de l’établissement au titre de ce manque à gagner.
B. La réévaluation de l’indemnité au titre des troubles dans les conditions d’existence
Le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence font l’objet d’une appréciation souveraine par la Cour administrative d’appel de Lyon au regard des pièces du dossier. Les juges valident d’abord l’indemnité de 25 000 euros allouée par les premiers juges pour l’atteinte à la réputation et aux conditions d’exercice du praticien hospitalier.
La Cour décide cependant d’augmenter cette somme en raison de l’aggravation du harcèlement provoquée par la décision de suspension illégale prise par le directeur de l’établissement public. Elle considère que cet acte « participe, notamment par l’atteinte supplémentaire qu’elle a portée aux conditions de travail […] aux agissements de harcèlement moral relevés par le tribunal ».
L’indemnité totale est ainsi portée à 27 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation annuelle pour garantir la réparation effective du dommage subi. Cette décision illustre la volonté du juge administratif de sanctionner la persistance de comportements fautifs malgré le caractère partiel de la recevabilité des conclusions indemnitaires.