La Cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt rendu le 7 juillet 2025, précise les conditions de suspension d’un praticien hospitalier par un directeur d’établissement. Un médecin pédiatre, ancien chef de service, faisait l’objet de tensions relationnelles persistantes avec ses confrères et les équipes soignantes de la maternité. Le directeur du centre hospitalier a décidé de le suspendre de ses fonctions en invoquant un danger pour la continuité du service et la sécurité des patients. Le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande d’annulation de cette mesure par un jugement du 13 juin 2023. L’appelant soutient que la décision repose sur des faits matériellement inexacts et constitue une sanction disciplinaire déguisée. Le juge doit déterminer si des difficultés comportementales justifient une suspension en l’absence de faute clinique démontrée. La cour annule la suspension au motif que le comportement reproché n’a pas mis en péril la sécurité des soins. Cette décision conduit à examiner le cadre du pouvoir exceptionnel du directeur (I) avant d’analyser le contrôle strict de la réalité du péril (II).
I. Le caractère exceptionnel du pouvoir de suspension du directeur d’établissement
A. Une compétence administrative fondée sur l’autorité fonctionnelle
Le Code de la santé publique dispose que le directeur exerce son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect de l’indépendance professionnelle du praticien. « Le directeur exerce son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s’imposent aux professions de santé ». Ce pouvoir général lui permet d’organiser le service et d’assurer le bon fonctionnement de l’institution hospitalière. Le juge administratif rappelle que le directeur peut prendre des mesures conservatoires pour garantir l’ordre au sein de son établissement. Une telle décision doit néanmoins rester compatible avec les garanties statutaires attachées à la fonction de médecin hospitalier. L’autorité de nomination reste normalement seule compétente pour décider de l’éviction définitive ou temporaire d’un agent public.
B. Une intervention supplétive conditionnée par l’urgence
La suspension d’un médecin relève par principe de la compétence du directeur général de l’agence régionale de santé en cas de danger grave. Le directeur de l’hôpital peut toutefois intervenir « dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients ». Cette compétence supplétive est strictement limitée aux situations exigeant une protection immédiate des usagers du service public. Le juge vérifie que l’administration a immédiatement référé de sa décision aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien. La mesure présente ainsi un caractère provisoire destiné à prévenir un risque imminent pour l’intégrité physique des personnes soignées. Cette prérogative directoriale s’exerce sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir afin d’éviter tout arbitraire.
II. L’exigence de preuves matérielles quant à l’atteinte à la sécurité des soins
A. L’insuffisance des griefs d’ordre purement relationnel
Le dossier fait apparaître une souffrance réelle des agents et des propos inadaptés tenus par le pédiatre à l’égard de jeunes mères. La cour relève « un comportement devenu ingérable et une perte de confiance de l’ensemble du personnel travaillant » avec le praticien mis en cause. Ces difficultés relationnelles, bien que documentées par de nombreux témoignages, ne caractérisent pas automatiquement un danger clinique pour les enfants. Le juge opère une distinction nécessaire entre l’atmosphère délétère du service et la qualité technique des actes médicaux accomplis. Les tensions entre collègues ne suffisent pas à établir un risque sérieux pour la continuité des soins délivrés aux patients. Le comportement professionnel de l’agent peut toutefois justifier l’engagement ultérieur d’une procédure disciplinaire devant les instances compétentes.
B. La censure de l’erreur d’appréciation sur la réalité du péril
L’annulation est prononcée car l’administration ne produit aucun rapport d’évènements indésirables mettant directement en cause la sécurité de la prise en charge. La cour souligne qu’« aucun des éléments produits (…) ne démontre une mise en péril de la continuité du service et de la sécurité des patients ». La simple crainte qu’un conflit entre praticiens génère des défauts de soins demeure insuffisante pour justifier une éviction immédiate. Les griefs portant sur des avis médicaux divergents ou des critiques de prescriptions ne constituent pas la preuve d’une mise en danger. Le juge refuse de valider une mesure de police administrative dont la nécessité n’est pas corroborée par des faits cliniques objectifs. La protection de la carrière du praticien prévaut dès lors que le péril allégué par le directeur reste hypothétique.