Cour d’appel administrative de Lyon, le 7 juillet 2025, n°23LY02914

En l’espèce, une cour administrative d’appel, par une décision rendue le 7 juillet 2025, se prononce sur la nature juridique d’un courrier préfectoral interprétant la réglementation applicable aux coupes de bois. Des associations de protection de l’environnement avaient signalé un déboisement qu’elles estimaient important sur le territoire d’une commune. En réponse, le préfet leur avait indiqué par un courrier du 29 avril 2021 que l’opération n’était pas soumise à une autorisation administrative. L’autorité préfectorale fondait son analyse sur le fait que les coupes s’étendaient sur plusieurs parcelles contiguës appartenant à des propriétaires distincts, et qu’aucune de ces propriétés n’atteignait le seuil de superficie de quatre hectares déclenchant l’obligation d’autorisation.

Saisies par les associations d’une demande d’annulation de ce courrier, les premiers juges du tribunal administratif de Grenoble avaient rejeté leur requête. Les associations ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision du préfet méconnaissait les dispositions du code forestier et que l’instruction ministérielle sur laquelle elle se fondait était illégale. Le ministre de l’agriculture, en défense, a principalement opposé l’irrecevabilité de la demande de première instance, arguant que le courrier litigieux ne constituait pas une décision susceptible de recours. Se posait donc à la cour la question de savoir si une simple lettre par laquelle une autorité administrative se borne à faire connaître son interprétation d’une réglementation à la lumière d’une situation de fait constitue un acte faisant grief, susceptible d’être contesté devant le juge de l’excès de pouvoir.

À cette interrogation, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que le courrier préfectoral, en se limitant à informer les associations sur la lecture de la norme applicable, « ne révèle aucune décision faisant grief, susceptible de recours ». Par conséquent, elle déclare la demande initiale irrecevable et rejette la requête des associations comme n’étant pas fondée à critiquer le jugement de première instance. La solution, qui applique une conception classique de l’acte administratif unilatéral, interroge sur les moyens dont disposent les justiciables pour contester l’interprétation que l’administration fait des règles dont elle a la charge.

La position adoptée par la cour s’articule autour d’une application rigoureuse de la condition de recevabilité tenant à l’existence d’une décision faisant grief, ce qui a pour effet de rendre inopérants les moyens de fond soulevés par les requérantes.

I. L’application rigoureuse des conditions de recevabilité du recours pour excès de pouvoir

La cour administrative d’appel confirme le caractère central de la notion de décision faisant grief pour l’ouverture du prétoire du juge de l’excès de pouvoir. Elle analyse la nature du courrier préfectoral pour en déduire son insusceptibilité à faire l’objet d’un recours contentieux (A), ce qui la conduit logiquement à écarter l’examen des arguments de fond développés par les associations (B).

A. La qualification de mesure d’information exclusive de tout caractère décisoire

Le recours pour excès de pouvoir n’est traditionnellement ouvert qu’à l’encontre des actes administratifs modifiant l’ordonnancement juridique ou faisant grief aux droits et intérêts des administrés. En l’espèce, la cour examine la portée du courrier du 29 avril 2021 pour déterminer s’il entre dans cette catégorie. Elle relève que celui-ci « se bornait à informer les associations d’une part de l’interprétation qu’il convenait de faire de la réglementation applicable aux coupes d’arbres et d’autre part, de l’appréciation et de son application en l’espèce ».

Cette analyse conduit le juge d’appel à considérer que l’acte attaqué n’a ni pour objet ni pour effet de produire des conséquences juridiques sur la situation des associations ou des propriétaires concernés. Le courrier n’autorise, n’interdit, ni ne prescrit aucune action. Il ne fait qu’exposer un point de vue de l’administration sur une situation de fait au regard des textes en vigueur, s’apparentant ainsi à une simple prise de position ou à une mesure d’information. Une telle mesure, dépourvue de caractère impératif, ne constitue pas une décision exécutoire et échappe par conséquent au contrôle du juge de l’excès de pouvoir. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exclut du contentieux de l’annulation les actes préparatoires, les avis, les vœux ou encore les simples renseignements.

B. La neutralisation des moyens de légalité par l’irrecevabilité manifeste

La conséquence directe de cette qualification est de rendre sans objet l’ensemble des critiques de légalité formulées par les associations requérantes. Celles-ci contestaient le bien-fondé de l’interprétation préfectorale au regard du code forestier et soulevaient, par voie d’exception, l’illégalité de l’instruction ministérielle du 23 janvier 2017 qui préconisait une appréciation de la superficie propriété par propriété. Cependant, la question de l’irrecevabilité de la requête constitue un moyen d’ordre public que le juge doit examiner en priorité.

Dès lors que la cour conclut à l’absence de décision faisant grief, elle n’a pas à se prononcer sur le fond du droit. Le débat sur la légalité des coupes de bois ou sur la validité de l’instruction ministérielle devient inopérant. La décision illustre parfaitement le mécanisme du filtre processuel : avant même d’examiner si l’administration a bien ou mal agi, le juge vérifie si l’acte qui lui est soumis peut faire l’objet d’une contestation. En rejetant la requête pour ce motif de pure procédure, la cour laisse entières les questions de fond, soulignant que le choix d’une voie de droit inappropriée ferme l’accès au contrôle juridictionnel sur la substance même du litige.

Cette orthodoxie procédurale, si elle est juridiquement fondée, n’est pas sans conséquence sur l’effectivité du contrôle de l’action administrative en matière environnementale et sur la capacité des citoyens à obtenir une réponse juridictionnelle.

II. La portée limitée du contrôle juridictionnel sur l’action administrative

En fermant la voie du recours pour excès de pouvoir contre une interprétation administrative jugée purement informative, la décision met en lumière la difficulté pour les tiers de contester la position de l’administration en amont de toute décision formelle. Elle confirme ainsi l’existence d’une marge d’appréciation importante pour l’autorité administrative, tant dans son interprétation des textes (A) que dans sa décision d’engager ou non des poursuites (B).

A. L’immunité contentieuse de l’interprétation administrative non formalisée

Le principal enseignement de cet arrêt réside dans la confirmation qu’une interprétation de la loi par l’administration, tant qu’elle ne se matérialise pas dans un acte décisoire, échappe au contrôle direct du juge. Les associations estimaient que l’appréciation morcelée des superficies contrevenait à l’esprit du code forestier visant à protéger les massifs dans leur globalité. Or, cette lecture des textes, portée par le courrier préfectoral, ne peut être directement remise en cause devant le juge administratif.

Cette situation crée un angle mort dans le contrôle de légalité. L’administration peut adopter et communiquer une doctrine qui oriente son action future, sans que cette doctrine puisse être immédiatement contestée par les justiciables qu’elle pourrait léser. Pour obtenir un contrôle juridictionnel, il leur faudrait attendre qu’une décision individuelle explicite ou implicite, prise sur le fondement de cette interprétation, voie le jour. Cette solution, bien que classique, interroge sur l’effectivité du droit au recours, notamment dans des domaines où l’action préventive est essentielle, comme la protection de l’environnement.

B. La confirmation du pouvoir discrétionnaire de l’administration dans l’engagement des poursuites

La décision révèle également, en filigrane, la question de l’opportunité des poursuites. Les associations, dans un second temps, avaient demandé au préfet de saisir le procureur de la République afin que les infractions qu’elles dénonçaient soient réprimées. La cour prend soin de noter que cette demande est distincte de celle ayant donné lieu au courrier attaqué et que le silence gardé par le préfet sur ce point n’a pas été contesté en première instance.

Ce faisant, elle rappelle implicitement que l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation quasi discrétionnaire pour décider de déclencher une action répressive. Un refus de saisir le procureur de la République est rarement considéré comme un acte faisant grief susceptible d’annulation, le juge administratif étant traditionnellement réticent à s’immiscer dans l’exercice de l’action publique. En l’espèce, les associations se heurtent donc à un double obstacle : d’une part, l’impossibilité de contester l’analyse juridique du préfet et, d’autre part, la difficulté de le contraindre à agir sur le terrain répressif. La décision illustre ainsi les limites du rôle des citoyens comme sentinelles de la légalité environnementale face à une administration qui conserve la maîtrise de l’interprétation des normes et de leur mise en œuvre.

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Hassan KOHEN
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