Un arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 7 juillet 2025 illustre l’étendue de l’obligation d’examen qui pèse sur l’administration lorsqu’elle statue sur la situation d’un ressortissant étranger, particulièrement suite à une injonction juridictionnelle.
En l’espèce, un ressortissant tunisien, présent sur le territoire national depuis de nombreuses années et marié à une citoyenne française, a vu sa situation administrative devenir particulièrement complexe au fil de multiples décisions de refus de séjour et d’éloignement. Suite à une décision de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 30 novembre 2022 annulant une précédente obligation de quitter le territoire et enjoignant au préfet de la Drôme de réexaminer sa situation, l’intéressé a déposé le 7 décembre 2022 une nouvelle demande de titre de séjour sur de nouveaux fondements juridiques. Cependant, le 22 décembre 2022, en exécution de l’arrêt, le préfet a pris une nouvelle décision de refus de séjour en se fondant uniquement sur la demande initiale de l’étranger, sans mentionner ni statuer sur la nouvelle demande. Saisi d’un recours contre ce refus et contre une mesure d’éloignement subséquente du 14 mars 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande par un jugement du 30 septembre 2024. Le ressortissant a alors interjeté appel de ce jugement.
La question de droit soumise aux juges d’appel était donc de savoir si l’autorité préfectorale, tenue par une injonction de réexamen, pouvait légalement statuer sans prendre en considération une nouvelle demande de titre de séjour, déposée sur des fondements juridiques distincts, antérieurement à sa nouvelle décision.
La cour administrative d’appel de Lyon répond par la négative, annulant le jugement de première instance ainsi que les arrêtés préfectoraux. Elle juge que l’autorité préfectorale, en ne tenant pas compte de la nouvelle demande, a méconnu son obligation d’examiner la situation personnelle du requérant. Elle énonce que « dès lors que le préfet de la Drôme a réexaminé la demande de titre de séjour initialement présentée, il ne pouvait, sans entacher sa décision d’un défaut d’examen, refuser de tenir compte de la nouvelle demande de titre de séjour présentée par l’intéressé ». L’illégalité de la décision de refus de séjour entraîne, par voie de conséquence, celle des mesures d’éloignement et d’interdiction de retour sur le territoire. Cette solution conduit à analyser la portée de l’obligation d’examen qui incombe à l’administration dans le cadre d’un réexamen (I), avant d’apprécier la sanction de son non-respect comme une garantie pour le justiciable (II).
***
I. La redéfinition du périmètre de l’obligation de réexamen
L’arrêt précise l’étendue des diligences attendues de l’administration lors du réexamen d’une situation individuelle. Cette obligation impose une actualisation complète des éléments de fait et de droit (A) et confère à la nouvelle demande du justiciable un caractère substantiel qui ne peut être ignoré (B).
A. Une appréciation nécessairement actualisée de la situation
La décision de la cour administrative d’appel de Lyon rappelle avec force que le réexamen ordonné par le juge administratif ne saurait consister en une simple réitération d’une décision antérieure sur la base d’un dossier inchangé. Il implique pour l’administration une obligation de se prononcer au regard de la situation de droit et de fait existante à la date à laquelle elle statue de nouveau. En l’occurrence, le préfet était tenu de ne pas se limiter à l’analyse de la demande initiale de 2021, mais devait intégrer tous les éléments nouveaux pertinents portés à sa connaissance avant qu’il ne rende sa décision de décembre 2022.
Cette exigence garantit l’effectivité de l’injonction du juge. Un réexamen purement formel, qui ignorerait les évolutions de la situation de l’administré, viderait de sa substance le contrôle juridictionnel et la protection qu’il entend offrir. L’administration doit donc procéder à une instruction nouvelle et complète, ce qui la contraint à une certaine diligence dans la collecte et l’analyse des informations disponibles. Le temps écoulé entre l’injonction et la nouvelle décision est un facteur pertinent, car il est susceptible de voir la situation personnelle ou juridique de l’intéressé se modifier, ce qui doit être pris en compte.
B. La nouvelle demande, un élément substantiel du dossier
La cour confère un poids décisif à la nouvelle demande de titre de séjour déposée par le requérant. En la qualifiant d’élément que le préfet « ne pouvait (…) refuser de tenir compte », elle en fait une pièce maîtresse du dossier à examiner. Cette nouvelle demande, fondée sur les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, modifiait le cadre juridique de l’appréciation que devait porter l’administration. Elle ne constituait pas une simple pièce complémentaire, mais bien le support d’une prétention nouvelle et distincte.
Ignorer cette demande revenait pour le préfet à se prononcer sur une situation tronquée et à ne pas répondre à l’ensemble des sollicitations dont il était régulièrement saisi. La décision commentée sanctionne cette omission en la qualifiant de « défaut d’examen ». Elle établit ainsi que l’obligation de réexamen s’étend non seulement aux faits nouveaux, mais également aux nouvelles prétentions juridiques formulées par l’administré, dès lors que celles-ci sont présentées avant que la nouvelle décision ne soit prise. La chronologie est ici déterminante : la réception de la nouvelle demande par les services préfectoraux le 9 décembre 2022, soit avant l’édiction de l’arrêté du 22 décembre, rendait sa prise en compte impérative.
***
II. La portée de la sanction du défaut d’examen
La censure prononcée par la cour pour défaut d’examen de la situation personnelle constitue une garantie fondamentale pour le justiciable (A) et rappelle la finalité du contrôle du juge administratif sur l’action de l’administration (B).
A. Une garantie procédurale au service des droits du justiciable
En annulant la décision préfectorale, la cour ne se prononce pas sur le fond du droit au séjour de l’intéressé. Elle sanctionne un vice de procédure, mais un vice qui touche au cœur même de la relation entre l’administration et le citoyen : le droit d’être entendu et d’obtenir un examen complet et loyal de sa situation. Le défaut d’examen est une illégalité qui prive l’administré d’une chance de voir sa demande aboutir sur les nouveaux fondements qu’il a invoqués. La sanction de l’annulation s’impose logiquement, car il est impossible de savoir quelle aurait été la décision du préfet s’il avait correctement instruit le dossier.
L’arrêt a également pour conséquence de neutraliser par ricochet l’ensemble des mesures prises sur le fondement de la décision illégale. L’obligation de quitter le territoire, l’interdiction de retour et la fixation du pays de destination tombent « par voie de conséquence ». Ce mécanisme illustre l’interdépendance des décisions administratives en matière de droit des étrangers et assure une protection complète au requérant. La solution est protectrice, car elle contraint l’administration à reprendre la procédure à la base, cette fois en respectant l’intégralité de ses obligations.
B. Une réaffirmation du contrôle de l’office du juge
Cette décision, bien qu’elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence, réaffirme avec clarté la portée du contrôle juridictionnel sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Le juge ne se substitue pas au préfet pour décider s’il convient ou non d’accorder un titre de séjour. En revanche, il vérifie scrupuleusement que l’autorité administrative a bien exercé la plénitude de sa compétence, ce qui suppose une instruction diligente, impartiale et complète. En censurant le défaut d’examen, le juge administratif joue son rôle de gardien de la légalité et des procédures équitables.
La portée de cet arrêt est avant tout pratique. Il sert de rappel aux autorités préfectorales que l’exécution d’une injonction de réexamen n’est pas une simple formalité. Elle exige un engagement actif à réévaluer une situation dans toutes ses composantes actuelles. L’injonction de réexamen, assortie d’une autorisation provisoire de séjour, démontre la volonté du juge de donner un effet utile à sa décision et d’éviter que le justiciable ne se retrouve dans une situation de précarité juridique durant la nouvelle phase d’instruction. La décision renforce ainsi la confiance dans l’effectivité de la justice administrative.