Cour d’appel administrative de Lyon, le 7 mai 2025, n°24LY02360

Par un arrêt en date du 7 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’appréciation du caractère réel et sérieux des études poursuivies par un étranger sollicitant le renouvellement de son titre de séjour. En l’espèce, un ressortissant chinois est entré en France en 2017 sous couvert d’un visa étudiant et a vu son titre de séjour renouvelé à plusieurs reprises. Après avoir rencontré des difficultés initiales, notamment dans l’apprentissage de la langue française et au cours de ses premières années universitaires, son parcours a été marqué par un redoublement mais également par une progression attestée par la réussite à certains examens. Le préfet du Puy-de-Dôme a toutefois refusé, par un arrêté du 6 avril 2023, de renouveler son titre de séjour au motif que ses études ne présentaient pas un caractère réel et sérieux, et a assorti cette décision d’une obligation de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour. Saisi par l’étudiant, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 18 juillet 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de titre de séjour était entaché d’une erreur d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 422-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il était donc demandé à la cour de déterminer si une appréciation purement linéaire du parcours universitaire d’un étudiant, sans tenir compte des difficultés d’intégration et d’une progression récente, suffit à caractériser une absence de sérieux dans les études. La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral, considérant que le préfet a commis une erreur d’appréciation en ne prenant pas en compte l’ensemble des éléments du parcours de l’étudiant, qui témoignaient d’une volonté de mener à bien son projet d’études. Cette décision illustre la nécessité d’une évaluation globale et contextuelle du parcours d’un étudiant étranger (I), renforçant par là même l’étendue du contrôle du juge sur l’appréciation portée par l’administration (II).

I. L’appréciation globale du caractère réel et sérieux des études

La cour fonde sa décision sur une analyse détaillée et complète du cursus de l’étudiant, s’opposant ainsi à une lecture parcellaire des résultats académiques. Elle prend en considération tant les obstacles initiaux rencontrés par l’étudiant (A) que la dynamique de progression qui caractérise son parcours plus récent (B).

A. La prise en compte des difficultés initiales du parcours

Le juge administratif rappelle que l’évaluation du sérieux des études ne saurait se limiter à un simple constat des échecs universitaires. En l’espèce, la cour relève que l’étudiant a été confronté à des difficultés linguistiques lors de son arrivée en France, ce qui permet de relativiser ses premiers résultats. Elle énonce que « ses difficultés originelles peuvent s’expliquer par l’apprentissage de la langue française qu’il ne maîtrisait pas lors de son arrivée en France ». Cette approche contextualisée démontre que l’administration, et le juge à sa suite, doivent tenir compte des circonstances particulières qui peuvent influencer le parcours d’un étudiant. En ne s’arrêtant pas à l’échec initial au diplôme d’études françaises, la cour adopte une vision pragmatique qui reconnaît les défis inhérents à un projet d’études à l’étranger. Elle signifie par là que la réalité des études ne se mesure pas uniquement à l’aune d’une réussite immédiate et sans faille, mais doit être appréciée au regard d’un effort constant et d’une persévérance tangible.

B. La valorisation d’une progression académique continue

Au-delà de la justification des difficultés, la cour accorde une importance déterminante à la trajectoire positive de l’étudiant. Elle observe que, malgré un redoublement, l’intéressé a validé sa première année de licence, puis a échoué de justesse en deuxième année avant d’être admis au premier semestre de son année de redoublement avant même la date de l’arrêté litigieux. Le juge va plus loin en relevant des éléments postérieurs à la décision attaquée, à savoir la réussite finale de l’étudiant à sa licence, considérant que cela « démontre rétrospectivement la réalité et le sérieux des études poursuivies ». L’utilisation de ces faits postérieurs est significative : elle permet d’éclairer l’intention et la capacité de l’étudiant au moment de la décision préfectorale. En jugeant que le préfet n’a pas correctement évalué cette dynamique de progrès, la cour indique que le caractère réel et sérieux des études s’apprécie non comme un état figé à un instant donné, mais comme un processus continu dans lequel la progression prime sur les échecs ponctuels.

Cette méthode d’appréciation globale et bienveillante du parcours de l’étudiant réaffirme l’intensité du contrôle exercé par le juge sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration en la matière.

II. L’affirmation d’un contrôle de l’erreur d’appréciation approfondi

En annulant la décision préfectorale, la cour exerce un contrôle entier sur l’appréciation des faits par l’administration, sanctionnant une évaluation jugée trop sévère (A) et consacrant une approche protectrice des droits de l’étudiant (B).

A. La sanction d’une analyse administrative parcellaire

L’article L. 422-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile confère au préfet le pouvoir d’apprécier si un étudiant étranger poursuit des études présentant un caractère réel et sérieux. Toutefois, ce pouvoir s’exerce sous le contrôle du juge administratif, qui vérifie que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce, la cour ne se limite pas à un contrôle restreint ; elle procède à un examen concret et approfondi de l’ensemble des pièces du dossier pour substituer son appréciation à celle du préfet. En jugeant que le préfet « a commis une erreur d’appréciation en estimant que ses études ne présentaient pas un caractère réel et sérieux », elle censure une décision qui s’est focalisée sur les points négatifs du dossier sans les mettre en perspective avec les éléments de progrès. Cette censure rappelle à l’administration son obligation de procéder à un examen complet et impartial de chaque situation individuelle, et de ne pas se fonder sur des critères purement quantitatifs ou sur une lecture rigide des textes.

B. L’utilisation d’éléments postérieurs au service de la situation de l’administré

La portée de cet arrêt réside également dans la manière dont le juge utilise les faits postérieurs à la décision pour en apprécier la légalité. En principe, le juge de l’excès de pouvoir se place à la date de la décision attaquée pour évaluer sa légalité. Cependant, la jurisprudence admet de longue date que des éléments postérieurs peuvent être pris en compte s’ils sont de nature à éclairer la situation de fait et de droit qui prévalait à cette date. Ici, la réussite ultérieure de l’étudiant n’est pas utilisée comme un fait nouveau qui purgerait l’illégalité de la décision, mais comme la confirmation que le projet d’études était, dès l’origine, bien réel et sérieux. Cette méthode d’analyse rétrospective se révèle particulièrement protectrice pour l’étudiant, car elle permet de prouver a posteriori le bien-fondé de sa démarche. La décision commentée confirme ainsi une tendance jurisprudentielle qui favorise une appréciation in concreto de la situation des étudiants étrangers, renforçant la sécurité juridique de ceux dont le parcours, bien que non linéaire, témoigne d’un engagement authentique dans leur projet universitaire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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