Cour d’appel administrative de Lyon, le 8 avril 2025, n°24LY00895

Par un arrêt en date du 8 avril 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’octroi d’une prime à un agent non titulaire d’une collectivité territoriale. En l’espèce, une assistante familiale, employée par un département, a demandé le versement d’une prime annuelle au titre des années 2018 à 2021, se heurtant à un refus implicite de son employeur. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la collectivité au paiement des sommes réclamées. L’agent a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que la prime sollicitée était due en vertu d’une délibération locale et que son refus de versement portait atteinte au principe d’égalité de traitement entre les agents départementaux.

Le problème de droit soumis à la cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si une prime, dont l’existence avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 n’était pas établie, pouvait être qualifiée d’avantage collectivement acquis au sens de l’article 111 de cette même loi. D’autre part, il convenait de savoir si le principe d’égalité de traitement pouvait être invoqué pour justifier l’attribution d’une prime dont les conditions légales de versement n’étaient pas remplies. La cour administrative d’appel confirme le jugement de première instance et rejette la requête. Elle juge que la preuve de l’antériorité de la prime à la loi de 1984 n’est pas rapportée, et que le principe d’égalité ne peut servir de fondement à « l’octroi d’un avantage indu ». Cette décision, par l’application rigoureuse qu’elle fait du critère d’antériorité des avantages collectivement acquis (I), confirme la portée limitée des principes généraux du droit face aux règles statutaires en matière indemnitaire (II).

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I. L’application rigoureuse du critère d’antériorité des avantages collectivement acquis

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une interprétation stricte des textes régissant le maintien des compléments de rémunération dans la fonction publique territoriale (A), ce qui la conduit à opérer un contrôle rigoureux des preuves apportées par la requérante pour justifier de son droit (B).

A. Le rappel des conditions de maintien des compléments de rémunération

L’arrêt prend soin de rappeler le cadre juridique applicable, issu de la loi du 26 janvier 1984. Le principe, désormais codifié à l’article L. 714-4 du code général de la fonction publique, est celui de la parité, selon lequel les régimes indemnitaires des collectivités territoriales ne doivent pas dépasser ceux des services de l’État. La loi a toutefois prévu une dérogation majeure, reprise à l’article L. 714-11 du même code, pour les « avantages collectivement acquis ayant le caractère de complément de rémunération » mis en place avant le 28 janvier 1984. Ces derniers peuvent être maintenus au profit des agents, même s’ils dérogent au principe de parité.

La cour en déduit logiquement que « seules les primes et indemnités existant antérieurement à la promulgation de la loi du 26 janvier 1984 sont considérées comme des droits acquis ». Cette formulation claire réaffirme une jurisprudence constante qui fait de la date d’institution de l’avantage un critère dirimant. Toute prime ou indemnité créée après cette date butoir doit, pour être légale, respecter les cadres indemnitaires définis par l’État. En rappelant ce principe, la décision souligne la volonté du législateur de 1984 de mettre fin à la disparité et à la prolifération des régimes indemnitaires locaux qui prévalaient auparavant, tout en préservant les situations acquises.

B. Le rejet probatoire de la qualification d’avantage acquis

Appliquant ce cadre aux faits de l’espèce, la cour examine les éléments fournis par la requérante. Celle-ci se prévalait notamment d’une délibération de 1985 qui fixait le montant d’une « gratification » en visant l’article 111 de la loi de 1984. Cependant, les juges relèvent que cette délibération est par nature postérieure à la date limite. La simple mention dans ce texte de « rémunérations servies antérieurement » est jugée trop imprécise pour établir avec certitude l’existence et la nature de l’avantage avant 1984.

La cour se montre ainsi exigeante sur la charge de la preuve, qui pèse sur l’agent réclamant le bénéfice d’un droit. Le fait que les services du département n’aient pas retrouvé d’archives infirmant ou confirmant l’antériorité de la prime est jugé sans incidence. Il appartenait à la requérante de démontrer que « cet avantage collectif a été ouvert pour les agents du département, s’il était acquis à la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 précitée et s’il était d’ailleurs pris en compte dans le budget de la collectivité ». Faute d’une telle preuve, la prime ne peut être considérée comme un avantage collectivement acquis. Cette approche pragmatique et rigoureuse empêche que des avantages nouveaux soient créés sous le couvert d’une régularisation d’avantages anciens non documentés.

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II. La confirmation de la portée limitée des principes généraux du droit en matière indemnitaire

Après avoir écarté le fondement textuel de la demande, la cour rejette le moyen subsidiaire tiré de la rupture d’égalité (A), livrant ainsi une solution d’espèce qui réaffirme la primauté du droit statutaire sur les autres sources du droit (B).

A. L’inefficacité du principe d’égalité pour l’octroi d’un avantage indu

La requérante soutenait que le refus de lui verser la prime créait une rupture d’égalité, dès lors que d’autres agents du département en bénéficiaient. La cour écarte ce moyen par une formule lapidaire mais classique en droit public. Elle juge en effet que « le moyen tiré de la rupture du principe d’égalité de traitement entre les assistants familiaux et les autres agents du département qui bénéficieraient de cette prime, à supposer cette circonstance exacte, doit être écarté dès lors qu’un tel principe ne peut justifier l’octroi d’un avantage indu ».

Cette position est constante en jurisprudence. Le principe d’égalité de traitement, s’il impose de traiter de manière identique des personnes placées dans une situation identique, ne peut être invoqué pour réclamer l’extension d’une mesure illégale. Autrement dit, un agent ne peut se prévaloir du fait qu’un autre agent perçoit illégalement une prime pour en réclamer à son tour le bénéfice. En l’espèce, la prime n’étant pas un avantage collectivement acquis au sens de la loi, son versement à quiconque serait illégal. Le principe d’égalité ne saurait donc servir de fondement à la perpétuation ou à l’extension d’une illégalité.

B. Une solution d’espèce réaffirmant la primauté du droit statutaire

En définitive, cet arrêt, bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce dont la portée doctrinale est limitée, offre une illustration pédagogique de la hiérarchie des normes en droit de la fonction publique. Il confirme que le droit à rémunération d’un agent public est entièrement défini par les lois et règlements qui lui sont applicables. Ni une délibération locale ne respectant pas le cadre légal, ni l’invocation d’un principe général du droit ne peuvent fonder un droit à un complément de rémunération.

La solution rappelle aux collectivités territoriales les limites de leur libre administration en matière indemnitaire. Hors du cadre strict des avantages acquis avant 1984, toute création de prime doit s’inscrire dans les dispositifs autorisés par la loi, comme le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP). L’arrêt souligne ainsi la prévalence du droit statutaire national sur les pratiques locales et renforce la sécurité juridique en conditionnant fermement le maintien d’avantages anciens à une preuve certaine de leur existence.

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Hassan KOHEN
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