Une cour administrative d’appel, par un arrêt du 8 avril 2025, s’est prononcée sur les conditions de maintien d’un avantage indemnitaire au sein de la fonction publique territoriale. En l’espèce, une agente non titulaire employée par un département en qualité d’assistante familiale depuis 2011 avait sollicité le versement d’une prime annuelle pour la période de 2018 à 2021. Suite au silence gardé par l’administration, valant décision implicite de rejet, l’intéressée a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a écarté sa demande par un jugement du 6 février 2024. L’agente a alors interjeté appel de ce jugement, en soutenant notamment que le refus de verser cette prime, instituée par une délibération de 1985, méconnaissait le principe d’égalité de traitement avec les autres agents de la collectivité.
Le juge d’appel était ainsi conduit à examiner si une prime, instituée par une délibération postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale, pouvait constituer un avantage collectivement acquis au sens de l’article 111 de cette même loi. De manière subsidiaire, il lui appartenait de déterminer si le principe d’égalité pouvait fonder un droit au versement d’une prime dont le fondement légal n’était pas établi. La cour a répondu par la négative à ces deux questions, considérant que la prime litigieuse ne pouvait être regardée comme un avantage collectivement acquis faute de preuve de son antériorité à la date butoir du 28 janvier 1984. Elle a également jugé que le principe d’égalité ne pouvait être invoqué pour réclamer le bénéfice d’un avantage indu.
Cette décision, par une application rigoureuse des dispositions relatives au maintien des avantages acquis, réaffirme la portée limitée du régime dérogatoire prévu par le législateur (I), tout en confirmant l’impossibilité de se prévaloir du principe d’égalité pour obtenir l’octroi d’un droit non fondé (II).
I. L’application rigoureuse du critère d’antériorité des avantages collectivement acquis
La cour administrative d’appel rappelle que le maintien d’un avantage indemnitaire en dehors du cadre légal de la parité avec la fonction publique d’État est subordonné à une condition temporelle stricte (A), dont la preuve de l’accomplissement repose entièrement sur le demandeur (B).
A. Le rappel de la condition temporelle posée par la loi de 1984
L’article 111 de la loi du 26 janvier 1984 a pour objet de préserver les compléments de rémunération mis en place par les collectivités territoriales avant l’unification des statuts de la fonction publique. Ce dispositif dérogatoire est cependant strictement encadré, notamment par une condition d’antériorité à la date de promulgation de la loi, soit le 28 janvier 1984. Dans la présente affaire, la requérante se prévalait d’une délibération du 28 janvier 1985, soit une année après l’échéance fixée. La cour relève logiquement que cet acte ne peut, par lui-même, fonder le droit au maintien de la prime.
Le juge administratif réaffirme ainsi le caractère impératif de ce critère temporel, qui ne souffre aucune exception. Peu importe que la délibération de 1985 se réfère à des « rémunérations servies antérieurement par l’intermédiaire d’une association ». Cette seule mention ne suffit pas à établir que la prime en cause existait et était versée aux agents de la collectivité avant la date butoir légale. La solution retenue est une application orthodoxe de la jurisprudence constante en la matière, qui vise à empêcher que des avantages nouveaux ne soient créés sous le couvert d’une régularisation d’anciennes pratiques non formalisées.
B. La charge de la preuve de l’existence de l’avantage antérieur
La décision souligne que la preuve du caractère collectivement acquis d’un avantage indemnitaire incombe à l’agent qui en réclame le bénéfice. La cour constate en l’espèce que cette preuve n’est pas rapportée, pointant « l’impossibilité de déterminer la date à laquelle cet avantage collectif a été ouvert pour les agents du département, s’il était acquis à la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 précitée et s’il était d’ailleurs pris en compte dans le budget de la collectivité ». Le raisonnement du juge est exigeant mais juridiquement fondé.
En effet, pour qu’un avantage soit considéré comme collectivement acquis, il ne suffit pas d’invoquer une pratique, même ancienne. Il est nécessaire de démontrer son existence juridique et sa prise en compte budgétaire par la collectivité avant le 28 janvier 1984. La simple allégation de la requérante, selon laquelle le département n’aurait pas contesté le fondement de la prime, est jugée inopérante. Le juge administratif, gardien de la légalité, ne peut se contenter d’une absence de contestation pour reconnaître un droit. En l’absence de tout document probant, tel qu’une délibération ou une inscription budgétaire antérieure à 1984, la prime ne peut être qualifiée d’avantage collectivement acquis.
II. Le rejet des fondements alternatifs au versement de la prime
Après avoir écarté l’application de l’article 111 de la loi de 1984, la cour examine les autres moyens soulevés par la requérante et rejette l’argument tiré des délibérations postérieures (A) ainsi que celui fondé sur la rupture d’égalité (B), confirmant ainsi l’absence de tout fondement juridique à la demande.
A. L’inefficacité des délibérations postérieures à 1984
La requérante invoquait également une délibération de 2004 qui, selon elle, étendait le bénéfice de la prime à « tous les agents du conseil général ». La cour écarte cet argument en soulignant qu’il est sans incidence sur l’appréciation du caractère acquis de l’avantage. Une délibération postérieure à 1984 ne peut légalement maintenir ou revaloriser un avantage qui n’a pas été lui-même valablement conservé en application de l’article 111. Autrement dit, un acte postérieur ne peut régulariser une situation illégale ab initio.
Cette position est conforme à la logique juridique selon laquelle les régimes dérogatoires doivent être interprétés strictement. Permettre à une collectivité de valider, des années plus tard, un avantage qui aurait dû être formalisé avant 1984 reviendrait à vider de sa substance le principe de parité avec la fonction publique d’État, posé par l’article 88 de la même loi. La cour rappelle ainsi que le relèvement du montant de la prime par des délibérations postérieures ne saurait lui conférer un caractère d’avantage collectivement acquis que la loi ne lui reconnaît pas.
B. Le refus de consacrer une égalité dans l’illégalité
Enfin, la cour se prononce sur le moyen tiré de la rupture du principe d’égalité de traitement, dès lors que les assistants familiaux seraient les seuls agents du département à ne pas percevoir la prime. La réponse du juge est à la fois concise et classique : « un tel principe ne peut justifier l’octroi d’un avantage indu ». Cette formule consacre une jurisprudence bien établie selon laquelle nul ne peut se prévaloir d’une rupture d’égalité pour obtenir un avantage auquel il n’a pas droit.
En d’autres termes, le principe d’égalité ne s’applique qu’entre personnes placées dans une situation juridique identique. Or, si le versement de la prime aux autres agents est lui-même dépourvu de base légale, la requérante ne peut en réclamer le bénéfice pour elle-même. Revendiquer l’égalité de traitement dans ce contexte reviendrait à demander une extension de l’illégalité, ce que le juge ne peut admettre. Par cette solution, la cour réaffirme que le principe d’égalité a pour objet de garantir l’application uniforme de la règle de droit, et non de créer des droits en dehors de tout texte.