Cour d’appel administrative de Lyon, le 8 janvier 2025, n°24LY02068

Par un arrêt en date du 8 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger au regard de son droit au respect de la vie privée et familiale.

En l’espèce, un ressortissant marocain, né et résidant en France depuis sa naissance, a fait l’objet, alors qu’il était incarcéré, d’un arrêté préfectoral en date du 23 mai 2024 lui faisant obligation de quitter le territoire français, sans délai de départ volontaire, et assorti d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de cinq ans. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande d’annulation de ces décisions. Par un jugement du 26 juin 2024, le magistrat désigné a fait droit à sa demande, annulant l’arrêté au motif que la mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’individu, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La préfète a interjeté appel de ce jugement.

La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était de savoir si une obligation de quitter le territoire français, prise à l’encontre d’un étranger ayant vécu toute sa vie en France et y disposant d’attaches familiales, mais ayant fait l’objet de multiples et graves condamnations pénales, constituait une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale.

La cour administrative d’appel de Lyon a répondu par la négative. Elle a jugé que, nonobstant l’ancienneté de la présence de l’intéressé en France et la réalité de ses liens familiaux, la mesure d’éloignement était justifiée. Elle a estimé que « eu égard à la nature et à la gravité des faits de délinquance ainsi commis par M. A… et, compte tenu de la répétition de ces faits qui n’a été interrompue que par son incarcération, au caractère actuel de la menace à l’ordre public que constitue dès lors son comportement, la préfète n’a pas, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Par conséquent, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande de l’intéressé.

Cette décision illustre l’application rigoureuse du contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif, où la protection de l’ordre public peut primer sur les attaches personnelles et familiales d’un individu, même profondément ancrées sur le territoire national. Il convient ainsi d’analyser la méthode de mise en balance des intérêts opérée par la cour (I), avant d’examiner la portée de l’appréciation stricte de la menace à l’ordre public et de ses conséquences sur les droits familiaux (II).

I. Une mise en balance classique des intérêts en présence

La cour administrative d’appel procède à un contrôle de proportionnalité qui, s’il prend en compte les éléments de la vie privée et familiale de l’individu (A), fait prévaloir la notion d’ordre public en raison du parcours pénal de ce dernier (B).

A. La reconnaissance d’un droit au respect de la vie privée et familiale

La cour ne méconnaît pas l’intensité des liens que l’intéressé a tissés en France. Elle prend soin de relever les éléments factuels qui caractérisent une intégration ancienne et durable. L’arrêt énonce ainsi qu’il « a vécu la totalité de sa vie en France où il est né, qu’il y dispose de liens familiaux importants du fait de la présence de ses frères et sœurs de nationalité française ». De plus, le juge note l’existence d’une relation stable engagée en 2012 avec une ressortissante française et la naissance d’une enfant de cette union en 2016.

En consacrant un paragraphe entier à l’inventaire de ces attaches, la cour démontre qu’elle examine concrètement la situation personnelle de l’individu. Elle reconnaît que ces éléments relèvent de la protection offerte par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, cette reconnaissance ne constitue que le premier terme du raisonnement. Le second consiste à peser ces liens au regard des impératifs de l’ordre public, qui vont en l’espèce s’avérer déterminants.

B. La prévalence de l’ordre public fondée sur un lourd passé pénal

Face aux attaches privées et familiales, la cour oppose la gravité du casier judiciaire de l’intéressé. Elle justifie la légalité de l’obligation de quitter le territoire français par la nécessité de défendre l’ordre public. L’arrêt détaille avec précision la nature et le quantum des peines, soulignant que l’individu « a été condamné à des peines d’emprisonnement d’une durée cumulée de dix-huit ans et sept mois » pour des faits d’une particulière gravité, commis pour la plupart en état de récidive légale.

C’est cette accumulation de condamnations graves, incluant des faits de « violences aggravées », d’« extorsion avec arme » et une peine de « quinze ans de réclusion criminelle », qui constitue le pivot de l’argumentation du juge. La cour considère que ce parcours délinquant révèle une dangerosité persistante et justifie une mesure d’éloignement. En affirmant que la décision préfectorale n’a pas porté une atteinte « disproportionnée » à ses droits, elle valide une interprétation où la protection de la société l’emporte sur le droit de l’individu à maintenir sa vie familiale en France.

II. Une appréciation rigoureuse de la menace et de ses implications

L’analyse de la cour se distingue par sa qualification de l’actualité de la menace à l’ordre public (A) et par une interprétation restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant (B), révélant une approche d’une grande sévérité.

A. La caractérisation d’une menace actuelle malgré l’incarcération

L’un des aspects les plus notables de la décision réside dans l’affirmation du « caractère actuel de la menace à l’ordre public » que représente le comportement de l’individu. Cette qualification peut paraître paradoxale, l’intéressé étant incarcéré au moment de la décision d’éloignement. Toutefois, la cour déduit cette actualité de la continuité de son parcours délinquant, considérant que « la répétition de ces faits qui n’a été interrompue que par son incarcération » démontre une dangerosité latente, susceptible de se manifester à sa libération.

Cette interprétation est exigeante. Elle postule que l’absence de trouble récent à l’ordre public n’est due qu’à la contrainte de la détention et non à une évolution personnelle. Ainsi, même les « réductions de peines pour bonne conduite en détention » et les « efforts de réinsertion » mentionnés ne suffisent pas à écarter cette présomption de dangerosité. La menace n’est pas appréciée au jour de la décision, mais de manière prospective, anticipant le risque que l’individu représenterait une fois libre.

B. L’application restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant

Saisie par l’effet dévolutif de l’appel, la cour examine également le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3, paragraphe 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant. Sa réponse est lapidaire et témoigne d’une approche restrictive. Pour écarter ce moyen, le juge retient que l’intéressé « n’établit pas contribuer à l’entretien et à l’éducation de sa fille de nationalité française ».

Cette approche subordonne la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à la preuve d’une contribution matérielle effective. Elle semble ainsi minimiser la dimension affective de la relation parentale, pourtant reconnue par ailleurs lorsque l’arrêt mentionne les « liens qu’il a pu nouer avec elle durant son incarcération ». Une telle lecture peut être perçue comme particulièrement sévère pour un parent incarcéré, dont la capacité à contribuer matériellement est par nature limitée. La décision suggère que, dans la balance des intérêts, la protection de l’ordre public prime non seulement sur le droit à la vie familiale du parent, mais également sur l’intérêt de l’enfant à maintenir un lien avec ce dernier.

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Hassan KOHEN
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