Par un arrêt en date du 9 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les contours du respect de la procédure contradictoire préalable à une sanction administrative. En l’espèce, un organisme de formation s’est vu notifier par l’autorité de gestion de la plateforme « Mon compte formation » une décision de déréférencement temporaire pour une durée de neuf mois. Cette mesure faisait suite à des communications générales adressées à plusieurs organismes de formation, suivies d’une mise en demeure individuelle reprochant un manquement aux conditions d’éligibilité des formations proposées, sans autre précision sur la nature exacte des non-conformités alléguées.
Saisi par l’organisme de formation, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette sanction, jugeant que la procédure contradictoire n’avait pas été respectée. L’autorité de gestion a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant la régularité de la procédure menée. L’organisme intimé a, quant à lui, conclu au rejet de la requête, insistant sur le fait que l’absence de griefs précis et détaillés l’avait privé de la possibilité de présenter utilement ses observations en défense. La question posée à la cour était donc de savoir si la notification de manquements d’ordre général, sans énonciation précise et circonstanciée des faits reprochés, est de nature à satisfaire aux exigences du principe du contradictoire.
À cette question, la cour administrative d’appel a répondu par la négative, confirmant ainsi l’annulation de la sanction. Elle a jugé que la procédure était irrégulière au motif que l’organisme sanctionné avait été privé d’une garantie procédurale fondamentale.
Il conviendra d’analyser la manière dont le juge administratif caractérise la violation du principe du contradictoire en raison de l’imprécision des griefs notifiés (I), avant d’apprécier la portée de cette solution qui s’inscrit dans la protection des droits des administrés (II).
***
I. La caractérisation d’une violation du principe du contradictoire par l’imprécision des griefs notifiés
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une application rigoureuse des textes encadrant le pouvoir de sanction de l’administration, en rappelant d’abord les exigences procédurales applicables (A), pour ensuite constater que la démarche suivie en l’espèce ne permettait pas de les satisfaire (B).
A. Le rappel des exigences procédurales encadrant les sanctions administratives
L’arrêt prend soin de viser l’ensemble du corpus juridique qui gouverne la mise en œuvre d’une sanction administrative par une autorité publique. Il se réfère aux dispositions du code des relations entre le public et l’administration, notamment son article L. 121-1, qui impose une procédure contradictoire préalable pour les décisions individuelles défavorables prises en considération de la personne, ainsi qu’à l’article L. 122-2 qui précise que pour les mesures à caractère de sanction, la personne doit être informée des griefs formulés à son encontre.
Ensuite, le juge se tourne vers les dispositions spécifiques du code du travail, dont l’article R. 6333-6, qui régissent les relations entre la Caisse des dépôts et consignations et les organismes de formation. Ce texte prévoit explicitement que les mesures de sanction, telles que la suspension temporaire du référencement, doivent être « prises après application d’une procédure contradictoire ». La cour relève enfin que les conditions générales d’utilisation de la plateforme, qui constituent le cadre contractuel de la relation, détaillent cette procédure, insistant sur l’envoi d’une lettre d’observations et l’ouverture d’une « Période Contradictoire » permettant à l’organisme de formuler des observations écrites. L’ensemble de ce dispositif normatif a pour finalité de garantir que l’administré soit mis en mesure de comprendre ce qui lui est reproché pour pouvoir utilement se défendre.
B. L’insuffisance d’un rappel général des obligations légales pour fonder une sanction
C’est à l’aune de ce cadre que la cour examine la procédure effectivement suivie. Elle constate que le courrier notifiant l’ouverture de la procédure contradictoire, bien que se présentant comme tel, n’atteignait pas l’objectif fixé par les textes. La décision souligne que ce courrier « se bornait en réalité à rappeler les obligations légales de tout formateur ». Il ne contenait donc pas une énonciation factuelle et personnalisée des manquements imputés à l’organisme de formation. La cour estime qu’une telle démarche est fondamentalement viciée.
Le juge censure le raisonnement de l’autorité de gestion en précisant la méthodologie qui aurait dû être suivie. Soit l’administration disposait déjà d’éléments précis, et elle devait les notifier directement. Soit, comme en l’espèce, elle avait un doute, et elle devait alors « dans un premier temps, demander à la société (…) de justifier de l’éligibilité des formations offertes, puis, dans un second temps, une fois les manquements déterminés (…) mettre en œuvre la procédure contradictoire ». En omettant cette étape cruciale de détermination et de communication des griefs spécifiques, l’administration a placé l’organisme dans l’impossibilité de répondre de manière pertinente, alors même que ce dernier avait sollicité des éclaircissements. La cour en conclut que l’organisme « a, en l’espèce, été privée d’une garantie », ce qui justifie l’annulation de la sanction pour vice de procédure.
***
II. La portée d’une solution classique au service de la protection des administrés
En censurant la démarche de l’autorité de gestion, l’arrêt réaffirme une conception exigeante du débat contradictoire (A), tout en invitant implicitement les autorités administratives disposant d’un pouvoir de sanction à une plus grande rigueur dans leurs procédures de contrôle (B).
A. La confirmation d’une conception exigeante du débat contradictoire préalable
La solution retenue par la cour administrative d’appel s’inscrit dans une jurisprudence constante relative aux droits de la défense, qui constituent un principe général du droit. Pour qu’un débat contradictoire soit effectif, il ne suffit pas d’informer une personne qu’une procédure est engagée à son encontre ; il est impératif qu’elle connaisse avec un degré de précision suffisant les faits qui lui sont reprochés et la qualification juridique qui leur est donnée. Sans cette information claire et préalable, le droit de présenter des observations est vidé de sa substance.
L’arrêt illustre parfaitement que le formalisme de la procédure contradictoire n’est pas une simple clause de style. Il constitue une garantie essentielle contre l’arbitraire, en obligeant l’administration à matérialiser ses accusations et à fonder sa décision sur des éléments objectifs et discutés. En jugeant qu’un courrier stéréotypé et général ne peut tenir lieu de notification des griefs, la cour rappelle que le principe du contradictoire impose un dialogue loyal, ce qui suppose que chaque partie dispose du même niveau d’information sur l’objet du litige. Cette décision réaffirme donc la primauté de la garantie des droits de l’administré sur les considérations d’efficacité ou de célérité qui pourraient pousser une administration à agir sur la base de suspicions générales.
B. Une décision invitant à une clarification des procédures de contrôle
Si la solution est juridiquement classique, sa portée pratique est notable, en particulier pour les administrations gérant des plateformes numériques et exerçant des contrôles de masse. L’arrêt constitue une mise en garde contre la tentation de procéder par salves de mises en demeure indifférenciées, sans examen individualisé préalable. Il s’agit vraisemblablement d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée aux faits du litige, mais sa motivation est suffisamment didactique pour avoir une portée plus générale.
Elle incite les autorités de contrôle à structurer leurs actions en deux temps distincts. Le premier temps est celui de l’enquête ou de l’instruction, durant lequel l’administration peut demander des informations et des justificatifs. Le second temps, celui de la procédure de sanction, ne peut s’ouvrir que si le premier temps a révélé des manquements précis et identifiés. Cette distinction est fondamentale pour assurer l’équilibre entre les prérogatives de puissance publique et les droits des personnes contrôlées. L’arrêt invite ainsi l’autorité de gestion de la plateforme à affiner ses processus pour garantir que seule une suspicion étayée puisse déclencher une procédure formelle de sanction, assurant ainsi une meilleure sécurité juridique pour les milliers d’organismes qui en dépendent.