Par un arrêt en date du 9 mai 2025, une cour administrative d’appel a statué sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité guinéenne, présent en France depuis 2016, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de son activité de salarié et, subsidiairement, de sa vie privée et familiale. Le préfet compétent a rejeté sa demande par une décision du 3 mars 2023, assortissant ce refus d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de destination. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, par un jugement du 14 juin 2024, rejeté le recours tendant à l’annulation de ces décisions. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’administration aurait dû examiner sa situation au regard de son état de santé et de circonstances exceptionnelles, et que le tribunal de première instance avait commis plusieurs erreurs et omissions. Se posait alors à la cour la question de savoir si le préfet, saisi d’une demande de titre de séjour fondée sur des motifs spécifiques, est tenu d’examiner d’office la situation du demandeur au regard d’autres fondements prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que l’administration n’était saisie que des fondements expressément invoqués par le demandeur. Elle juge ainsi que le préfet « a donc pu valablement estimer qu’il n’était pas saisi d’une demande de carte de séjour temporaire sur le fondement des articles L. 425-9 et L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
La cour consacre ainsi une application rigoureuse du principe de la saisine de l’administration, qui délimite l’office du préfet (I), dont la portée apparaît restrictive en ce qu’elle fait obstacle à un examen global de la situation de l’étranger (II).
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I. L’application rigoureuse du principe de saisine de l’administration
La décision commentée s’attache à définir le périmètre de l’obligation d’examen du préfet en le liant étroitement à l’objet de la demande formulée par l’administré. Elle repose sur une délimitation stricte de la saisine de l’administration (A), ce qui a pour conséquence de neutraliser les moyens qui ne se rattachent pas aux fondements initialement invoqués (B).
A. La délimitation stricte de l’objet de la demande
La cour administrative d’appel, pour confirmer la légalité du refus de séjour, procède à une analyse factuelle et précise de la demande initiale de l’intéressé. Elle relève qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes de la décision préfectorale, que la demande présentée le 29 juin 2021 visait à obtenir un titre de séjour en qualité de « salarié » ou au titre de la « vie privée et familiale ». Le juge prend soin de mentionner le formulaire de demande produit par le requérant, sur lequel sont cochées les cases correspondantes, pour en conclure qu’il « ne suffit pas à établir que le préfet se serait mépris sur l’objet de la demande ». Cette approche formaliste ancre la décision dans les faits de l’espèce et fonde le raisonnement du juge sur la volonté exprimée par le demandeur lui-même.
En procédant de la sorte, la cour rappelle que l’administration n’est en principe tenue de se prononcer que sur ce qui lui est demandé. L’office du préfet est ainsi canalisé par les termes de la saisine, ce qui garantit une certaine prévisibilité dans le traitement des dossiers et évite d’imposer à l’administration une charge d’investigation illimitée. Cette orthodoxie juridique assure une gestion encadrée des flux de demandes, mais elle suppose une parfaite information de l’administré sur l’ensemble des options qui lui sont ouvertes, ce qui n’est pas toujours le cas en pratique. La solution retenue confirme que la charge d’invoquer le bon fondement juridique pèse entièrement sur le demandeur.
B. La neutralisation des moyens non rattachés à la demande initiale
La conséquence directe de cette délimitation rigoureuse de la saisine est que tous les arguments soulevés par le requérant, mais étrangers à l’objet de sa demande, deviennent inopérants. Le juge écarte ainsi l’ensemble des moyens tirés de la méconnaissance des dispositions relatives à l’admission au séjour pour raisons de santé ou au titre de motifs exceptionnels. La cour estime que le requérant « ne peut utilement soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit, méconnu l’article L. 425-9 (…) et commis une erreur manifeste d’appréciation compte tenu de son état de santé et en estimant que sa situation ne répondait pas à des motifs exceptionnels ».
Ce faisant, le juge ne se prononce pas sur le fond de ces arguments ; il ne dit pas que l’état de santé du requérant ne justifiait pas une protection ou que sa situation ne présentait pas de caractère exceptionnel. Il constate simplement que ces questions n’avaient pas à être examinées par le préfet, car celui-ci n’en avait pas été formellement saisi. Cette posture illustre la distinction fondamentale entre la recevabilité d’un moyen et son bien-fondé. La décision met ainsi en lumière une forme de discipline procédurale qui s’impose tant à l’administration qu’au juge, et par répercussion, à l’administré qui doit structurer sa demande avec une particulière vigilance.
La rigueur de cette approche, si elle est juridiquement fondée, interroge sur la portée de l’office du préfet face à des situations humaines parfois complexes, ce qui conduit à examiner les limites d’une telle conception.
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II. Une portée restrictive limitant l’examen global de la situation de l’étranger
Bien que cohérente sur le plan juridique, la solution retenue par la cour administrative d’appel conduit à une vision segmentée de la situation de l’étranger. Elle valide un rejet en cascade des protections qui auraient pu être accordées (A) et révèle en creux une conception limitée du pouvoir de régularisation de l’administration (B).
A. Le rejet en cascade des protections subsidiaires
L’illégalité d’une obligation de quitter le territoire français est souvent la conséquence de l’illégalité du refus de séjour qui la précède. Or, dans le cas présent, la légalité du refus de séjour ayant été confirmée, les mesures d’éloignement sont également validées par un effet mécanique. Le juge écarte ainsi les moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi, en déclarant qu’elles « ne sont pas illégales en conséquence des illégalités successives invoquées ». Cette logique de validation en chaîne est une application classique de la jurisprudence.
Plus encore, la cour écarte les protections spécifiques contre l’éloignement, notamment celles liées à l’état de santé, en se fondant sur la même logique. Elle juge que le requérant « n’établit pas que la gravité de son état de santé nécessiterait la poursuite en France de son traitement », reprenant ainsi une motivation sur le fond, mais après avoir déjà jugé le moyen principal inopérant. Cette double motivation, d’abord formelle puis subsidiairement sur le fond, renforce la décision mais illustre comment la première barrière, celle de la saisine, a en réalité scellé le sort de l’argumentaire du requérant. Les protections prévues par le 9° de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sont ainsi écartées sans un examen approfondi dans le cadre de la contestation du refus de séjour.
B. Une conception limitée du rôle de l’administration
Au-delà de ses conséquences pour le requérant, cet arrêt interroge sur le rôle attendu du préfet dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. En validant le fait que l’administration n’a pas à rechercher d’office si la situation d’un étranger pourrait correspondre à un autre motif de régularisation que celui invoqué, la cour conforte une vision minimaliste de l’office du préfet. Ce dernier n’est pas tenu à un rôle proactif d’orientation ou de conseil, mais plutôt à celui d’un guichet qui répond de manière binaire à une demande précisément formulée. Une telle approche fait peser une responsabilité considérable sur l’étranger, souvent peu au fait des subtilités du droit et de la multiplicité des régimes de séjour.
La décision confirme que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste « en refusant de faire usage de son pouvoir de régularisation », mais ce pouvoir se trouve en pratique vidé d’une partie de sa substance s’il ne peut être exercé qu’à la condition d’être explicitement sollicité. On pourrait en effet concevoir que le pouvoir de régularisation discrétionnaire de l’administration sur le fondement de l’article L. 435-1 du code précité implique, par nature, un examen d’ensemble de la situation personnelle, au-delà de la demande initiale. L’arrêt commenté semble aller dans le sens contraire, privilégiant une approche formaliste qui, si elle offre une sécurité juridique à l’administration, peut aboutir à des situations où des étrangers potentiellement régularisables se voient opposer un refus pour n’avoir pas su formuler leur demande sur le fondement le plus opportun.