Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 janvier 2025, n°22MA03052

La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 10 janvier 2025, une décision relative à la responsabilité d’un établissement de santé suite à une tentative de suicide. Cette affaire interroge l’existence d’un lien de causalité direct entre la faute commise lors d’une prise en charge psychiatrique et les préjudices professionnels subis.

Le 17 novembre 2009, une enseignante hospitalisée a tenté de mettre fin à ses jours, subissant une anoxie cérébrale prolongée entraînant de graves séquelles physiques. Par un jugement du 29 mars 2021, le Tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier à indemniser la victime et ses proches pour divers dommages. Saisie en appel, la juridiction marseillaise a ordonné une expertise psychiatrique complémentaire avant de statuer définitivement sur les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle invoquées. Les requérants sollicitaient une revalorisation indemnitaire tandis que l’établissement public soutenait que l’état initial de la patiente expliquait seul son inaptitude au travail.

La question posée aux juges d’appel consistait à déterminer si la faute de l’hôpital était la cause directe d’une perte de revenus professionnels pour la victime. La solution dépendait ici de l’influence des troubles psychiatriques antérieurs sur la capacité de l’intéressée à reprendre son activité professionnelle indépendamment de l’accident médical. La juridiction rejette les conclusions indemnitaires des requérants en se fondant sur l’impossibilité de démontrer un lien certain entre la faute et le dommage économique invoqué.

I. L’appréciation souveraine du lien de causalité au regard de l’état antérieur

A. La caractérisation d’un état initial exclusif de tout préjudice professionnel

La Cour administrative d’appel de Marseille souligne l’importance des antécédents psychiatriques sévères de la victime pour évaluer la réalité du préjudice professionnel futur. L’intéressée souffrait effectivement d’un « trouble majeur de l’humeur caractérisé par un état dépressif récurrent ou persistant de forme mélancolique » depuis l’année 1994. Cette pathologie, reconnue comme une affection de longue durée, comportait selon les constatations médicales un risque suicidaire très élevé lors de l’admission hospitalière. Les juges relèvent que la patiente se trouvait déjà en congé de longue maladie au moment de la décompensation aiguë ayant justifié son hospitalisation initiale.

La décision précise alors que l’état de santé préexistant de la requérante rendait toute reprise d’activité professionnelle impossible, même en l’absence de faute médicale. Le rapport d’expertise complémentaire indique que le « tableau clinique sévère et évolutif » ne laissait aucune perspective de rémission pour l’exercice d’une profession rémunérée. En conséquence, les séquelles de la tentative de suicide n’ont pas créé l’inaptitude au travail mais se sont ajoutées à une situation d’invalidité déjà inéluctable. L’absence de perte de revenus indemnisable découle ainsi de la prépondérance de l’état pathologique initial sur les conséquences de la faute hospitalière.

B. La force probante de l’expertise médicale sur l’aptitude fonctionnelle

Pour fonder son raisonnement, la juridiction administrative s’appuie scrupuleusement sur les conclusions du médecin psychiatre désigné en qualité d’expert par la présidente de chambre. L’expert a souligné que l’inaptitude définitive et absolue résultait spécifiquement de la sévérité des troubles mentaux dont souffrait personnellement la victime avant l’accident. Les requérants contestaient ces conclusions en invoquant une perte de chance de reprendre une activité, mais ils ne produisaient aucun élément médical utile pour contredire l’expert. La Cour estime que l’expertise psychiatrique a été menée avec une précision suffisante pour écarter toute nécessité d’ordonner une nouvelle mesure d’instruction technique.

Les juges notent que l’expert psychiatre s’est prononcé sur la situation individuelle de la patiente sans établir de généralité abusive sur sa pathologie dépressive. Il ressort des motifs que la faute commise « ne peut être regardée comme ayant été à l’origine, de manière suffisamment certaine et directe » d’un préjudice. Cette appréciation rigoureuse du lien de causalité permet à la juridiction de distinguer les conséquences directes de la faute des conséquences inévitables de la maladie. La valeur probante accordée à l’expertise technique scelle ainsi l’impossibilité juridique de condamner le centre hospitalier au titre de préjudices économiques non imputables.

II. Les conséquences juridiques de l’absence de préjudice professionnel certain

A. L’éviction de l’indemnisation des pertes de revenus et de l’incidence professionnelle

Le rejet des demandes indemnitaires formulées par les requérants constitue la suite logique de la rupture du lien de causalité entre la faute et l’inaptitude. La Cour administrative d’appel de Marseille confirme que les pertes de gains professionnels futurs ne peuvent être compensées si l’impossibilité de travailler est préexistante. Le préjudice d’incidence professionnelle, visant à réparer la dévalorisation sur le marché du travail ou la pénibilité accrue, subit le même sort pour des raisons identiques. Puisque la victime était déjà inapte à toute activité professionnelle rémunérée, elle ne peut valablement soutenir avoir perdu une opportunité économique du fait de l’hôpital.

La juridiction refuse donc de majorer la somme de 339 900 euros déjà allouée par un précédent arrêt au titre des autres postes de préjudice corporel. Cette décision illustre le principe de réparation intégrale qui impose de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne sans la faute. Or, dans cette espèce singulière, la situation sans faute aurait tout de même été marquée par une incapacité professionnelle totale résultant de la mélancolie. Le juge administratif maintient ainsi une distinction stricte entre la responsabilité pour faute hospitalière et la prise en charge sociale des pathologies psychiatriques lourdes.

B. Le rejet corrélatif des créances subrogatoires des tiers payeurs

L’absence de préjudice professionnel indemnisable entraîne nécessairement le rejet des conclusions présentées par les organismes sociaux et l’administration employeur de la victime. La Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale réclamait le remboursement de prestations versées au titre des pertes de revenus pour un montant de 126 482 euros. De même, l’État demandait le remboursement des salaires maintenus et des charges patronales acquittés durant la période d’indisponibilité de l’enseignante suite à la tentative de suicide. Ces tiers payeurs ne disposent de droits à l’encontre du tiers responsable que dans la mesure où la faute a effectivement généré la dépense.

La Cour considère que le préjudice invoqué par ces institutions n’a pas pour origine directe et certaine la faute commise par l’établissement de santé. Le centre hospitalier ne peut être tenu de rembourser des prestations dont la cause réelle réside dans l’état de santé initial de l’agent public. Ce rejet des créances subrogatoires confirme la cohérence globale de la solution jurisprudentielle retenue quant à l’imputabilité des dommages économiques en matière médicale. Seuls les frais liés aux expertises psychiatriques restent à la charge définitive de l’hôpital en raison de la faute initiale reconnue dans la procédure.

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Hassan KOHEN
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