Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 janvier 2025, n°23MA01401

La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 10 janvier 2025, un arrêt relatif à la responsabilité de l’État et à la légalité du refus de renouvellement d’une convention d’occupation du domaine public. Une exploitante agricole bénéficiait de titres d’occupation au sein d’un marché d’intérêt national. À la suite d’un contrôle révélant des manquements aux obligations d’étiquetage, l’autorité préfectorale a prononcé une suspension d’activité de trois mois. Simultanément, la société gestionnaire du marché a refusé de renouveler les conventions d’occupation arrivant à échéance. Si la sanction disciplinaire fut ultérieurement annulée pour disproportion par le juge administratif, le refus de renouvellement fut quant à lui confirmé. L’exploitante a alors sollicité l’indemnisation de ses préjudices et l’annulation du refus de réintégration. Le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes par un jugement du 12 mai 2022. La requérante soutient en appel que l’irrégularité de la sanction engage la responsabilité de l’État et que son éviction du marché est injustifiée. Elle invoque également une irrégularité du jugement liée à sa situation de liquidation judiciaire.

Le problème juridique posé à la Cour concerne l’existence d’un lien de causalité entre une sanction administrative illégale et le préjudice résultant de la cessation d’une activité sise sur le domaine public. Il s’agit également de préciser l’étendue du pouvoir discrétionnaire du gestionnaire domanial lors de l’examen d’une demande de réintégration.

La Cour administrative d’appel de Marseille rejette la requête. Elle écarte d’abord le moyen relatif à l’irrégularité du jugement en rappelant que seul le liquidateur peut se prévaloir du dessaisissement du débiteur. Sur le fond, elle juge que la faute de l’État est dépourvue de lien de causalité avec le préjudice économique, la cessation d’activité découlant exclusivement du non-renouvellement des titres. Enfin, elle valide le refus de réintégration fondé sur l’absence de garanties financières et des manquements contractuels répétés.

I. L’absence de lien de causalité entre la sanction fautive et le préjudice invoqué

A. La reconnaissance d’une faute étatique dépourvue d’effet direct

La Cour administrative d’appel de Marseille confirme que « le caractère disproportionné de la sanction constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Cette qualification découle de l’annulation juridictionnelle définitive d’un arrêté préfectoral de suspension d’activité pour des irrégularités procédurales et une sévérité excessive. L’illégalité d’une décision administrative fautive ouvre en principe un droit à réparation si un dommage certain en résulte directement. Toutefois, les juges d’appel relèvent ici que la sanction litigieuse « n’a produit aucun effet » concret sur la situation de l’exploitante agricole. La suspension de trois mois n’a jamais été mise en œuvre de manière isolée puisque l’occupation du domaine public avait cessé contractuellement. La faute de l’administration est ainsi neutralisée par l’absence d’incidence réelle sur le patrimoine ou l’activité de la requérante.

B. La rupture de la chaîne causale par l’autonomie du refus de renouvellement

La cessation d’activité est « exclusivement liée au refus de renouvellement » des conventions d’occupation par la société gestionnaire et non à la mesure de suspension. La Cour précise que ce refus n’est pas la conséquence juridique de la sanction annulée mais repose sur des faits matériels distincts. Le défaut d’étiquetage de marchandises constitue un manquement aux obligations substantielles prévues par le règlement intérieur du marché d’intérêt national. Ces faits, bien que servant de base à la sanction disproportionnée, justifient valablement la décision de ne pas reconduire le titre d’occupation domaniale. En l’absence de lien direct entre l’illégalité fautive et les préjudices économiques ou moraux, la demande indemnitaire est nécessairement rejetée. Cette solution souligne la distinction nécessaire entre la validité d’une sanction disciplinaire et l’exercice du pouvoir contractuel du gestionnaire.

II. La confirmation de la légalité du refus de réintégration domaniale

A. La protection limitée de l’action du débiteur en liquidation judiciaire

La requérante invoquait l’irrégularité du jugement de première instance au regard des dispositions du code de commerce relatives au dessaisissement du débiteur. La Cour rappelle que « seul le liquidateur peut s’en prévaloir pour s’opposer, notamment, à une action contentieuse diligentée par le débiteur ». Ces règles protectrices des créanciers ne sauraient être détournées par l’exploitant pour contester la validité d’une procédure qu’il a lui-même initiée. Faute d’opposition du liquidateur judiciaire lors des premiers échanges devant le tribunal administratif, la recevabilité de l’action de l’exploitante se trouvait consolidée. Les juges marseillais écartent donc ce grief procédural pour se concentrer sur l’examen de la légalité de la décision implicite de refus de réintégration.

B. Le large pouvoir discrétionnaire du gestionnaire du domaine public

Le refus de réintégration est fondé sur l’examen souverain des garanties offertes par l’usager du domaine pour assurer la bonne gestion des emplacements. La Cour observe que la société gestionnaire « n’était pas tenue d’accorder une autorisation d’occupation du domaine public » en raison de son caractère précaire. Elle souligne que la situation financière de la requérante, marquée par une liquidation judiciaire et des dettes de redevances, justifiait légalement la décision. L’absence de garanties financières suffisantes permet au gestionnaire d’écarter un candidat afin de prévenir tout risque de non-paiement des sommes dues à la collectivité. Les antécédents de l’exploitante, relatifs au non-respect des règles de traçabilité des produits, renforcent la légitimité de l’appréciation portée par la société. Par conséquent, la Cour confirme que le rejet de la demande de réintégration n’est entaché d’aucune erreur de droit ni d’appréciation manifeste.

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Hassan KOHEN
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