L’espèce commentée offre un éclairage sur la situation d’un agent de la fonction publique hospitalière confronté à la fin de la prise en charge de son arrêt de travail au titre d’un accident de service. Une aide-soignante, victime d’une chute sur son lieu d’exercice, a été initialement placée en congé pour accident de service. L’administration hospitalière a, dans un second temps, fixé une date de consolidation de son état de santé, estimant que les arrêts de travail postérieurs à cette date ne relevaient plus de l’accident mais de la maladie ordinaire. Cette décision a entraîné l’émission d’un titre exécutoire à l’encontre de l’agent pour obtenir le remboursement de rémunérations considérées comme indûment perçues. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes tendant à l’annulation de la décision fixant la date de consolidation et du titre de recettes. La requérante a interjeté appel de ce jugement. Elle soutenait que la décision de consolidation était entachée de vices de procédure et d’une erreur d’appréciation, et que le titre exécutoire était irrégulier en la forme. La cour administrative d’appel devait donc déterminer si des irrégularités dans la procédure de consultation de la commission de réforme étaient de nature à vicier la décision de l’administration, et si cette dernière avait correctement apprécié la situation médicale de l’agent. La juridiction devait également statuer sur la légalité formelle d’un titre exécutoire émis par voie dématérialisée lorsque l’administration ne produit pas la preuve de sa signature électronique. Par son arrêt, la cour administrative d’appel rejette les conclusions dirigées contre la décision de consolidation, mais annule le titre exécutoire. Elle juge que les vices de procédure n’ont pas privé l’agent d’une garantie et que l’administration n’a pas commis d’erreur d’appréciation en se fondant sur des expertises médicales concordantes pour fixer la date de consolidation. En revanche, elle estime que le titre exécutoire est illégal, car l’administration, en cas de contestation, n’a pas apporté la preuve de la signature électronique du bordereau de titre de recettes, formalité substantielle qui lui confère son caractère exécutoire.
La solution retenue par la cour administrative d’appel conduit à distinguer la légalité de la décision administrative fixant la situation de l’agent de celle de l’acte de recouvrement qui en découle. Ainsi, si la décision relative à la consolidation de l’état de santé est confirmée au regard de la marge d’appréciation de l’administration (I), l’annulation du titre exécutoire sanctionne un manquement au formalisme probatoire à l’ère de la dématérialisation (II).
I. La confirmation de la date de consolidation : une appréciation souveraine de l’administration encadrée par l’expertise médicale
La cour administrative d’appel valide la décision de l’administration en écartant les moyens de procédure soulevés par l’agent, au nom d’une approche pragmatique des garanties procédurales (A), et confirme sur le fond l’appréciation portée sur la situation médicale de l’intéressée, en accordant une primauté aux expertises médicales (B).
A. Le rejet des vices de procédure : une application pragmatique du principe de la garantie
L’agent soutenait que la décision de consolidation était illégale en raison du non-respect des délais de convocation devant la commission de réforme. La cour constate en effet que « l’AP-HM n’a pas respecté le délai de convocation de quinze jours, et ne démontre pas avoir observé celui de dix jours prévu pour inviter l’agent à prendre connaissance de son dossier ». Toutefois, elle écarte le moyen en appliquant une jurisprudence constante relative à la portée des vices de procédure. Conformément à ce principe, « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».
En l’espèce, les juges d’appel recherchent concrètement si l’irrégularité a eu des conséquences effectives pour l’agent. Ils relèvent que celle-ci a été en mesure de consulter son dossier, de s’entretenir avec son conseil, de se présenter à la commission et d’y faire valoir ses observations. Par conséquent, ils en déduisent que le non-respect des délais n’a privé la requérante d’aucune garantie. Cette approche pragmatique, centrée sur la réalité des droits de la défense plutôt que sur un formalisme absolu, permet de ne pas annuler une décision pour une irrégularité qui n’a pas eu d’incidence sur sa substance ni sur la capacité de l’administré à se défendre. Le juge administratif refuse ainsi de sanctionner pour le principe, privilégiant une analyse in concreto de l’impact du vice constaté.
B. La validation du fond de la décision : la primauté de l’expertise médicale sur l’appréciation de l’agent
Sur le fond, la requérante contestait la date de consolidation de son état de santé fixée par l’administration. La cour valide cependant l’analyse de l’hôpital public, qui s’est appuyé sur des avis médicaux circonstanciés. Elle note que la commission de réforme s’est fondée sur une expertise d’un médecin spécialisé qui a estimé l’état de santé consolidé à la date retenue, et que ces conclusions étaient « corroborées par celles précédemment rendues » par un autre médecin agréé. Face à ces éléments, les pièces médicales produites par l’agent, bien que faisant état de la persistance de douleurs, ne sont pas jugées suffisantes.
La cour estime que ces pièces « ne sont pas de nature à remettre en cause la date de consolidation retenue par les experts et l’administration ». Ce faisant, elle ne substitue pas son appréciation médicale à celle des experts mais exerce un contrôle de l’erreur d’appréciation. La décision de l’administration étant fondée sur deux rapports concordants, précis et émanant de spécialistes, le juge considère qu’elle n’est pas entachée d’une erreur manifeste dans l’appréciation des faits. Cette solution confirme le poids déterminant des expertises médicales dans le contentieux de l’imputabilité au service. Elle illustre la difficulté pour un requérant de contester une décision administrative solidement étayée sur le plan technique, même en produisant des éléments médicaux contradictoires.
La cour ayant ainsi écarté les moyens dirigés contre la légalité de la décision de consolidation, le droit de l’administration à réclamer le trop-perçu de rémunération était établi dans son principe. C’est toutefois sur la mise en œuvre de ce recouvrement que l’administration voit sa position censurée, en raison d’un manquement aux règles de forme.
II. L’annulation du titre exécutoire : une sanction rigoureuse du formalisme à l’ère de la dématérialisation
Si la créance de l’administration est fondée en son principe, l’acte permettant son recouvrement forcé est annulé pour un vice de forme. Les juges rappellent les exigences formelles applicables au titre exécutoire dématérialisé (A) avant de sanctionner une insuffisance de preuve quant à la signature électronique de l’acte (B).
A. Les exigences formelles du titre exécutoire dématérialisé
La requérante soulevait, pour la première fois en appel, l’absence de signature sur le titre exécutoire. La cour analyse ce moyen au regard des dispositions combinées du code général des collectivités territoriales et de ses textes d’application relatifs à la dématérialisation des actes comptables via le protocole Hélios. Il en résulte une distinction fondamentale : si le titre individuel adressé au redevable doit mentionner les nom, prénom et qualité de son auteur, c’est le bordereau récapitulatif de titres de recettes qui doit être signé pour rendre ces titres exécutoires.
Dans ce cadre, la cour précise qu’ « il appartient à l’autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de l’émetteur ». Cette solution place sans ambiguïté la charge de la preuve sur l’administration. C’est à elle de démontrer que l’acte, dans sa version dématérialisée, a bien reçu la signature électronique qui lui confère sa force exécutoire. La simple transmission au comptable public ne suffit pas, car c’est la signature qui atteste de la volonté de l’ordonnateur et de la régularité de l’émission du titre.
B. La censure de l’insuffisance de preuve de la signature électronique
En l’espèce, pour toute justification, l’établissement hospitalier s’est borné à produire un document attestant de la télétransmission du titre litigieux au comptable public. La cour juge cette pièce insuffisante pour rapporter la preuve requise. Elle énonce de manière décisive qu’« en se bornant à produire un document attestant la télétransmission au comptable public, par le biais de l’application Hélios, du titre exécutoire litigieux, l’AP-HM ne justifie pas, par ces seuls éléments, que le bordereau du titre exécutoire contesté […] aurait été signé électroniquement ».
L’annulation du titre exécutoire est la conséquence directe de cette carence probatoire. Cette sanction rigoureuse rappelle que la dématérialisation des procédures ne dispense pas les administrations du respect des garanties fondamentales, au premier rang desquelles figure la certitude de l’origine et de la validité d’un acte ayant des effets de droit, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un acte de poursuite. Le juge administratif exerce ici un contrôle strict du formalisme protecteur du redevable. En exigeant la preuve de la signature électronique du bordereau, et non pas seulement de sa transmission, il veille à ce que la simplification des échanges ne se fasse pas au détriment de la sécurité juridique et des droits des administrés. L’annulation, prononcée pour un motif de pure forme, n’éteint pas la créance de l’administration, mais la contraint à émettre un nouveau titre de recettes, cette fois dans le respect scrupuleux de l’ensemble des formes prescrites.