Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 janvier 2025, n°24MA00162

En l’espèce, un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 10 janvier 2025 se prononce sur le refus d’un titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, conjoint d’une citoyenne française. Un individu de nationalité tunisienne, entré irrégulièrement sur le territoire national, avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour après son mariage avec une ressortissante française. Le préfet compétent a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif a confirmé la décision préfectorale. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part l’irrégularité du jugement pour omission de statuer sur un moyen, et d’autre part, contestant le bien-fondé de la décision administrative au regard tant des accords internationaux que du droit interne. La question de droit qui se posait à la cour était double. D’un point de vue procédural, il s’agissait de déterminer les conséquences d’une omission de statuer par les premiers juges sur un moyen qui n’était pas inopérant. Sur le fond, il convenait de déterminer si le conjoint de français en situation irrégulière pouvait se voir reconnaître un droit au séjour et, le cas échéant, sur quel fondement juridique, en appréciant la proportionnalité du refus au regard de son droit à une vie privée et familiale. La cour administrative d’appel a d’abord annulé le jugement du tribunal administratif pour irrégularité, constatant que les premiers juges avaient omis de répondre à un argument soulevé par le requérant. Usant de son pouvoir d’évocation, elle a ensuite statué directement sur la demande initiale et l’a rejetée. Les juges ont estimé que le préfet avait à bon droit écarté l’application des dispositions de l’accord franco-tunisien en raison du séjour irrégulier du demandeur, puis celles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives aux conjoints de Français faute de visa de long séjour. Enfin, ils ont jugé que le refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant.

Cette décision illustre d’abord la sanction procédurale d’une défaillance du premier juge, dont l’effet est toutefois neutralisé par la mise en œuvre du pouvoir d’évocation (I). Elle opère ensuite une application rigoureuse et hiérarchisée des différents fondements juridiques invocables à l’appui d’une demande de titre de séjour par un conjoint de Français (II).

I. Une annulation procédurale à l’effet neutralisé

La solution de la cour administrative d’appel se décompose en deux temps procéduraux distincts. Elle prononce d’abord la censure attendue du jugement de première instance en raison d’une omission de statuer (A), avant de faire usage de son pouvoir d’évocation pour régler immédiatement le litige au fond (B).

A. La censure de l’omission de statuer des premiers juges

Le juge administratif est tenu de répondre à l’ensemble des moyens soulevés par les parties, à moins que ceux-ci ne soient manifestement inopérants. En l’espèce, le requérant avait soutenu devant le tribunal administratif que le préfet avait examiné à tort sa situation au regard de l’accord franco-tunisien. Or, la cour relève que « le tribunal n’a pas répondu au moyen du requérant, qui n’était pas inopérant, tiré de ce que le préfet aurait, à tort, examiné sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 10-1 a) de l’accord franco-tunisien ». Cette carence constitue un vice d’irrégularité qui justifie l’annulation du jugement.

La motivation de la cour est ici orthodoxe et rappelle une exigence fondamentale du procès administratif, corollaire du droit à un recours juridictionnel effectif. Le manquement du juge de première instance à son office vicie sa décision, sans qu’il soit nécessaire pour le juge d’appel de se prononcer sur le bien-fondé du moyen omis à ce stade de son raisonnement. La seule constatation de l’omission suffit à fonder l’annulation, garantissant ainsi que toute l’argumentation pertinente d’un justiciable soit examinée par une juridiction.

B. La mise en œuvre du pouvoir d’évocation

Plutôt que de renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif, la cour décide de statuer immédiatement sur la demande de première instance. Elle précise en effet qu’« il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A… devant le tribunal administratif de Toulon ». Ce pouvoir d’évocation, qui permet au juge d’appel de se saisir de l’entier litige, répond à un impératif de bonne administration de la justice en évitant des délais de jugement supplémentaires qu’induirait un renvoi.

Cette technique procédurale, bien que privant les parties d’un double degré de juridiction sur le fond, est ici pleinement justifiée par l’état du dossier. L’affaire étant en état d’être jugée, la cour dispose de tous les éléments de fait et de droit pour trancher le litige. La victoire procédurale du requérant se trouve ainsi privée de portée pratique, puisque la cour examine sans délai les mêmes questions de fond que celles qui se posaient aux premiers juges.

II. Une application stricte des conditions du droit au séjour

Statuant au fond, la cour procède à un examen successif et méthodique des différents fondements juridiques pouvant justifier la délivrance d’un titre de séjour, pour finalement les écarter. Elle confirme ainsi le rejet des titres de séjour de plein droit (A) avant de valider l’appréciation de l’administration quant à l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du requérant (B).

A. Le rejet des demandes fondées sur un droit de plein droit

La cour examine en premier lieu les dispositions ouvrant un droit au séjour au conjoint d’un ressortissant français. Elle analyse d’abord les stipulations de l’accord franco-tunisien, qui prévoient la délivrance d’un titre de séjour de dix ans, mais « sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français ». Le requérant ne remplissant pas cette condition, ce fondement est logiquement écarté.

Ensuite, le juge se penche sur les dispositions du droit commun prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Si le mariage avec un citoyen français ouvre droit à une carte de séjour temporaire, sa première délivrance est conditionnée par la possession d’un visa de long séjour. Le préfet ayant relevé l’absence de justification de la régularité de l’entrée en France, la cour estime qu’il « doit être regardé comme ayant également considéré que le requérant ne justifiait pas du visa de long séjour nécessaire ». Ce faisant, elle valide une motivation implicite mais nécessaire de l’administration, confirmant que l’absence de visa fait obstacle à l’application de ce régime.

B. Le contrôle de l’atteinte à la vie privée et familiale

En dernier lieu, la cour examine le moyen tiré d’une éventuelle atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article L. 423-23 du CESEDA. Cet examen suppose une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, le juge prend acte du mariage récent avec une ressortissante française. De l’autre, il relève l’entrée irrégulière, l’absence de justification d’une présence habituelle significative avant 2020, et le maintien d’attaches familiales dans le pays d’origine.

La cour souligne également que les éléments produits pour attester d’une intégration professionnelle sont postérieurs à la décision attaquée et donc inopérants pour en apprécier la légalité. Dans ces conditions, elle conclut que le préfet « n’a pas porté au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cet arrêté a été pris ». Le contrôle exercé sur l’appréciation du préfet se révèle ici concret mais rigoureux, confirmant que le seul lien matrimonial, surtout lorsqu’il est récent, ne suffit pas à faire obstacle à une mesure d’éloignement en cas de séjour irrégulier et d’intégration jugée insuffisante.

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Hassan KOHEN
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