La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 10 janvier 2025, une décision importante relative au régime de la responsabilité administrative pour harcèlement moral. Un ancien agent public sollicitait l’indemnisation de préjudices résultant d’une série de griefs accumulés durant sa carrière, tels que des refus de temps partiel. Le Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande indemnitaire par un jugement du 22 décembre 2023, dont le requérant a interjeté appel devant la juridiction. L’intéressé soutenait que la répétition de mesures de gestion défavorables et d’erreurs administratives traduisait une volonté délibérée de dégrader ses conditions de travail habituelles. La question posée aux juges consistait à déterminer si une succession d’actes de gestion, même parfois illégaux, permet de caractériser une présomption de harcèlement moral. La juridiction d’appel confirme le jugement de première instance en estimant que les faits invoqués « ne sont pas de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral ». Cette solution impose d’analyser l’appréciation rigoureuse des éléments de fait présentés par l’agent (I), avant d’étudier la distinction maintenue entre l’erreur de gestion et le harcèlement (II).
I. L’exigence d’éléments matériels probants pour la présomption de harcèlement
A. Une charge de la preuve partagée entre l’agent et l’administration
La Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que l’agent doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement. Cette règle oblige l’administration à produire une argumentation démontrant que les agissements sont « justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement » pour s’exonérer. Le juge administratif forge sa conviction au vu de ces échanges contradictoires, en évaluant si la « dégradation des conditions de travail » est réellement établie. Dans cette espèce, le requérant n’a pas réussi à démontrer que les mesures prises à son égard constituaient des agissements répétés de nature malveillante. L’absence d’éléments de fait concordants empêche ainsi le basculement de la charge de la preuve vers l’employeur public pour justifier ses décisions.
B. L’exclusion des faits anciens ou dictés par les nécessités du service
Les juges écartent les griefs relatifs à un concours professionnel ancien, survenus entre 1993 et 1997, car ils ne sauraient fonder une présomption actuelle. Le requérant n’avait d’ailleurs pas réagi à l’époque, et ces faits n’ont été suivis d’aucun autre agissement suspect pendant près de deux décennies. Par ailleurs, le refus initial de temps partiel était motivé par le fait que le « bon fonctionnement de l’établissement nécessitait que le poste soit exercé à temps complet ». La Cour considère que cette réponse était dûment motivée par l’intérêt du service, malgré l’absence formelle d’un entretien préalable prévu par la procédure. L’octroi ultérieur de ce temps partiel démontre que le dialogue n’était pas rompu, écartant ainsi tout indice sérieux de harcèlement moral.
II. La qualification de faute de gestion exclusive du harcèlement moral
A. Le caractère impersonnel des erreurs administratives commises par l’employeur
La Cour relève que certaines irrégularités, comme le retrait indu de jours de congés, résultaient de l’application d’une « doctrine illégale arrêtée pour l’ensemble des agents ». Bien que fautive, cette pratique administrative ne présentait aucun caractère discriminant puisque le requérant n’avait pas fait l’objet d’un traitement spécifique ou personnel. Les juges soulignent qu’un comportement illégal généralisé ne suffit pas à faire présumer une volonté de harceler un agent en particulier dans sa carrière. De même, les retards dans la transmission d’informations relatives à la retraite ne sont pas jugés excessifs au regard des délais habituels de traitement. L’erreur de droit commise par l’employeur demeure ici une faute de gestion ordinaire, dépourvue de la dimension intentionnelle requise pour le harcèlement.
B. La confirmation d’un seuil de gravité élevé pour la responsabilité indemnitaire
L’arrêt précise que les ressentis de l’agent ne sauraient remplacer la preuve matérielle d’agissements attentatoires à sa dignité ou à sa santé physique ou mentale. La Cour note que l’employeur a pris soin de répondre aux nombreuses sollicitations de l’agent, ce qui contredit l’idée d’un isolement ou d’une malveillance. Le juge administratif maintient un seuil de gravité élevé pour éviter que toute insatisfaction professionnelle ou erreur de carrière ne se transforme en contentieux du harcèlement. La solution confirme que la protection fonctionnelle ne peut être activée sans la démonstration d’un lien direct entre les actes critiqués et une dégradation anormale. Le rejet de la requête souligne ainsi la volonté des juridictions administratives de protéger le pouvoir de direction de l’administration contre des accusations trop fragiles.