Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 janvier 2025, n°24MA01275

Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur le rejet d’un recours formé par une ressortissante étrangère contre un arrêté préfectoral. Cette décision administrative refusait de lui délivrer un titre de séjour et l’assortissait d’une obligation de quitter le territoire français ainsi que d’une interdiction de retour pour une durée de deux ans. L’intéressée, de nationalité algérienne, avait saisi le tribunal administratif de Marseille, lequel avait rejeté sa demande par un jugement du 14 décembre 2023. Elle a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le refus de séjour était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des violences conjugales dont elle avait été victime de la part de son ex-époux de nationalité française. Après avoir rappelé les faits et la procédure, la cour d’appel était amenée à déterminer si des violences conjugales anciennes, ayant cessé plusieurs années avant la décision préfectorale, pouvaient encore fonder un droit au séjour. Elle devait également apprécier la proportionnalité de l’interdiction de retour prononcée à l’encontre de la requérante. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance et validant la légalité de l’arrêté préfectoral. Elle estime que la situation de violence conjugale ne pouvait plus être considérée comme actuelle à la date de la décision attaquée et que l’interdiction de retour était justifiée par le comportement antérieur de l’intéressée et son absence d’attaches en France.

La solution retenue par les juges du fond repose sur une interprétation stricte de la notion de victime de violences conjugales, conditionnant sa prise en compte à son caractère actuel (I), ce qui justifie en conséquence une sanction administrative sévère face à la situation globale de l’étrangère (II).

I. L’appréciation restrictive de la condition de victime de violences conjugales

La cour administrative d’appel confirme la position du préfet en se fondant sur une analyse temporelle de la situation de violence invoquée (A), ce qui la conduit à écarter cet élément pour ne retenir que les critères ordinaires d’appréciation de la situation personnelle de l’intéressée (B).

A. La neutralisation des violences passées par leur cessation effective

Le juge administratif opère une distinction nette entre le statut de victime de violences conjugales et la situation factuelle au jour de la décision contestée. Il relève que si la requérante « justifie avoir déclaré des mains courantes et porté plainte à l’encontre de celui-ci à plusieurs reprises pour des faits de violences conjugales », ces faits ont pris fin en avril 2018 lors de la séparation du couple. La cour en conclut de manière décisive que, par conséquent, « à la date de la décision attaquée, [l’intéressée] ne pouvait plus être regardée comme étant victime de violences conjugales de la part son conjoint ». Cette approche consacre une lecture littérale et contemporaine de la condition de victime, la privant de sa portée lorsque les violences ne sont plus actuelles. L’argument selon lequel son ex-conjoint n’aurait pas accompli les démarches nécessaires à l’obtention d’un titre de séjour en qualité de conjoint de Français est également jugé inopérant, renforçant la rigueur de l’analyse. La protection offerte aux victimes de violences conjugales est ainsi conditionnée à la persistance d’un lien direct et temporel avec les faits subis, excluant les situations où la victime a déjà échappé à l’emprise de son agresseur.

B. Le retour à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration

Une fois l’argument tiré des violences conjugales écarté, la cour examine la situation de la requérante au travers du prisme du pouvoir d’appréciation de l’administration. Le juge constate que l’intéressée « ne disposait d’aucune autre attache familiale en France et ne justifiait pas non plus d’une insertion socioprofessionnelle particulière ». En l’absence de circonstances humanitaires jugées prégnantes, le préfet retrouve une pleine marge de manœuvre pour apprécier l’opportunité de régulariser la situation de l’étrangère. La décision de refus de titre de séjour n’est alors plus entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, car elle repose sur un bilan global de la situation personnelle et familiale de l’intéressée qui ne fait ressortir aucun élément justifiant une admission exceptionnelle au séjour. Cette motivation réaffirme un principe classique du contentieux des étrangers, selon lequel la compétence de principe de l’administration en matière de police des étrangers ne peut être remise en cause que par des considérations impérieuses ou des droits spécifiquement protégés par la loi, conditions qui ne sont pas réunies en l’espèce.

II. La justification de l’interdiction de retour par la situation globale de l’étrangère

La cour valide également l’interdiction de retour sur le territoire français en s’appuyant sur le comportement passé de la requérante (A) et en procédant à un contrôle de proportionnalité qui lui est défavorable (B).

A. Le comportement antérieur comme fondement de la sanction administrative

Pour justifier l’interdiction de retour de deux ans, le juge met en exergue un élément déterminant du dossier de l’intéressée. Il souligne en effet que la requérante « s’est soustraite à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement avec délai de départ volontaire de 30 jours prise à son encontre le 27 janvier 2020 ». Ce non-respect d’une précédente obligation de quitter le territoire constitue, aux yeux de la cour, une circonstance aggravante justifiant le prononcé d’une telle mesure. L’interdiction de retour n’apparaît plus seulement comme un accessoire de l’obligation de quitter le territoire, mais comme une véritable sanction visant à prévenir la réitération d’un maintien irrégulier sur le sol français. En s’appuyant sur les dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la décision montre que le comportement de l’étranger face aux injonctions de l’administration est un critère essentiel dans la modulation des mesures d’éloignement.

B. L’absence d’attaches en France comme critère de proportionnalité de la mesure

La cour achève son raisonnement en procédant à un contrôle de proportionnalité de l’interdiction de retour. Elle met en balance la durée de la sanction et la situation personnelle de la requérante. À ce titre, elle retient qu’elle « ne dispose pas d’attache en France tandis qu’elle ne conteste pas que ses parents et sa fratrie vivent dans son pays d’origine ». L’absence de liens privés et familiaux suffisamment forts sur le territoire national conduit le juge à considérer que la mesure n’est pas excessive. La durée de deux ans est jugée adaptée au regard de la combinaison de son maintien irrégulier après une première mesure d’éloignement et de la précarité de son intégration. Cet arrêt illustre parfaitement la méthode du bilan coût-avantages appliquée par le juge administratif : la sanction est jugée proportionnée dès lors qu’elle ne porte pas une atteinte excessive à un droit protégé, ce qui est le cas lorsque la vie privée et familiale de l’intéressée est principalement établie dans son pays d’origine.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture