Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 janvier 2025, n°24MA01651

Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions d’appréciation de la force probante des actes d’état civil étrangers dans le cadre d’une demande de titre de séjour présentée par un jeune majeur précédemment confié à l’aide sociale à l’enfance.

En l’espèce, un ressortissant guinéen, pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance à la suite d’une ordonnance de placement provisoire, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour après avoir atteint la majorité. Le préfet a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté sa demande par un jugement du 29 mai 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement.

Le préfet fondait son refus sur le caractère prétendument frauduleux des documents d’état civil produits par l’intéressé, s’appuyant sur une analyse documentaire des services de police. Le requérant soutenait au contraire la validité de ses documents et le fait qu’il remplissait les conditions pour une admission exceptionnelle au séjour, sa situation ayant été examinée sur un fondement juridique erroné.

Le problème de droit qui se posait à la cour était de déterminer comment le juge administratif doit apprécier la valeur probante d’actes d’état civil étrangers lorsque l’administration en conteste l’authenticité sur la base d’une analyse technique, tandis que le requérant produit d’autres éléments corroborant son identité et son âge.

La cour administrative d’appel annule le jugement du tribunal administratif et l’arrêté préfectoral. Elle juge que l’administration a commis une erreur de fait en se fondant exclusivement sur le caractère supposément frauduleux des documents d’état civil sans tenir compte de l’ensemble des éléments du dossier. La cour estime qu’au vu de tous les éléments, notamment un rapport éducatif antérieur et la délivrance ultérieure d’un passeport non contesté, « la minorité de [l’intéressé] lorsqu’il a été confié à l’aide sociale à l’enfance doit être regardée comme établie ».

Dès lors, il convient d’analyser la méthode par laquelle le juge administratif exerce son contrôle sur l’appréciation des actes d’état civil étrangers (I), avant d’examiner la portée des obligations probatoires qui en découlent pour l’administration (II).

I. L’office du juge administratif dans le contrôle de l’appréciation des actes d’état civil étrangers

La décision commentée illustre l’étendue du contrôle exercé par le juge, qui ne se limite pas à une simple vérification de la légalité externe mais s’étend à une appréciation concrète des faits. Cet office se manifeste d’abord par une requalification du fondement juridique de la demande (A), puis par une appréciation souveraine de la force probante des pièces versées au débat (B).

A. La rectification du fondement juridique de la demande

L’arrêt rappelle utilement que le juge administratif n’est pas lié par la qualification juridique initialement retenue par l’administration. En l’espèce, le préfet avait implicitement examiné la demande de titre de séjour au regard de l’article L. 422-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui concerne les jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans. Or, la cour relève que la situation du requérant, pris en charge après cet âge, correspondait aux prévisions de l’article L. 435-3 du même code, relatif à l’admission exceptionnelle au séjour.

En opérant cette correction, la cour se conforme à son rôle de gardien de la bonne application de la loi. Elle souligne que « sa demande devait nécessairement être regardée comme présentée sur le fondement de ces dispositions », relevant au passage que l’administration elle-même avait délivré des documents de procédure mentionnant la catégorie « travailleur temporaire », ce qui correspondait à ce second régime. Cette rectification préalable est essentielle car elle détermine le cadre d’analyse des conditions à remplir et, par conséquent, des faits à prouver.

B. L’appréciation souveraine de la force probante des documents

Le cœur de l’arrêt réside dans l’exercice par le juge de son plein pouvoir d’appréciation des preuves relatives à l’état civil. La cour rappelle le principe posé par l’article 47 du code civil, selon lequel un acte d’état civil étranger fait foi jusqu’à preuve du contraire. Elle précise qu’en cas de contestation, « il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ».

La cour ne se contente pas d’enregistrer l’existence d’une note d’analyse policière concluant à une non-conformité des documents guinéens. Elle procède à une mise en balance de cet élément avec les autres pièces du dossier. Elle prend en compte les arguments du requérant qui critique la méthodologie de l’analyse, mais surtout elle donne du poids à d’autres indices : un jugement du juge des enfants faisant état d’un rapport social qui qualifiait l’intéressé de « manifestement mineur », ainsi que la délivrance d’une carte consulaire et d’un passeport biométrique. La cour affirme que, même postérieur à l’arrêté, le passeport « étaye des faits antérieurs » et que son authenticité n’est pas contestée. C’est cet ensemble concordant d’éléments qui la conduit à tenir pour établie la minorité de l’intéressé au moment de sa prise en charge.

Cette affirmation du rôle central du juge dans l’appréciation des preuves entraîne nécessairement des conséquences sur la charge de la preuve pesant sur l’administration.

II. La portée des exigences probatoires à la charge de l’administration

En censurant l’erreur de fait commise par le préfet, la cour adresse un message clair sur l’insuffisance de certains modes de preuve et renforce les garanties du demandeur. Le raisonnement de la cour met en lumière l’inefficacité d’une analyse administrative unilatérale (A) et consacre une approche pragmatique de la preuve qui favorise la situation de l’étranger en l’absence de réfutation solide (B).

A. L’insuffisance d’une analyse documentaire unilatérale et non contradictoire

La décision met en exergue les limites d’une contestation administrative reposant uniquement sur une analyse technique dont la robustesse n’est pas démontrée. La cour prend soin de noter que « l’analyse documentaire conduite par les services de la police nationale » a été critiquée par le requérant sur des points précis, comme l’absence de documents de comparaison ou des erreurs sur le droit guinéen applicable.

Plus important encore, l’arrêt souligne que « le préfet n’a, ni en première instance, ni en appel, discuté ces éléments ». Ce silence de l’administration face à une contestation argumentée affaiblit considérablement la portée de sa propre preuve. La cour sanctionne ainsi une démarche administrative qui s’est arrêtée à une affirmation péremptoire de fraude, sans engager un véritable débat contradictoire sur la fiabilité des documents. La force probante d’une expertise administrative n’est pas absolue et peut être anéantie si l’administration ne répond pas aux doutes légitimes soulevés par le requérant.

B. L’établissement de la preuve par un faisceau d’indices concordants

Finalement, la portée de cet arrêt réside dans la méthode qu’il consacre pour établir un fait juridique en l’absence de certitude documentaire. Face à des actes d’état civil originaux contestés, la cour démontre qu’un « faisceau d’indices » peut suffire à emporter sa conviction. Elle ne se prononce pas sur la validité intrinsèque des actes guinéens, mais conclut que, pour les besoins de la cause, la minorité est établie.

La production d’un passeport biométrique, même postérieur, devient un élément quasi dirimant dès lors que « l’administration […] ne conteste pas l’authenticité » de ce document officiel. En jugeant que de tels éléments, combinés à des appréciations judiciaires et sociales antérieures, suffisent à renverser les doutes de l’administration, la cour adopte une solution pragmatique. Elle rappelle que la charge de la preuve de l’irrégularité, de la falsification ou de l’inexactitude d’un acte d’état civil étranger incombe in fine à l’administration qui l’invoque pour fonder un refus.

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Hassan KOHEN
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