Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences d’un vice de procédure affectant un jugement de première instance en matière fiscale. En l’espèce, une contribuable avait fait l’objet de plusieurs saisies administratives à tiers détenteur en vue du recouvrement de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. Elle a saisi le tribunal administratif pour obtenir la décharge de l’obligation de payer ces sommes. Par un jugement du 10 novembre 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande. La requérante a interjeté appel de cette décision, soulevant plusieurs moyens de fond relatifs à la régularité de la procédure d’imposition et à la prescription de l’action en recouvrement, ainsi qu’un moyen de forme tiré d’une irrégularité de la procédure de première instance. Elle soutenait en particulier que le mémoire en défense de l’administration fiscale ne lui avait jamais été communiqué. Se posait donc la question de savoir si l’omission de communication du mémoire en défense de l’administration à la partie requérante constitue une irrégularité de nature à vicier le jugement rendu en premier ressort. À cette interrogation, la cour administrative d’appel répond par l’affirmative. Elle juge qu’« en ne communiquant pas le mémoire en défense, le tribunal a méconnu les exigences qui découlent des dispositions de l’article R. 611-1 du code de justice administrative et qui sont destinées à garantir le caractère contradictoire de l’instruction ». La cour annule par conséquent le jugement et renvoie l’affaire devant les premiers juges.
La décision commentée illustre la sanction rigoureuse attachée à la violation du principe du contradictoire (I), dont la portée est néanmoins circonscrite à la seule régularité de la procédure (II).
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I. La sanction rigoureuse d’une méconnaissance du principe du contradictoire
La cour administrative d’appel fonde sa décision d’annulation sur une application stricte des règles garantissant une procédure équitable. Elle rappelle ainsi que l’obligation de communication des mémoires constitue une garantie substantielle pour les justiciables (A), justifiant une censure pour la seule préservation des droits de la défense (B).
A. L’affirmation du caractère substantiel de l’obligation de communication des mémoires
L’arrêt met en exergue l’importance de l’article R. 611-1 du code de justice administrative, qui organise l’échange des écritures entre les parties. La cour relève que le mémoire de l’administration fiscale, bien qu’enregistré au greffe avant la clôture de l’instruction, n’a pas été transmis à la contribuable. Elle constate l’absence de toute pièce au dossier justifiant de l’accomplissement de cette formalité, que ce soit par voie postale ou par l’application de communication électronique. Cette carence procédurale n’est pas considérée comme une simple omission matérielle sans conséquence. Au contraire, les juges d’appel lui confèrent une portée décisive en estimant qu’il appartenait au tribunal de s’assurer de la bonne exécution de cette communication. Le raisonnement de la cour souligne que le respect du débat contradictoire impose au juge une vigilance active dans la conduite de l’instruction. La communication des mémoires n’est donc pas une simple faculté laissée à la diligence des parties, mais une obligation incombant à la juridiction elle-même pour assurer l’égalité des armes.
B. Une solution justifiée par la protection des droits de la défense
En annulant le jugement, la cour tire la conséquence logique de la violation d’un principe cardinal de la procédure contentieuse. Le caractère contradictoire de l’instruction implique que chaque partie doit être mise en mesure de connaître et de discuter l’ensemble des arguments et des pièces produits par son adversaire. Le défaut de communication du mémoire en défense a privé la requérante de la possibilité de répondre utilement aux moyens soulevés par l’administration fiscale devant le premier juge. Dès lors, la solution retenue apparaît pleinement justifiée, car elle garantit l’effectivité des droits de la défense. La cour administrative d’appel n’examine même pas si cette absence de communication a eu une influence concrète sur le sens de la décision de première instance. La seule constatation de l’irrégularité suffit à entraîner l’annulation, ce qui démontre que la violation du principe du contradictoire est une cause de nullité qui se suffit à elle-même, sans qu’il soit nécessaire de prouver un grief.
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II. Une portée circonscrite à la régularité procédurale
Si la censure du jugement est sans équivoque, l’arrêt révèle une portée mesurée quant à l’issue du litige. Les juges d’appel font le choix de ne pas statuer au fond (A), livrant ainsi une décision qui, bien que classique, réaffirme une orthodoxie procédurale essentielle (B).
A. Le choix du renvoi au détriment de l’évocation du fond du litige
Face à un jugement irrégulier, la cour administrative d’appel disposait de la faculté d’évoquer l’affaire, c’est-à-dire de statuer elle-même sur la demande initiale de la contribuable. Elle choisit pourtant une autre voie en décidant de renvoyer le dossier devant le tribunal administratif. Cette solution s’explique par la nature du vice constaté. L’irrégularité a privé les parties d’un premier niveau de débat sur l’ensemble des éléments du litige. En renvoyant l’affaire, la cour assure à la justiciable le plein bénéfice du double degré de juridiction sur le fond de sa contestation. Le tribunal administratif devra donc rejuger l’affaire après avoir mené une nouvelle instruction, cette fois-ci régulière, au cours de laquelle le mémoire de l’administration sera communiqué à la requérante. Ce renvoi garantit ainsi que le litige fiscal sera examiné dans le respect scrupuleux des formes, avant une éventuelle nouvelle saisine du juge d’appel.
B. Une décision d’espèce révélatrice d’une orthodoxie procédurale
La solution retenue par la cour n’innove pas et ne constitue pas un revirement de jurisprudence. Elle s’inscrit au contraire dans une lignée jurisprudentielle constante et bien établie qui sanctionne systématiquement les atteintes graves au principe du contradictoire. Il s’agit d’une décision d’espèce dont la portée est avant tout pédagogique, rappelant aux juridictions du premier degré l’impérieuse nécessité de veiller au bon déroulement de l’instruction qu’elles dirigent. L’arrêt illustre le rôle du juge d’appel comme garant de la régularité procédurale et de l’application uniforme des règles de procédure. Finalement, la décision ne préjuge en rien de l’issue du litige fiscal. La contribuable obtient gain de cause sur la forme, mais le débat sur le bien-fondé de l’imposition reste entièrement ouvert devant les premiers juges.