Cour d’appel administrative de Marseille, le 10 juillet 2025, n°24MA00582

Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les conséquences d’irrégularités comptables relevées lors d’une vérification de comptabilité. En l’espèce, une société spécialisée dans les travaux de terrassement et la location d’engins a fait l’objet d’un contrôle fiscal portant sur ses exercices clos en 2014 et 2015. L’administration fiscale, ayant constaté de graves anomalies dans la tenue de sa comptabilité, a procédé à des redressements en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée, assortis d’une majoration de 40 % pour manquement délibéré. La société a contesté ces rectifications devant le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté sa demande par un jugement du 12 janvier 2024. Elle a alors interjeté appel de cette décision, soutenant notamment que sa comptabilité n’aurait pas dû être écartée et que le caractère intentionnel de ses manquements n’était pas établi. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si les irrégularités constatées étaient de nature à justifier non seulement le rejet de la comptabilité comme non probante et les redressements qui en ont découlé, mais également l’application de pénalités pour manquement délibéré. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant en tous points le bien-fondé des rectifications et des sanctions. Elle a considéré que la gravité et la nature des manquements comptables justifiaient pleinement que la comptabilité soit écartée, et que la réitération de pratiques déjà sanctionnées lors d’un contrôle antérieur suffisait à établir le caractère délibéré des omissions déclaratives.

Cette décision, qui rappelle avec fermeté les exigences de régularité et de sincérité en matière comptable et fiscale, illustre la méthode suivie par le juge pour apprécier la force probante d’une comptabilité (I), avant de se prononcer sur le caractère intentionnel des manquements du contribuable (II).

I. La justification des redressements fondée sur le rejet d’une comptabilité non probante

La cour confirme la position de l’administration fiscale en validant d’abord le rejet de la comptabilité de l’entreprise en raison des multiples et graves anomalies l’affectant (A), ce qui a pour conséquence directe de légitimer les rectifications opérées (B).

A. La caractérisation d’irrégularités comptables graves et concordantes

Le juge d’appel s’approprie le raisonnement du service vérificateur pour considérer la comptabilité comme dépourvue de toute valeur probante. Il relève un faisceau d’indices concordants qui révèlent une organisation comptable défaillante et peu fiable. La cour note ainsi que « la validation des écritures est postérieure à la date de clôture des exercices et de souscription des liasses fiscales », ce qui constitue une irrégularité fondamentale. De plus, elle souligne que « l’absence de lettrage » dans les fichiers comptables informatisés faisait « obstacle au suivi des encaissements et décaissements », empêchant ainsi toute traçabilité des flux financiers. Enfin, le juge prend en considération des manœuvres plus graves, telles que l’absence d’inscription d’une dette fiscale antérieure ou « la comptabilisation d’une charge fictive », destinées à masquer la réalité des opérations de l’entreprise. Face à de telles constatations, la défense de la société, qui invoquait son incapacité à vérifier le logiciel de son expert-comptable, est jugée inopérante, réaffirmant ainsi la responsabilité première du contribuable dans la tenue de ses comptes.

B. La légitimation des rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée

Une fois la comptabilité écartée, la charge de la preuve est inversée et il appartient au contribuable de démontrer l’inexactitude des montants retenus par l’administration. Or, sur ce point, la cour constate la carence probatoire de la société requérante. Concernant la taxe collectée, celle-ci « se borne à faire valoir qu’elle aurait remis au cours du contrôle un tableau récapitulatif », mais ne produit aucun élément pour étayer ses dires. Le juge en conclut logiquement qu’elle n’est pas fondée à contester les discordances mises en évidence par le vérificateur. Le même raisonnement est appliqué pour la taxe déductible. L’administration avait remis en cause la déduction de la taxe afférente à des factures non réglées à la clôture de l’exercice. La société se contente d’affirmer que les factures ont été payées, « sans produire le moindre élément de démonstration à l’appui de ces affirmations ». Le rejet de ses prétentions est donc la conséquence inévitable du caractère non probant de sa comptabilité conjugué à son incapacité à fournir des justifications extracomptables.

II. La confirmation de la sanction pour manquement délibéré

Au-delà de la question des redressements, l’arrêt présente un intérêt particulier dans sa motivation relative à l’application des pénalités, en caractérisant l’élément intentionnel du manquement (A) et en conférant à sa décision une portée pédagogique claire (B).

A. L’établissement de l’intention par la réitération des fautes

Pour appliquer la majoration de 40 % prévue par l’article 1729 du code général des impôts, l’administration doit prouver le caractère délibéré du manquement. Dans cette affaire, la cour estime cette preuve rapportée. Son raisonnement ne se fonde pas uniquement sur l’importance des sommes éludées ou la gravité des irrégularités comptables. L’élément décisif réside dans le fait que « des rectifications similaires avaient déjà été proposées à l’issue d’un précédent contrôle ». Cette réitération de manquements de même nature démontre, pour le juge, que la société ne pouvait ignorer les règles fiscales qu’elle transgressait. La répétition des omissions, notamment en matière de taxe sur la valeur ajoutée collectée et déductible, après avoir déjà fait l’objet d’un redressement sur des points analogues, suffit à établir que les erreurs ne relevaient pas de la simple négligence, mais bien d’une volonté de se soustraire à l’impôt.

B. La portée d’une solution réaffirmant l’exigence de correction post-contrôle

Cet arrêt, bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, revêt une portée significative en ce qu’il rappelle aux contribuables leurs obligations à la suite d’une vérification de comptabilité. Il illustre une jurisprudence constante qui se montre particulièrement sévère envers un contribuable qui, ayant été averti de ses erreurs par un premier contrôle, persiste dans les mêmes pratiques. La décision souligne implicitement qu’une entreprise ayant fait l’objet de redressements a une obligation renforcée de mettre en conformité sa gestion comptable et fiscale. En validant l’application de la majoration pour manquement délibéré dans un tel contexte, la cour adresse un signal clair : la récidive fiscale est interprétée comme la preuve d’une intention frauduleuse, justifiant pleinement l’application des pénalités les plus lourdes. La solution n’est pas novatrice mais réaffirme avec force un principe essentiel du contentieux fiscal.

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