Par un arrêt en date du 10 mars 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a eu à se prononcer sur la portée de l’autorité de la chose jugée en matière fiscale. En l’espèce, un contribuable s’était vu notifier des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2012. Une première action contentieuse, visant à obtenir la décharge de ces impositions, avait été rejetée par un jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 5 mars 2020, lequel était devenu définitif en l’absence d’appel. Persistant dans sa contestation, le requérant a de nouveau saisi l’administration fiscale d’une réclamation portant sur les mêmes impositions, assortie cette fois d’une demande indemnitaire. Face au rejet implicite de cette nouvelle demande, il a saisi le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté son recours par un jugement du 16 décembre 2022, principalement en raison de l’autorité de la chose jugée attachée au premier jugement. C’est de cette seconde décision que le contribuable a interjeté appel, soutenant notamment que le jugement était insuffisamment motivé et que le principe de l’autorité de la chose jugée ne pouvait lui être opposé, tout en invoquant la méconnaissance du droit à un procès équitable. Le problème de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était donc double. Il s’agissait de déterminer si le principe de l’autorité de la chose jugée fait obstacle à ce qu’un contribuable engage une nouvelle instance pour contester une imposition ayant déjà fait l’objet d’un jugement définitif, et, corrélativement, si une telle fin de non-recevoir est compatible avec les exigences du procès équitable. À cette question, la cour répond par l’affirmative en considérant que l’autorité de la chose jugée attachée à un premier jugement suffit à justifier le rejet d’une nouvelle demande ayant le même objet et la même cause, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens soulevés. Elle ajoute que le droit à un procès équitable ne garantit pas un droit à la réouverture d’une procédure terminée, écartant ainsi toute violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La décision de la cour illustre avec fermeté l’application d’un principe cardinal de la procédure contentieuse, réaffirmant le caractère définitif d’un jugement passé en force de chose jugée (I). Cette position a pour corollaire de limiter strictement la possibilité pour le justiciable de poursuivre le litige par des voies détournées, notamment par le biais d’une action en responsabilité (II).
I. La réaffirmation du caractère absolu de l’autorité de la chose jugée
La cour administrative d’appel de Marseille confirme sans ambiguïté la portée de l’autorité de la chose jugée, la présentant comme un obstacle infranchissable à toute nouvelle contestation (A). Elle écarte en conséquence logiquement les arguments du requérant qui tentaient de contourner l’application de ce principe fondamental (B).
A. L’exception de chose jugée, un obstacle dirimant à une nouvelle instance
La solution retenue par la cour repose sur l’identité de cause, d’objet et de parties entre la première instance, définitivement tranchée en 2020, et la nouvelle demande formée par le contribuable. Le jugement initial ayant rejeté la demande de décharge des impositions pour l’année 2012, toute nouvelle procédure visant au même but se heurte nécessairement à cette décision. La cour souligne avec force que « L’autorité de la chose jugée suffisait à justifier ce rejet, et ce, quels qu’aient été les moyens invoqués par M. B… dans les différentes instances en question ». Par cette formule, elle rappelle que l’autorité qui s’attache à un jugement n’est pas limitée aux moyens qui ont été effectivement soulevés, mais couvre l’ensemble des moyens qui auraient pu l’être pour fonder la prétention. Ainsi, le principe de concentration des moyens impose au demandeur de présenter l’intégralité de son argumentation lors de la première instance, sous peine de ne plus pouvoir s’en prévaloir ultérieurement. La motivation du jugement d’appel est à cet égard particulièrement pédagogique en ce qu’elle refuse de s’engager dans l’analyse des nouveaux moyens soulevés, considérant que le seul constat de l’existence d’un jugement définitif antérieur est suffisant.
B. Le rejet des arguments visant à contourner le principe
Le requérant tentait de remettre en cause l’autorité de la chose jugée par plusieurs biais, tous écartés par la cour. Il prétendait d’abord qu’un recours en annulation et un recours de plein contentieux n’offraient pas le même résultat. La cour balaye cet argument en adoptant les motifs du premier juge, estimant que la distinction formelle entre les types de recours est inopérante dès lors que l’objet réel de la demande, à savoir la remise en cause de l’obligation de payer l’impôt, demeure identique. Le requérant invoquait également une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La réponse de la cour est nette et s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence européenne : « L’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas un droit à la réouverture ou à la reprise d’une procédure terminée ». La cour rappelle ainsi que le droit à un procès équitable s’exerce pleinement lors de la procédure initiale et ne saurait être interprété comme offrant aux justiciables une faculté de contester indéfiniment une décision devenue définitive, ce qui priverait le principe même de sécurité juridique de toute effectivité.
Cette application rigoureuse de l’autorité de la chose jugée emporte des conséquences directes sur les autres prétentions du requérant, en particulier sa demande indemnitaire, qui se voit privée de tout fondement.
II. Les conséquences de l’autorité de la chose jugée sur les actions connexes
La décision de la cour met en lumière l’impossibilité pour un justiciable d’obtenir par une voie détournée ce qui lui a été refusé au principal. L’action en responsabilité engagée contre l’État est ainsi jugée manifestement infondée (A), consacrant la prééminence de la sécurité juridique sur la persistance du plaideur (B).
A. L’inefficacité d’une action en responsabilité fondée sur le recouvrement d’une créance légale
Le requérant sollicitait la condamnation de l’État à lui verser des dommages et intérêts en réparation des préjudices qu’il aurait subis du fait du recouvrement des impositions litigieuses. La cour rejette cette demande en des termes particulièrement clairs, relevant que le contribuable n’établit pas l’existence d’un préjudice distinct de la simple obligation d’acquitter un impôt dont la légalité a été confirmée par une décision de justice définitive. En effet, la cour précise que « M. B… n’apporte aucune précision sur les préjudices qu’il prétend avoir subis, qui doivent être distincts de ceux résultant du simple paiement des impositions en litige ». Dès lors que la créance fiscale est judiciairement établie, son recouvrement par l’administration ne peut constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Admettre le contraire reviendrait à permettre une remise en cause indirecte du bien-fondé de l’imposition, en violation de l’autorité de la chose jugée. Le raisonnement de la cour est ici empreint d’une logique implacable : une action jugée légale ne peut être la source d’un préjudice réparable.
B. La primauté de la sécurité juridique sur l’obstination du justiciable
Au-delà de son aspect technique, cet arrêt constitue une illustration du rôle essentiel du principe de l’autorité de la chose jugée comme pilier de l’État de droit. En mettant un terme définitif à un litige, il garantit la stabilité des situations juridiques et la crédibilité des décisions de justice. La cour, en refusant de céder à l’insistance du requérant, ne fait pas seulement application d’une règle de procédure ; elle réaffirme un choix de société qui privilégie l’ordre juridique et la paix sociale sur le droit d’un individu à multiplier les recours pour une seule et même affaire. La solution, bien que classique, a une valeur pédagogique certaine en ce qu’elle rappelle aux justiciables que le droit d’accès à un juge ne signifie pas le droit de faire rejuger indéfiniment une prétention. Elle consacre ainsi la finalité même de l’acte de juger, qui est de trancher les différends de manière définitive pour assurer la sécurité des relations juridiques.