Cour d’appel administrative de Marseille, le 11 juin 2025, n°24MA00966

Par un arrêt en date du 11 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une décision préfectorale obligeant un ressortissant étranger à quitter le territoire français. En l’espèce, un individu de nationalité algérienne, entré en France en 2020 alors qu’il était mineur, a été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et a suivi une formation professionnelle. Faisant l’objet d’une interpellation le 31 janvier 2024, il s’est vu notifier par le préfet du Var un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour de deux ans. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Toulon d’une demande d’annulation de cet arrêté, laquelle a été rejetée par un jugement du 21 mars 2024. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision d’éloignement était entachée d’une erreur de droit, d’un défaut de motivation, et qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il faisait valoir la possibilité d’une admission exceptionnelle au séjour et l’illégalité des décisions accessoires de refus de délai de départ volontaire et d’interdiction de retour sur le territoire. Il revenait ainsi à la cour de déterminer si une obligation de quitter le territoire français pouvait être légalement opposée à un ressortissant algérien qui, sans avoir déposé de demande de titre, invoquait des dispositions du droit commun des étrangers relatives à la régularisation, et si une telle mesure respectait son droit à une vie privée et familiale. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant que les stipulations de l’accord franco-algérien régissent de manière complète le séjour des ressortissants algériens, rendant inopérante l’invocation des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatives à l’admission exceptionnelle au séjour. Elle a en outre estimé que la mesure d’éloignement ne portait pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard de sa situation personnelle.

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’inscrit dans une stricte application des règles de droit applicables, rappelant avec fermeté le caractère exclusif du régime juridique institué par l’accord franco-algérien (I), ce qui conduit logiquement à une appréciation restreinte des éléments de la situation personnelle de l’intéressé (II).

I. La réaffirmation d’un régime juridique dérogatoire et exclusif

La cour fonde sa décision sur le postulat de la primauté de l’accord bilatéral, ce qui a pour effet de rendre inapplicables les dispositions du droit commun relatives à l’admission au séjour (A) et, par conséquent, de priver d’effectivité les moyens tirés d’un pouvoir discrétionnaire de régularisation (B).

A. L’inapplicabilité des dispositions générales du code du séjour aux ressortissants algériens

Le juge d’appel rappelle une solution constante en droit des étrangers en affirmant le caractère complet et exclusif de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 pour régir les conditions de séjour des ressortissants de cette nationalité. La cour énonce que « les stipulations de l’accord franco algérien du 27 décembre 1968 régissent d’une manière complète les conditions dans lesquelles ils peuvent être admis à séjourner en France ». Cette position de principe a pour conséquence directe de neutraliser l’argumentation du requérant fondée sur les articles L. 435-3 et L. 435-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, ces articles, qui prévoient des possibilités d’admission exceptionnelle au séjour, appartiennent au régime général du code, lequel ne s’applique qu’en l’absence de conventions internationales contraires. Le requérant ne pouvait donc utilement se prévaloir de ces dispositions, le cadre juridique de son éventuel droit au séjour étant entièrement défini par l’accord bilatéral. La décision de la cour est ainsi une application orthodoxe du principe selon lequel les règles spéciales dérogent aux règles générales.

B. L’ineffectivité des arguments fondés sur un pouvoir discrétionnaire d’admission

À titre surabondant, la cour prend soin de préciser que même si les dispositions du droit commun avaient été applicables, le moyen du requérant n’aurait pas prospéré. Elle relève que les articles invoqués « ne prescrivent pas la délivrance d’un titre de plein droit mais laissent à l’administration un large pouvoir pour apprécier si l’admission au séjour d’un étranger répond aux conditions fixées par ces dispositions ». Le juge administratif souligne ainsi que la simple faculté pour un étranger de solliciter sa régularisation sur la base d’un pouvoir discrétionnaire de l’administration ne fait pas obstacle à ce qu’une mesure d’éloignement soit prise à son encontre. Le législateur n’a pas entendu imposer au préfet d’examiner d’office la situation d’un étranger au regard de ces possibilités de régularisation avant de prononcer une obligation de quitter le territoire. Cette clarification confirme que la prérogative de l’administration en matière de police des étrangers demeure entière tant qu’aucun droit de plein droit au séjour n’est constitué, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.

Cette application rigoureuse du cadre normatif applicable détermine en grande partie l’issue de l’appréciation que la cour porte sur les autres aspects du litige, notamment ceux touchant à la situation individuelle du requérant.

II. L’appréciation limitée de la situation personnelle de l’individu

La stricte application de la règle de droit conduit la cour à exercer un contrôle restreint sur l’appréciation portée par le préfet quant à la situation personnelle du requérant, tant au regard de son droit à une vie privée et familiale (A) que de la justification des mesures accessoires à l’éloignement (B).

A. L’appréciation de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée et familiale

Conformément à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le juge procède à une balance des intérêts en présence. Il reconnaît les éléments d’intégration du requérant, notamment son entrée en France durant sa minorité, sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance et son parcours de formation. Cependant, la cour oppose à ces éléments le fait qu’il est « célibataire et sans enfant », qu’il « s’est maintenu irrégulièrement sur le sol français en dépit d’une précédente mesure d’éloignement », et qu’il « n’établit pas être dépourvu d’attaches familiales en Algérie ». Le caractère récent de la relation conjugale qu’il invoque est également minimisé. En pesant ces différents éléments, la cour conclut que l’arrêté préfectoral n’a ni entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation, ni porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée. Cette analyse factuelle, classique dans ce type de contentieux, illustre que les efforts d’intégration, même réels, peuvent être jugés insuffisants face à la précarité du séjour et à la persistance des liens avec le pays d’origine.

B. La justification des mesures accompagnant la décision d’éloignement

Le requérant contestait également le refus de délai de départ volontaire et l’interdiction de retour sur le territoire français. Sur le premier point, la cour valide le raisonnement du préfet en relevant qu’il s’est fondé sur le risque que l’étranger se soustraie à la mesure d’éloignement. Ce risque était caractérisé par le fait que l’intéressé était « entré irrégulièrement sur le territoire français sans solliciter la délivrance d’un titre de séjour » et qu’il avait « expressément déclaré son intention de ne pas quitter le territoire français ». La cour juge donc que le préfet a pu légalement refuser un délai de départ volontaire. Quant à l’interdiction de retour, sa légalité découle de celle de l’obligation de quitter le territoire et du refus de délai de départ. Les moyens tirés du défaut de base légale de cette interdiction sont par conséquent logiquement écartés. La décision démontre ici le caractère en cascade de ces mesures : la validité de la décision principale d’éloignement conditionne celle des mesures qui en sont l’accessoire.

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Hassan KOHEN
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