Cour d’appel administrative de Marseille, le 12 septembre 2025, n°24MA00408

Par un arrêt en date du 12 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur les conditions d’engagement de la responsabilité d’une collectivité territoriale pour un dommage subi par un usager d’un ouvrage public. En l’espèce, un individu a été victime d’une chute à scooter et a imputé son accident à un défaut d’entretien de la chaussée relevant de la compétence d’une métropole. Il a donc demandé au tribunal administratif la réparation des préjudices en résultant.

Le tribunal administratif de Marseille, par un jugement du 21 décembre 2023, a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la matérialité des faits était établie et que la responsabilité de la métropole pour défaut d’entretien normal était engagée. La métropole intimée a conclu au rejet de la requête, contestant la réalité des faits allégués et, subsidiairement, l’existence d’un défaut d’entretien normal tout en invoquant une faute de la victime.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si un ensemble d’éléments de preuve indirects et partiellement contradictoires est suffisant pour satisfaire à l’exigence de la preuve du lien de causalité incombant à l’usager victime d’un dommage imputé à un ouvrage public.

La cour administrative d’appel rejette la requête au motif que la victime ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre l’état de l’ouvrage public et le préjudice dont elle demande réparation. Elle juge que les pièces versées au dossier, en raison de leurs imprécisions et de leurs contradictions, ne permettent pas d’établir avec certitude les circonstances exactes de l’accident allégué.

La décision, en réaffirmant avec fermeté les exigences probatoires pesant sur la victime (I), confirme la portée limitée de la présomption de responsabilité qui pèse sur le maître d’ouvrage (II).

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I. La réaffirmation de l’exigence probatoire pesant sur l’usager victime

La cour rappelle d’abord la règle de la charge de la preuve du lien de causalité qui constitue un préalable à toute action en responsabilité (A), avant de l’appliquer de manière rigoureuse aux faits de l’espèce en constatant l’insuffisance des éléments produits par le requérant (B).

A. Le rappel du principe de la charge de la preuve du lien de causalité

L’arrêt énonce de manière didactique le régime de la responsabilité du fait d’un dommage de travaux publics. Il appartient à l’usager de l’ouvrage public d’établir l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice qu’il a subi et l’ouvrage en cause. Le régime applicable est celui d’une présomption de défaut d’entretien normal, qui dispense la victime de prouver la faute du maître de l’ouvrage. Cependant, cette présomption ne s’active qu’une fois le lien de causalité entre l’ouvrage et le dommage démontré par la victime.

Le juge administratif rappelle ainsi que la première étape du raisonnement consiste à vérifier que la victime satisfait à l’obligation qui lui incombe. C’est seulement si cette preuve est rapportée que le maître de l’ouvrage peut chercher à s’exonérer de sa responsabilité. Il peut le faire en prouvant que l’ouvrage faisait l’objet d’un entretien normal, que le dommage est imputable à la faute de la victime ou qu’il résulte d’un cas de force majeure. L’arrêt commenté se concentre exclusivement sur le premier temps de l’analyse, celui de la charge probatoire de la victime.

B. L’insuffisance d’un faisceau d’indices non concordants

Appliquant ce principe à l’espèce, la cour administrative d’appel se livre à une analyse méticuleuse des éléments de preuve fournis par le requérant. Elle relève une série de faiblesses qui, cumulées, empêchent de tenir pour établies les circonstances de l’accident. Le fait qu’aucun service d’urgence ne soit intervenu sur place et que la victime ne se soit rendue à l’hôpital que le lendemain constitue un premier indice de doute.

De plus, la cour souligne les contradictions factuelles dans le dossier, notant qu’un témoignage situe l’accident « vers 19 h » tandis que les propres déclarations de la victime, retranscrites dans un constat d’huissier, le placent « vers 22 h ». Cette incohérence temporelle fragilise la crédibilité des récits. Le juge ajoute que « les photographies annexées à ce procès-verbal ne permettent pas d’identifier à quel endroit précis aurait eu lieu d’accident ». Enfin, l’absence de toute pièce identifiant le véhicule impliqué achève de convaincre la cour du caractère lacunaire du dossier. En conséquence, les juges concluent que le requérant « ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’un lien de causalité entre l’état de l’ouvrage public et les préjudices dont il demande réparation ».

En se montrant particulièrement stricte sur l’administration de la preuve du lien de causalité, la cour administrative d’appel limite de facto le champ d’application du régime de responsabilité pour défaut d’entretien normal.

II. La portée limitée de la présomption de responsabilité du maître d’ouvrage

La solution adoptée par la cour a pour effet de faire primer le contrôle préalable des faits sur l’application de la présomption de défaut d’entretien (A), ce qui constitue un enseignement pratique majeur pour les futures victimes de dommages d’ouvrages publics (B).

A. La primauté du contrôle des faits sur la présomption de défaut d’entretien

La conséquence directe du raisonnement des juges est que la question de l’entretien de la voirie n’est jamais abordée. Le lien de causalité étant le fondement nécessaire de la responsabilité, son absence rend inutile l’examen des autres conditions, et notamment l’existence d’un éventuel défaut d’entretien normal. La présomption de responsabilité qui bénéficie en principe à l’usager d’un ouvrage public ne peut donc pas trouver à s’appliquer.

Cette approche, si elle peut paraître sévère pour la victime, garantit une saine gestion des deniers publics en écartant les demandes d’indemnisation qui reposent sur des allégations insuffisamment étayées. Elle confirme que le régime de responsabilité pour défaut d’entretien normal, bien que favorable aux victimes, ne les dispense pas d’un effort probatoire substantiel quant à la matérialité même des faits qu’elles invoquent. La rigueur du contrôle opéré par le juge administratif sur le lien de causalité agit comme un filtre puissant, protégeant les personnes publiques contre des actions contentieuses hasardeuses.

B. Un enseignement pour les victimes de dommages d’ouvrages publics

La portée de cet arrêt est avant tout pratique. Il illustre de manière concrète les diligences que doit accomplir une victime souhaitant engager la responsabilité d’un maître d’ouvrage. Face à un accident potentiellement causé par l’état d’une voie publique, il est impératif de constituer un dossier de preuve solide et immédiat. La sollicitation des services de secours ou des forces de l’ordre, la réalisation de photographies précises et datées, ou encore la collecte de témoignages concordants et établis le plus tôt possible après l’événement apparaissent comme des précautions indispensables.

Cette décision rappelle que la justice administrative n’est pas une justice d’approximation et que le doute profite en premier lieu au défendeur, ici la collectivité publique. Pour l’usager victime, la leçon est claire : une demande d’indemnisation ne peut prospérer sur la base d’un récit plausible mais non prouvé de manière certaine. La solidité des preuves factuelles conditionne l’accès même au débat sur la responsabilité de la personne publique et sur l’évaluation du préjudice.

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