Cour d’appel administrative de Marseille, le 13 mai 2025, n°23MA02832

Par un arrêt en date du 13 mai 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conditions de révision d’une pension militaire d’invalidité, tant au titre de l’aggravation d’une infirmité préexistante que de la reconnaissance d’une nouvelle pathologie. En l’espèce, un ancien militaire, titulaire d’une pension pour des séquelles au poignet et à la cheville, avait sollicité une réévaluation de sa pension en invoquant une aggravation de ses infirmités ainsi que l’apparition de douleurs dorso-lombaires. Le ministre des armées avait rejeté sa demande par une décision du 16 septembre 2019. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Marseille, par un jugement du 27 septembre 2023, a annulé le refus ministériel et a fait droit aux prétentions du requérant en fixant de nouveaux taux d’invalidité pour chaque infirmité. Le ministre a alors interjeté appel de ce jugement, limitant sa contestation aux chefs de jugement relatifs aux séquelles de la fracture de la cheville et aux douleurs dorso-lombaires. La question de droit soumise à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’aggravation d’une infirmité peut être appréciée sur la base d’éléments médicaux postérieurs à la date de la demande de révision. D’autre part, il convenait d’établir si des douleurs chroniques peuvent être qualifiées de blessure imputable au service en l’absence de preuve d’un lien de causalité direct avec un fait de service précis et déterminé. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance. Elle a jugé que l’aggravation de l’infirmité relative à la cheville ne pouvait être reconnue, les éléments probants étant postérieurs à la demande, et que, s’agissant des douleurs dorsales, la preuve d’une imputabilité au service en tant que blessure n’était pas rapportée, requalifiant de ce fait l’affection en maladie non indemnisable au taux constaté.

La décision de la cour administrative d’appel illustre la rigueur des conditions d’octroi et de révision des pensions militaires d’invalidité. Elle réaffirme de manière classique mais ferme, d’une part, le cadre temporel strict de l’appréciation de l’aggravation d’une infirmité (I) et, d’autre part, l’exigence probatoire rigoureuse pesant sur le demandeur pour établir l’imputabilité d’une nouvelle affection au service (II).

I. L’appréciation de l’aggravation de l’infirmité contenue dans un cadre temporel strict

La cour rappelle que la recevabilité d’une demande de révision pour aggravation est conditionnée par la démonstration d’une détérioration de l’état de santé à une date précise (A). Par conséquent, cette procédure ne saurait permettre une remise en cause des évaluations antérieures (B).

A. La cristallisation des droits à la date de la demande de révision

La juridiction d’appel fonde son raisonnement sur une lecture combinée des articles L. 6 et L. 29 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. Elle en déduit une règle procédurale fondamentale selon laquelle « c’est à la date du dépôt de la demande de révision de pension qu’il faut se placer pour évaluer le taux des infirmités à raison desquelles la révision est demandée ». Cette position ancre l’analyse des droits du pensionné dans une temporalité fixe, empêchant la prise en compte de toute évolution ultérieure de son état de santé dans le cadre de la même instance.

En l’espèce, l’expert désigné par l’administration avait proposé une majoration du taux d’invalidité pour les séquelles de la fracture de la cheville en se fondant notamment sur la nécessité d’un appareillage orthopédique. Or, la cour relève que les prescriptions médicales justifiant cet appareillage dataient de 2017, alors que la demande de révision avait été déposée en 2016. La cour en conclut logiquement que « ni le médecin expert ni le tribunal ne pouvaient tenir compte d’une telle gêne fonctionnelle pour apprécier l’aggravation de l’infirmité ». De même, le flexum du genou, autre élément retenu par l’expert, est écarté car son lien avec la pathologie initiale n’est pas établi à la date de la demande. La solution est sévère mais juridiquement orthodoxe, la cour veillant au respect du principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’une décision à la date à laquelle elle a été prise, principe transposé ici au contentieux de plein contentieux des pensions.

B. L’impossibilité de contester l’évaluation initiale de l’infirmité

La cour administrative d’appel profite de son analyse pour rappeler une autre règle fondamentale de la procédure de révision. Elle précise que cette voie de droit, ouverte en cas d’aggravation, ne permet pas de « remettre en cause, en l’absence d’aggravation effective, les bases de la liquidation initiale ». Un demandeur ne peut donc utilement se prévaloir d’une sous-évaluation originelle de son préjudice ou d’une description prétendument erronée de son infirmité dans les décisions de concession antérieures.

L’ancien militaire tentait de soutenir que certains aspects de sa fracture n’avaient pas été correctement pris en compte lors des précédentes évaluations. Il arguait notamment qu’une fracture tibiale observée sur les radiographies initiales n’avait jamais été indemnisée. La cour écarte cet argument comme étant inopérant dans le cadre d’une demande en révision. La finalité de cette procédure est exclusivement de constater une détérioration depuis la dernière décision de concession de pension, et non de corriger d’éventuelles erreurs passées. En agissant ainsi, la cour confirme le caractère définitif des décisions de pension et canalise le contentieux, évitant que chaque demande de révision ne se transforme en une contestation globale de l’historique médical et administratif du dossier du pensionné. La seule voie ouverte pour le militaire est alors d’introduire une nouvelle demande, comme l’y invite la cour, pour que les éléments postérieurs à 2016 soient examinés.

II. L’imputabilité de la nouvelle infirmité subordonnée à une preuve exigeante

Concernant la demande au titre des douleurs dorso-lombaires, la cour se livre à un examen tout aussi rigoureux, en s’attachant d’abord à la qualification juridique de l’affection (A), pour ensuite contrôler méticuleusement le lien de causalité avec le service (B).

A. La distinction déterminante entre la blessure et la maladie

La cour rappelle les conditions d’indemnisation posées par les articles L. 2 et L. 4 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre. L’enjeu de la distinction est de taille : une infirmité résultant d’une blessure est indemnisable dès lors que le taux d’invalidité atteint 10 %, tandis qu’une infirmité issue d’une maladie unique requiert un taux d’au moins 30 %. Pour la juridiction, la qualification de blessure est conditionnée à l’existence d’une « lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service ». À défaut, l’affection doit être qualifiée de maladie.

Dans le cas présent, l’ancien militaire rattachait ses douleurs à plusieurs accidents de service survenus au cours de sa carrière. La cour analyse cette argumentation à travers le prisme de sa propre définition de la blessure. Elle considère que l’invocation d’une série d’événements traumatiques épars sur plusieurs décennies, ou encore des contraintes générales du métier de militaire commando, ne suffit pas à caractériser le « fait précis de service » à l’origine d’une « lésion soudaine ». Cette approche restrictive vise à objectiver la notion de blessure et à la distinguer d’une pathologie d’usure ou d’apparition progressive, qui relève, elle, du régime de la maladie.

B. L’appréciation souveraine de l’insuffisance du lien de causalité

Ayant posé cette distinction, la cour examine les preuves apportées par le requérant pour chacun des faits de service invoqués. Elle constate que, pour la plupart d’entre eux, aucun document médical contemporain ne vient corroborer l’apparition de douleurs dorso-lombaires. Pour d’autres faits, bien que des traumatismes aient été constatés, la cour juge que leur ancienneté et l’absence de suivi médical continu empêchent d’établir une « filiation médicale directe » avec les douleurs dont l’indemnisation est demandée en 2016. La preuve du lien de causalité, qui incombe au demandeur en l’absence de présomption d’imputabilité, n’est donc pas rapportée.

La cour écarte également l’argumentation fondée sur les conditions générales de service, telles que « les chutes, fractures, sauts en parachute, contraintes de portage répétitives ». Elle estime que ces éléments ne constituent pas des faits de service précis mais des sujétions inhérentes au métier des armes, insusceptibles de fonder un droit à pension au titre d’une blessure. En définitive, l’infirmité est qualifiée de maladie. Le taux de 10 % proposé par l’expert et validé par le tribunal administratif étant inférieur au seuil de 30 % requis pour une maladie unique, la demande de pension est rejetée. La décision témoigne de l’exigence probatoire élevée qui pèse sur les militaires pour faire reconnaître le caractère professionnel de leurs affections, particulièrement lorsque celles-ci apparaissent longtemps après les faits invoqués.

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Hassan KOHEN
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