Par une décision en date du 14 mars 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conséquences disciplinaires d’un comportement fautif adopté par un militaire en dehors de son service. En l’espèce, un caporal-chef de la légion étrangère, engagé depuis 2004, a fait l’objet d’une condamnation pénale définitive prononcée le 23 septembre 2019 par le tribunal correctionnel de Montpellier. Il a été reconnu coupable de faits d’arrestation, d’enlèvement, de séquestration ou de détention arbitraire ainsi que de vol avec violence, et condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire. En raison de ce comportement, le commandant de la légion étrangère a prononcé, le 11 décembre 2020, la résiliation de son contrat d’engagement à titre de sanction disciplinaire. L’intéressé a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande tendant à l’annulation de cette sanction. Par un jugement du 1er décembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande, estimant la sanction justifiée. Le militaire a interjeté appel de ce jugement, soutenant que les faits, relevant de sa vie privée, ne constituaient pas un manquement à ses obligations et que la sanction était en tout état de cause disproportionnée au regard de ses qualités professionnelles. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si des agissements commis par un militaire en dehors de son service, bien que pénalement répréhensibles, sont de nature à constituer une faute disciplinaire d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation de son contrat, et ce, malgré une manière de servir jugée satisfaisante. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative et rejette la requête. Elle juge que la nature des faits commis, même sans publicité médiatique, révèle un comportement incompatible avec les devoirs d’exemplarité et de dignité inhérents à l’état militaire, portant ainsi atteinte à la réputation de l’institution. Elle considère en outre que, face à la particulière gravité de ces agissements, la sanction de résiliation du contrat n’apparaît pas disproportionnée. Cette solution confirme avec fermeté que les obligations déontologiques du militaire s’étendent au-delà du strict cadre du service (I), tout en validant une appréciation rigoureuse de la proportionnalité de la sanction face à une faute d’une gravité exceptionnelle (II).
I. L’extension des obligations militaires à la sphère privée
La décision commentée réaffirme un principe constant du droit de la fonction publique, selon lequel le comportement d’un agent en dehors de ses fonctions peut être constitutif d’une faute disciplinaire. Elle l’applique avec une particulière rigueur en considérant que la gravité intrinsèque des faits établit la faute (A) et porte nécessairement atteinte à la réputation de l’institution, indépendamment de toute publicité (B).
A. La caractérisation de la faute disciplinaire en dépit du contexte privé
Le juge administratif rappelle une solution jurisprudentielle bien établie, applicable aux fonctionnaires comme aux militaires. Le comportement d’un agent public en dehors de son service est susceptible de constituer une faute disciplinaire « s’il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l’administration ». En l’espèce, les faits pour lesquels le requérant a été condamné pénalement se sont déroulés dans un cadre strictement privé. Toutefois, la cour ne s’attache pas à rechercher un retentissement direct sur le fonctionnement interne du service, mais déduit la faute de la nature même des agissements.
En s’appuyant sur l’autorité de la chose jugée au pénal qui lie le juge administratif quant à la matérialité des faits, la cour considère que les infractions d’enlèvement, de séquestration et de vol avec violence sont, par elles-mêmes, incompatibles avec l’état militaire. Elle juge que ce comportement révèle « un manquement grave aux exigences d’exemplarité ». Cette approche consacre une conception exigeante des devoirs du militaire, qui ne sauraient être suspendus à la porte de la caserne. La faute n’est donc pas tant constituée par le préjudice causé au service que par la violation des valeurs fondamentales que tout militaire s’engage à respecter en toutes circonstances, conformément aux articles L. 4111-1 et L. 4122-3 du code de la défense.
B. L’affirmation d’une atteinte intrinsèque à la réputation de l’institution
L’un des apports notables de cet arrêt réside dans l’appréciation de l’atteinte portée à la réputation de l’institution militaire. Traditionnellement, le discrédit jeté sur l’administration est souvent apprécié au regard de la publicité donnée aux agissements fautifs, notamment par une couverture médiatique. Or, la cour prend ici le soin de préciser que la faute est constituée « alors même que ces faits n’ont pas été relayés par la presse ». Cette précision est déterminante.
Elle signifie que l’atteinte à la réputation de l’institution n’est pas subordonnée à sa connaissance par le grand public, mais peut être considérée comme inhérente à la gravité de la faute. Le simple fait qu’un militaire, dépositaire d’une parcelle de l’autorité publique et astreint à un devoir d’exemplarité, se rende coupable de crimes aussi graves suffit à ternir l’image du corps auquel il appartient. La cour considère que les agissements du requérant « révèlent un comportement incompatible avec les qualités attendues d’un caporal-chef de la légion étrangère et la dignité de ses fonctions ». L’atteinte est donc intrinsèque, car elle met en lumière une contradiction fondamentale entre le comportement de l’individu et les valeurs de l’institution.
II. La prééminence de la gravité de la faute dans le contrôle de proportionnalité
Une fois la faute caractérisée, le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle sur l’adéquation de la sanction à la gravité des faits. Dans cette affaire, la cour administrative d’appel confirme que ce contrôle, bien que plein et entier, laisse une marge d’appréciation à l’autorité disciplinaire. Elle estime que l’exceptionnelle gravité de la faute commise peut légitimement primer sur une carrière par ailleurs méritante (A), consacrant ainsi la large latitude de l’autorité administrative dans le choix de la sanction (B).
A. La portée limitée d’une manière de servir exemplaire
Pour contester la proportionnalité de la sanction, le requérant mettait en avant ses qualités professionnelles, sa « très bonne manière de servir » et l’absence de sanction disciplinaire antérieure. Il soulignait également que le conseil d’enquête avait préconisé une sanction moins sévère, à savoir la réduction de grade. Ces éléments sont de nature à être pris en compte par le juge dans son appréciation de la proportionnalité. Le juge doit en effet opérer une balance entre la gravité de la faute et l’ensemble des autres éléments du dossier, notamment le parcours professionnel de l’agent.
Néanmoins, la cour écarte cet argument en se fondant sur « la nature et de la particulière gravité des faits reprochés ». Elle juge que, face à de tels agissements, l’autorité disciplinaire n’a pas commis d’erreur d’appréciation en décidant de résilier le contrat du militaire. Cette solution démontre que si une manière de servir irréprochable constitue un élément d’appréciation important, elle ne saurait conférer une immunité disciplinaire à l’agent. Lorsque la faute atteint un certain seuil de gravité, elle peut à elle seule justifier la sanction la plus sévère, sans que les mérites passés de l’agent suffisent à l’atténuer de manière décisive.
B. L’étendue du pouvoir d’appréciation reconnu à l’autorité disciplinaire
En validant la sanction de résiliation du contrat, la cour confirme l’étendue du pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration en matière disciplinaire. Le juge de l’excès de pouvoir ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’autorité compétente ; il ne censure que l’erreur manifeste. En l’espèce, bien qu’une sanction moins lourde fût envisageable, comme le suggérait d’ailleurs le conseil d’enquête, la sanction prononcée n’a pas été jugée manifestement disproportionnée.
Il en résulte que face à une faute d’une gravité exceptionnelle, l’autorité disciplinaire dispose d’une latitude importante pour choisir la sanction qui lui paraît la plus adéquate. La résiliation du contrat, sanction du troisième groupe, constitue l’une des réponses possibles que le juge ne sanctionnera pas dès lors qu’elle ne présente pas un caractère de disproportion manifeste. L’arrêt réaffirme ainsi que le maintien du lien de confiance entre le militaire et l’institution est une condition essentielle de l’état militaire, et que la rupture de ce lien par des actes d’une particulière gravité peut légitimement conduire à la cessation des fonctions.