Par un arrêt en date du 14 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé les règles relatives à la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires non rémunérées dans la fonction publique hospitalière, tout en se prononçant sur la recevabilité d’un appel incident. En l’espèce, un agent de la fonction publique hospitalière, exerçant en qualité d’aide-soignant au sein d’une structure mobile d’urgence et de réanimation, a sollicité auprès de son employeur le paiement d’heures supplémentaires qu’il estimait avoir accomplies sur une période de quatre ans. Face au silence gardé par l’administration, valant décision implicite de rejet, l’agent a saisi le tribunal administratif de Toulon. Par un jugement du 22 février 2024, les premiers juges ont fait droit à sa demande et ont renvoyé les parties devant l’établissement hospitalier pour procéder à la liquidation de l’indemnité due au titre des heures supplémentaires. L’établissement public de santé a interjeté appel de ce jugement, soutenant qu’aucune heure supplémentaire n’était due. L’agent a, par la voie de l’appel incident, contesté le rejet par les premiers juges de sa demande distincte relative au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire. Il appartenait ainsi à la cour de se prononcer, d’une part, sur la répartition de la charge de la preuve en matière d’heures supplémentaires dans la fonction publique et, d’autre part, sur la recevabilité d’un appel incident portant sur un litige distinct de l’appel principal. La juridiction d’appel répond à la première question en infirmant le jugement de première instance ; elle juge que les éléments fournis par l’agent étaient insuffisants pour établir la réalité des heures supplémentaires revendiquées, renversant ainsi la charge de la preuve initialement supportée par l’employeur. Concernant la seconde question, elle déclare l’appel incident irrecevable au motif qu’il soulève un litige distinct de l’appel principal et a été présenté hors du délai d’appel. L’arrêt commenté présente un double intérêt. Il illustre l’application rigoureuse du régime probatoire en matière de temps de travail (I), tout en rappelant les strictes conditions de recevabilité de l’appel incident (II).
I. L’application rigoureuse du régime probatoire des heures supplémentaires
La décision de la cour administrative d’appel repose sur un mécanisme de preuve partagée qu’elle applique avec une particulière exigence, en rappelant le principe (A) avant de l’appliquer aux faits de l’espèce (B).
A. Le rappel d’un mécanisme de preuve partagée
L’arrêt énonce clairement la règle de droit applicable en cas de litige sur le temps de travail. Il précise qu’« il appartient, en premier lieu, à l’agent d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires qu’il estime avoir réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ». Ce faisant, le juge administratif consacre une solution prétorienne désormais bien établie, qui s’inspire directement du droit du travail. La charge de la preuve n’incombe pas exclusivement à l’une ou l’autre des parties. Dans un premier temps, il revient au fonctionnaire de présenter des éléments factuels qui ne se limitent pas à une simple allégation, mais qui sont assez détaillés pour constituer un commencement de preuve de sa réclamation. C’est seulement si cette première condition est remplie que la charge de la preuve se déplace vers l’employeur public. Celui-ci doit alors, à son tour, fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par son agent et, le cas échéant, le paiement des sommes correspondantes. Cette solution équilibrée vise à ne pas faire peser sur l’agent une preuve parfois impossible à rapporter seul, tout en protégeant l’employeur contre des demandes infondées.
B. L’appréciation souveraine de la force probante des éléments produits
En l’espèce, la cour estime que l’agent n’a pas satisfait à son obligation initiale. Elle juge en effet que « les plannings annuels établis au nom de l’agent pour les années 2016 à 2021, auxquels s’ajoutent d’autres documents, tel qu’un état annuel au titre de 2021 et un extrait du logiciel « Equitime » concernant tous deux d’autres agents, ne permettent pas de justifier l’existence d’heures supplémentaires demeurées impayées ». Par cette motivation, le juge d’appel exerce un contrôle concret sur la valeur probante des pièces versées au débat. Il considère que des plannings généraux ou des documents relatifs à des tiers ne sont pas suffisamment précis pour étayer une demande chiffrée portant sur plusieurs années. Inversement, la cour analyse les bulletins de paie produits par l’établissement hospitalier et constate que des heures supplémentaires ont bien été rémunérées durant la période litigieuse. Elle en conclut que l’agent « n’apporte pas d’éléments démontrant qu’il aurait effectué des heures supplémentaires qui n’auraient pas été prises en compte par les fiches de paie précitées ». La décision illustre ainsi que l’exigence d’éléments précis de la part de l’agent n’est pas purement formelle et que le juge du fond apprécie souverainement la pertinence des preuves apportées par chacune des parties pour former sa conviction.
Au-delà de la question de fond relative aux heures supplémentaires, la décision se prononce également sur un point de procédure contentieuse déterminant, en statuant sur la recevabilité de l’appel incident formé par l’agent.
II. Le rappel des conditions de recevabilité de l’appel incident
La cour écarte les conclusions incidentes de l’agent en se fondant sur deux motifs cumulatifs : leur absence de lien avec le litige principal (A) et leur tardiveté (B).
A. L’irrecevabilité des conclusions soulevant un litige distinct
L’appel principal de l’établissement hospitalier ne portait que sur la condamnation au paiement des heures supplémentaires. L’agent a tenté, par un appel incident, de contester le jugement en ce qu’il avait rejeté sa demande relative à la nouvelle bonification indiciaire. La cour juge que ces conclusions « constituent un litige distinct de l’appel principal ». Elle fait ainsi une application classique d’une règle fondamentale de la procédure d’appel. L’appel incident, qui permet à l’intimé de former lui-même un recours contre le jugement, n’est recevable que s’il se rattache à l’affaire soumise au juge par l’appel principal. Il ne peut servir de prétexte pour introduire un litige entièrement nouveau, qui aurait dû faire l’objet d’un appel principal autonome. En l’espèce, la demande relative aux heures supplémentaires et celle concernant la nouvelle bonification indiciaire reposent sur des fondements juridiques et factuels différents. Cette orthodoxie procédurale vise à garantir la cohérence du débat en appel et à éviter que le périmètre du litige ne soit indéfiniment étendu.
B. L’irrecevabilité tirée de la tardiveté de l’appel
À la première cause d’irrecevabilité, la cour en ajoute une seconde, tout aussi dirimante. Elle relève que les conclusions d’appel incident ont été présentées « au-delà de l’expiration du délai d’appel ». En effet, si l’appel incident peut être formé après l’expiration du délai d’appel de deux mois, c’est à la condition qu’il se rapporte à l’appel principal. Lorsqu’il soulève un litige distinct, il doit être considéré comme un appel principal déguisé et est donc soumis au délai de droit commun. L’agent ayant présenté son mémoire plus de deux mois après la notification du jugement, ses conclusions étaient tardives et, par conséquent, irrecevables. Cette application stricte des délais de recours répond à un impératif de sécurité juridique. Elle confirme que les règles de procédure ne sauraient être contournées et que chaque partie doit veiller à exercer ses voies de recours dans les formes et délais prescrits, sous peine de forclusion. L’arrêt, par sa double motivation, ne laisse aucune ambiguïté sur le sort des conclusions de l’agent.