Cour d’appel administrative de Marseille, le 15 septembre 2025, n°25MA00994

Par un arrêt du 15 septembre 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’octroi de l’aide matérielle pour une enfant mineure née en France dont la mère avait vu sa propre demande d’asile définitivement rejetée. En l’espèce, une ressortissante étrangère, après le rejet de sa demande d’asile et de celle de son premier enfant, a présenté une nouvelle demande pour sa fille née sur le territoire français durant la procédure initiale. L’Office français de l’immigration et de l’intégration a refusé le bénéfice des conditions matérielles d’accueil au motif qu’il s’agissait d’une demande de réexamen. Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de l’enfant, agissant par sa représentante légale. Un appel a donc été interjeté contre ce jugement. Il s’agissait de déterminer si la première demande d’asile formée pour une enfant, née après le rejet définitif de la demande de ses parents, doit être qualifiée de demande de réexamen privative du droit aux conditions matérielles d’accueil. La cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que l’administration a commis une erreur de qualification juridique en retenant une telle qualification. Elle annule par conséquent le jugement et la décision de refus de l’Office.

L’arrêt établit une distinction délicate entre la qualification théorique de la demande et son application pratique, posant d’abord un principe général rigoureux quant au statut de la demande d’asile du mineur (I), avant de neutraliser immédiatement ce principe pour aboutir à une solution d’espèce protectrice (II).

I. L’affirmation d’un principe d’assimilation de la demande du mineur à un réexamen

La cour administrative d’appel commence son raisonnement en posant une règle d’interprétation qui semble défavorable à l’enfant demandeur d’asile, en qualifiant sa situation de réexamen (A), une qualification qui apparaît cependant juridiquement contestable (B).

A. La construction d’une fiction juridique extensive

Le juge administratif expose une interprétation large des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il énonce un principe général selon lequel la demande d’asile présentée pour un enfant né après le rejet définitif de celle de ses parents doit être considérée comme une demande de réexamen. La cour affirme ainsi que « la demande ainsi présentée au nom du mineur doit alors être regardée, dans tous les cas, comme une demande de réexamen au sens de l’article L. 551-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Cette approche crée une fiction juridique où la situation procédurale des parents est étendue à leur enfant, bien que ce dernier n’ait jamais personnellement fait l’objet d’une décision antérieure. Le statut de la demande de l’enfant est ainsi directement déterminé par l’échec de la démarche de ses parents.

B. Une qualification contraire au caractère personnel du droit d’asile

Cette interprétation soulève des difficultés au regard de la lettre même des textes et des principes fondamentaux du droit d’asile. L’article L. 531-41 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile définit la demande de réexamen comme celle « présentée après qu’une décision définitive a été prise sur une demande antérieure ». Or, par définition, l’enfant pour qui une première demande est déposée n’a jamais fait l’objet d’une telle décision antérieure. Le droit de solliciter l’asile revêt un caractère strictement personnel, ce qui implique que chaque situation devrait être examinée individuellement. En liant de manière quasi automatique le sort de la demande du mineur à celle de ses parents, la cour semble ignorer ce principe, faisant de l’enfant l’héritier d’un historique procédural qui n’est pas le sien.

II. La neutralisation du principe au profit d’une solution d’espèce équitable

Après avoir énoncé une règle générale sévère, la cour refuse paradoxalement de l’appliquer au cas d’espèce (A), faisant ainsi prévaloir des considérations liées à l’intérêt supérieur de l’enfant et à la garantie de ses droits fondamentaux (B).

A. Une contradiction manifeste dans l’application du droit

De manière surprenante, le juge prend le contre-pied exact du principe qu’il vient de formuler. Sans fournir de justification pour ce revirement, l’arrêt juge que l’administration a commis une erreur en qualifiant la demande de l’enfant de demande de réexamen. Il énonce en effet que « le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a commis une erreur de qualification juridique en estimant que sa demande avait le caractère d’une demande de réexamen ». Cette affirmation contredit directement l’analyse développée au point précédent du même arrêt. Une telle dissonance dans le raisonnement suggère que la solution retenue n’est pas le fruit d’une application logique de la règle, mais relève plutôt d’une décision d’opportunité guidée par l’équité.

B. La primauté implicite de la protection de l’enfant

Cette décision, bien que fondée sur un raisonnement juridiquement fragile, atteint un objectif de protection essentiel. En qualifiant finalement la demande de première demande, elle garantit à l’enfant le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, le mettant à l’abri, ainsi que sa famille, d’une situation de dénuement extrême. La solution assure le respect des directives européennes et de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui imposent aux États de tenir compte de la vulnérabilité des demandeurs d’asile, et particulièrement des mineurs. La portée de cet arrêt réside donc moins dans sa construction juridique que dans son résultat concret, qui réaffirme l’obligation de l’administration de procéder à un examen individualisé avant de refuser une aide indispensable à la survie d’un enfant.

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Hassan KOHEN
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