Par un arrêt en date du 15 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur la légalité d’une mesure d’expulsion prise à l’encontre d’une ressortissante étrangère en raison de la menace grave que sa présence constituerait pour l’ordre public.
En l’espèce, une ressortissante étrangère, présente sur le territoire français depuis son enfance et titulaire d’une carte de résident, avait rejoint avec son époux et ses enfants une organisation terroriste en Syrie. Après son retour en France, elle fut condamnée par le tribunal correctionnel de Paris à une peine d’emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme et soustraction à ses obligations parentales. Suite à cette condamnation, le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé son expulsion du territoire français, estimant que sa présence constituait une menace grave pour l’ordre public.
Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté d’expulsion par un jugement du 26 mars 2025. Le préfet a alors interjeté appel de cette décision, soutenant que la mesure était justifiée par la menace à l’ordre public et n’emportait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de la requérante. La Cour administrative d’appel était donc confrontée à l’antagonisme entre la décision des premiers juges et la position de l’autorité préfectorale.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si une condamnation pénale pour des faits de nature terroriste, purgée pour sa partie ferme, suffit à caractériser la persistance d’une menace grave pour l’ordre public justifiant une mesure d’expulsion, nonobstant l’ancienneté du séjour de l’intéressée et la présence de ses enfants français sur le territoire.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative, annulant le jugement de première instance et validant la mesure d’expulsion. Elle juge en effet que « c’est à bon droit que le préfet a considéré que [l’intéressée] représentait une menace grave pour l’ordre public ». Elle estime également que « c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a, pour ce motif, annulé la décision d’expulsion », considérant que l’atteinte à la vie privée et familiale n’était pas disproportionnée.
La Cour administrative d’appel, pour infirmer le jugement de première instance, s’attache d’une part à consacrer une conception extensive de la menace à l’ordre public (I), et d’autre part à opérer une mise en balance restrictive des droits de l’intéressée (II).
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I. La consécration d’une conception extensive de la menace à l’ordre public
La Cour fonde son analyse de la menace à l’ordre public non seulement sur la condamnation passée (A), mais également sur une recherche d’indices révélant une absence de distanciation avec l’idéologie radicale (B).
A. Le poids déterminant de la condamnation pénale
La juridiction d’appel s’appuie de manière décisive sur les faits établis par le jugement correctionnel, lequel est « revêtu de l’autorité absolue de la chose jugée ». Elle rappelle que l’intéressée a bien rejoint une organisation terroriste en Syrie dans le but de « prendre part au djihad armé ». En se fondant sur le jugement pénal, la Cour écarte le récit de l’intéressée selon lequel son départ de la zone de combat témoignait d’une rupture avec l’organisation terroriste, qualifiant cette version de « très improbable » et contredite par des témoignages.
Le raisonnement des juges administratifs montre ainsi que la matérialité des faits jugés au pénal constitue le socle de l’appréciation de la menace. La nature et la gravité exceptionnelles des infractions commises, liées au terrorisme, suffisent à établir le principe d’une menace pour l’ordre public, sans que la peine purgée puisse à elle seule effacer cette réalité. L’arrêt confirme que des faits d’une telle nature pèsent d’un poids particulier, dispensant presque l’administration de rechercher d’autres éléments pour justifier sa décision.
B. La recherche d’indices d’une dangerosité persistante
Au-delà de la condamnation, la Cour s’attache à vérifier si l’intéressée a réellement rompu avec son passé. Elle opère un contrôle approfondi de la situation personnelle de la requérante à la date de l’arrêté préfectoral. Pour ce faire, elle s’appuie sur divers éléments du dossier, notamment un rapport d’expertise psychologique relevant son « manque de personnalité » et son « absence de culpabilité ». Cette analyse psychologique est utilisée comme un indice de la persistance potentielle d’une vulnérabilité à l’emprise idéologique.
De surcroît, la Cour relève des éléments factuels qui contredisent l’allégation d’une réinsertion achevée et d’une rupture avec le milieu radical. Elle souligne que l’intéressée était toujours mariée à son époux, également impliqué dans le projet terroriste, et restait en contact avec lui. Dès lors, face à des allégations non étayées de changement, la Cour conclut que la seule exécution de sa peine « ne saurait attester d’une distanciation réelle à l’égard de l’idéologie terroriste ». Cette approche place la charge de la preuve du changement sur l’étranger, qui doit démontrer de manière tangible et convaincante sa déradicalisation.
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II. Une application restrictive du contrôle de proportionnalité
Face à une menace jugée grave et actuelle, la Cour procède à une mise en balance des intérêts en présence qui favorise clairement la défense de l’ordre public (A), conduisant à une appréciation limitée de l’intérêt supérieur des enfants (B).
A. La prééminence de la sécurité publique sur les attaches familiales
La Cour examine l’argument tiré de l’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle reconnaît l’ancienneté du séjour de l’intéressée, arrivée en France à l’âge de huit ans, ainsi que la nationalité française de ses enfants. Cependant, elle juge que ces éléments ne sont pas suffisants pour faire obstacle à l’expulsion.
La décision est explicite sur la hiérarchie des valeurs appliquée : « compte tenu de la gravité de cette menace », les attaches familiales et la durée de la résidence en France ne peuvent prévaloir. La Cour considère que « ni la circonstance que Mme A… a vécu en France depuis l’âge de huit ans (…), ni celle que ses enfants sont de nationalité française, ne suffisent à considérer que l’arrêté d’expulsion aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ». Cette solution illustre une jurisprudence constante en matière de contentieux des étrangers, où la notion d’ordre public, lorsqu’elle est associée à un risque terroriste, bénéficie d’une considération prééminente dans le contrôle de proportionnalité.
B. La considération atténuée de l’intérêt supérieur de l’enfant
L’arrêt aborde également la question de l’intérêt supérieur des enfants, protégé par l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La Cour ne nie pas que la mesure d’expulsion affecte les enfants, mais elle estime que cette atteinte n’est pas disproportionnée. Son raisonnement repose sur l’existence d’alternatives pour les enfants, qui peuvent soit suivre leur mère dans son pays d’origine, soit demeurer en France avec leur père, qui est de nationalité française.
En outre, la Cour relève que l’intéressée dispose d’attaches familiales dans son pays de destination, où sa mère réside, et qu’elle a déjà voyagé dans ce pays avec ses enfants. Cet élément est utilisé pour minimiser la rupture que représenterait l’expulsion, suggérant une forme de continuité possible pour la vie familiale. La Cour conclut ainsi qu’il n’y a pas d’éléments probants établissant qu’un départ « porterait atteinte à leur équilibre psychique ». L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que constituant une « considération primordiale », n’est donc pas interprété comme un obstacle absolu à l’éloignement du parent, surtout lorsque la menace à la sécurité nationale est jugée particulièrement élevée.