Par un arrêt en date du 16 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les conditions de preuve de la résidence habituelle d’un ressortissant algérien sollicitant un titre de séjour sur le fondement de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. En l’espèce, un ressortissant algérien, entré sur le territoire français en 2013, a demandé la délivrance d’un certificat de résidence en invoquant une présence de plus de dix ans. Cette personne avait connu un mariage avec une ressortissante française, suivi d’un divorce, et avait déjà fait l’objet d’une première mesure d’éloignement quelques années auparavant.
La demande de titre de séjour a été rejetée par un arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 24 octobre 2023. Cet arrêté était assorti d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Marseille, qui, par un jugement du 12 février 2024, a rejeté sa requête. Le requérant a alors formé un appel devant la cour administrative d’appel de Marseille. Il soutenait principalement remplir la condition de résidence de dix ans, être inséré socialement et professionnellement, et contestait la justification de l’interdiction de retour. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si la production de pièces administratives discontinues et de déclarations de revenus sans produits pouvait suffire à établir une résidence habituelle et continue de plus de dix ans. Il s’agissait également de savoir si des éléments d’insertion professionnelle pouvaient pallier une preuve de résidence jugée insuffisante et faire obstacle aux mesures d’éloignement.
La cour administrative d’appel de Marseille rejette la requête. Elle juge que les éléments produits par le requérant ne permettent pas d’établir la réalité d’une résidence habituelle et ininterrompue durant la période requise. En conséquence, elle estime que le refus de séjour n’emporte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé et valide les mesures d’éloignement qui en découlent. La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour d’une appréciation rigoureuse de la preuve de la résidence habituelle, laquelle conditionne largement l’examen des autres moyens soulevés par le requérant.
I. L’exigence d’une preuve circonstanciée de la résidence habituelle
La cour administrative d’appel rappelle d’abord la nécessité pour l’étranger de fournir des preuves suffisantes de sa résidence continue en France. Cette démonstration conditionne l’application des dispositions protectrices de l’accord franco-algérien et ne peut être suppléée par des considérations relatives à l’insertion professionnelle lorsque le fondement de la demande est différent.
A. L’appréciation stricte de la condition de résidence décennale
Le droit au séjour du ressortissant algérien était fondé sur le 1) de l’article 6 de l’accord franco-algérien, qui prévoit la délivrance de plein droit d’un certificat de résidence à celui « qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ». La cour, examinant les pièces versées au dossier, considère que cette condition n’est pas remplie. Elle relève que les documents fournis, bien que couvrant une partie de la période, sont insuffisants pour attester d’une résidence stable. La juridiction note en effet que les preuves pour les années 2017 à 2022 consistent principalement en des documents relatifs à l’aide médicale d’État et en des avis d’imposition ne mentionnant aucun revenu.
De plus, l’arrêt souligne l’existence d’une période probatoire non justifiée entre le divorce du requérant en 2016 et un document datant de juillet 2017. Cette discontinuité dans les preuves conduit la cour à conclure que l’intéressé « ne justifie pas y avoir résidé de manière habituelle depuis plus de dix ans à la date de l’arrêté contesté ». L’appréciation des juges du fond se caractérise ainsi par une approche qualitative de la preuve. La simple production de documents administratifs ne suffit pas si ces derniers ne traduisent pas une présence effective et stable sur le territoire. La nature des pièces, comme des déclarations de revenus nulles, peut même affaiblir la prétention du demandeur en ne démontrant aucune participation à la vie économique du pays.
B. Le caractère inopérant du moyen tiré de l’insertion professionnelle
Le requérant invoquait également une promesse d’embauche dans un secteur en tension, arguant de son insertion professionnelle. La cour écarte ce moyen en le jugeant inopérant. Elle rappelle que « M. A… n’a pas sollicité sa régularisation au titre de son activité professionnelle mais a demandé la délivrance du certificat de résidence mentionné au point 2 ». Cette précision est essentielle car elle souligne le principe de la séparation des fondements juridiques d’une demande de titre de séjour. L’administration, et le juge qui la contrôle, n’ont pas à examiner la situation d’un étranger au regard de dispositions qu’il n’a pas lui-même invoquées.
Le requérant ayant fondé sa demande exclusivement sur la vie privée et familiale au titre d’une résidence de dix ans, le préfet n’était pas tenu d’examiner sa situation sous l’angle du travail. La solution est classique et rappelle que le cadre du litige est défini par les termes de la demande initiale. L’étranger ne peut, au stade du contentieux, reprocher à l’autorité administrative de ne pas avoir procédé à un examen de sa situation sur un autre fondement que celui qu’il a présenté. Cet élément démontre que la stratégie procédurale de l’administré est déterminante pour l’issue de sa demande.
II. La validation conséquente des mesures d’éloignement
Le rejet du moyen principal tiré de la résidence décennale entraîne logiquement la validation des décisions portant obligation de quitter le territoire et interdiction de retour. La cour vérifie néanmoins, au regard des circonstances personnelles du requérant, si ces mesures ne sont pas entachées d’une erreur d’appréciation.
A. L’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale
La cour examine si l’arrêté préfectoral porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour ce faire, elle procède à une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, la situation personnelle de l’intéressé, et de l’autre, les objectifs de l’autorité publique en matière de contrôle de l’immigration. Le juge constate que le requérant, entré adulte en France, est divorcé, sans charge de famille, et que la durée de son séjour de manière continue n’est pas établie.
L’arrêt relève également qu’il a déjà fait l’objet d’une précédente obligation de quitter le territoire français et que son insertion socio-professionnelle reste limitée, malgré une promesse d’embauche. Dans ces conditions, la cour conclut que le préfet « n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ». La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige une intensité particulière des liens privés et familiaux pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, surtout lorsque le séjour a été précaire et marqué par une précédente mesure administrative. L’insuffisance des preuves de résidence affaiblit considérablement l’argument tiré de l’atteinte à la vie privée.
B. La justification de l’interdiction de retour sur le territoire
Enfin, la cour se penche sur la légalité de l’interdiction de retour d’une durée d’un an qui accompagne l’obligation de quitter le territoire. Le requérant contestait cette mesure en se prévalant de sa présence habituelle de plus de dix ans. Or, cette prémisse ayant été écartée par la cour, l’argumentaire s’effondre. Le juge considère que l’intéressé « ne conteste pas utilement les motifs par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a estimé qu’il pouvait assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour ».
La motivation de la cour est ici lapidaire mais logique. La contestation de l’interdiction de retour reposait sur le même fait que celui invoqué pour le droit au séjour. L’échec à prouver ce fait rend la contestation de la mesure accessoire inefficace. La décision illustre le lien de dépendance entre la légalité du refus de séjour et celle des mesures qui en sont la conséquence. En l’absence d’autres moyens spécifiques dirigés contre les motifs propres de l’interdiction de retour, la cour ne peut que la valider.