Cour d’appel administrative de Marseille, le 16 mai 2025, n°23MA00780

Par un arrêt en date du 16 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions dans lesquelles la responsabilité d’un établissement public de santé peut être engagée au titre d’une infection nosocomiale. En l’espèce, un patient avait subi une intervention chirurgicale dans un centre hospitalier public avant d’être transféré dans une clinique de rééducation. C’est au cours de ce second séjour qu’une infection est apparue sur la plaie opératoire, dont la cicatrisation était initialement favorable. L’infection a nécessité une nouvelle intervention chirurgicale au sein du premier établissement, au cours de laquelle un germe a été identifié.

La procédure contentieuse présente une complexité notable. Le patient a d’abord recherché la responsabilité de la clinique de rééducation devant le juge judiciaire. Une expertise a été ordonnée dans ce cadre, concluant à l’origine nosocomiale de l’infection imputable au centre hospitalier public, tout en retenant une faute de la clinique dans le retard de prise en charge. Le tribunal judiciaire a condamné la clinique uniquement pour ce retard. Fort de ce rapport, le patient a ensuite saisi le tribunal administratif d’une demande d’indemnisation contre le centre hospitalier. Les premiers juges ont fait droit à sa demande, retenant la responsabilité de l’établissement public sur la base de l’expertise. Le centre hospitalier a alors interjeté appel, contestant la valeur probante du rapport d’expertise qui n’avait pas été mené contradictoirement à son égard.

Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel dans quelle mesure un rapport d’expertise, ordonné dans le cadre d’une instance distincte et diligenté sans la participation d’une des parties, peut fonder la conviction du juge administratif pour retenir la responsabilité de cette dernière.

La cour juge qu’un tel rapport, bien que régulièrement versé aux débats, ne peut être retenu que comme un simple élément d’information dont les conclusions doivent être corroborées par d’autres pièces du dossier. Constatant que les conclusions de l’expert sur l’origine de l’infection n’étaient étayées par aucun autre élément et que les faits de l’espèce semaient un doute sur le caractère nosocomial de l’infection contractée dans l’établissement public, la cour décide d’ordonner une nouvelle expertise avant de statuer au fond.

Cette décision, en rappelant les conditions strictes de recevabilité d’une expertise non contradictoire (I), illustre la volonté du juge de ne pas statuer en l’état d’un doute probatoire sérieux en usant de ses pouvoirs d’instruction (II).

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I. Le rappel des conditions d’opposabilité d’une expertise non contradictoire

La cour administrative d’appel réaffirme sa position classique quant à la force probante limitée d’un rapport d’expertise conduit en l’absence d’une partie (A), avant de l’appliquer à l’espèce pour écarter les conclusions de l’expert fautes d’éléments les corroborant (B).

**A. La valeur probante conditionnée au principe du contradictoire**

Le juge administratif rappelle une règle bien établie en matière de preuve, selon laquelle le respect du principe du contradictoire conditionne la valeur d’une expertise. Il énonce ainsi que « lorsqu’une expertise est entachée d’une méconnaissance de ce principe ou lorsqu’elle a été ordonnée dans le cadre d’un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s’ils sont soumis au débat contradictoire en cours d’instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu’ils ont le caractère d’éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d’éléments d’information dès lors qu’ils sont corroborés par d’autres éléments du dossier ».

Cette formulation consacre une approche nuancée. Elle n’écarte pas par principe un rapport diligenté en l’absence d’une partie, mais en limite considérablement la portée. Seuls les éléments factuels et non contestés peuvent être retenus sans réserve. En revanche, les analyses et conclusions de l’expert, qui constituent le cœur de son travail, sont déclassées au rang de simple information. Pour acquérir une véritable force probante, elles doivent impérativement être confirmées par d’autres pièces du dossier. Le juge se montre ainsi gardien du débat contradictoire, garant d’une justice équitable, en refusant qu’une partie puisse se voir opposer des conclusions techniques qu’elle n’a pas été en mesure de discuter.

**B. L’application rigoureuse du principe en l’espèce**

En l’espèce, la cour applique cette règle avec une grande rigueur. Elle constate que le rapport d’expertise, bien que soumis au débat contradictoire devant elle, n’a pas été mené en présence du centre hospitalier requérant. Partant, ses conclusions sur l’origine nosocomiale de l’infection ne peuvent suffire à elles seules à engager la responsabilité de l’établissement.

Le juge examine alors si d’autres éléments du dossier viennent étayer la thèse de l’expert. Son analyse le conduit à une conclusion négative. Plus encore, la cour relève que « les éléments de fait exposés au point précédent, montrant notamment que les premiers signes de l’infection ne se sont manifestés qu’après l’ablation des fils de suture au centre de rééducation […] et presque trois semaines après l’intervention chirurgicale subie au centre hospitalier », sont de nature à jeter un doute sérieux sur l’imputabilité de l’infection à l’établissement public. Loin de corroborer le rapport, les faits tels qu’ils ressortent du dossier semblent même fragiliser l’analyse de l’expert. L’incertitude demeure donc entière quant à l’origine du germe, ce qui interdit au juge de confirmer la condamnation prononcée en première instance.

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Face à cette incertitude probatoire, la cour opte pour une mesure d’instruction, une solution qui témoigne du rôle actif du juge dans la recherche de la vérité (II), tout en suspendant sa décision sur le fond du litige (A).

II. Le recours à une nouvelle expertise comme réponse à l’incertitude probatoire

La décision de la cour de ne pas trancher immédiatement le litige révèle une approche pragmatique. Elle constate l’impossibilité d’établir la responsabilité en l’état du dossier (A) et use de ses prérogatives pour ordonner une mesure d’instruction complémentaire (B).

**A. L’impossibilité de statuer au fond en l’état du dossier**

La conséquence directe du raisonnement de la cour est que la preuve de l’origine nosocomiale de l’infection, au sens de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, n’est pas rapportée à l’encontre du centre hospitalier. Le lien de causalité entre l’hospitalisation et l’infection demeure hypothétique. Dans ces conditions, la cour aurait pu annuler le jugement de première instance et rejeter la demande de la victime, en application des règles de charge de la preuve.

Une telle solution aurait cependant été sévère pour le patient, potentiellement privé d’indemnisation en raison d’une difficulté probatoire complexe. L’enjeu technique et médical du litige, centré sur la détermination de l’origine d’une bactérie, rendait particulièrement délicate la manifestation de la vérité pour les parties seules. La cour refuse de se satisfaire de cette incertitude et de faire peser sur la seule victime le risque de la preuve. Elle choisit une voie alternative, celle de l’instruction, pour se forger sa propre conviction.

**B. L’usage des pouvoirs d’instruction pour la manifestation de la vérité**

En décidant « d’ordonner une nouvelle expertise pour déterminer l’origine du germe », la cour use de son pouvoir d’ordonner toute mesure d’instruction qui lui paraît nécessaire. Cette décision « avant dire droit » manifeste la conception active que le juge administratif se fait de son office. Plutôt que d’être un simple arbitre des preuves apportées par les parties, il devient un acteur de leur production.

Cette solution est particulièrement adaptée aux contentieux de la responsabilité médicale, où la vérité scientifique est souvent difficile à établir. En confiant une mission à un expert infectiologue et en s’assurant que cette nouvelle expertise sera pleinement contradictoire à l’égard de toutes les parties impliquées, y compris la clinique de rééducation, la cour se donne les moyens de trancher le litige de manière éclairée. Elle suspend ainsi sa décision sur la responsabilité et l’indemnisation, dans l’attente des conclusions du nouveau rapport, garantissant ainsi un juste équilibre entre les droits de la victime et le respect des garanties procédurales dues à l’établissement de santé.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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