Cour d’appel administrative de Marseille, le 16 mai 2025, n°23MA00794

Par un arrêt en date du 16 mai 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la caractérisation du harcèlement moral au sein de la fonction publique et sur les conditions d’engagement de la responsabilité d’un employeur public. En l’espèce, une agente titulaire, attachée territoriale au sein d’un service départemental d’incendie et de secours, estimait être victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral et de diverses fautes commises par son employeur dans la gestion de sa carrière et de sa rémunération. Elle avait préalablement obtenu, par un jugement du tribunal administratif de Nice du 16 octobre 2019, l’annulation de la décision fixant le montant de son indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise. Forte de cette première décision, l’agente a sollicité de son employeur l’octroi de la protection fonctionnelle ainsi que l’indemnisation de ses préjudices. Face au silence gardé par l’administration, valant décisions implicites de rejet, elle a saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande tendant à l’annulation de ces refus et à la condamnation du service à l’indemniser. Le tribunal ayant rejeté l’ensemble de ses prétentions par un jugement du 31 janvier 2023, la requérante a interjeté appel de cette décision. Elle soutenait que les premiers juges avaient commis des erreurs de droit et d’appréciation, et réitérait ses allégations de harcèlement moral et de fautes distinctes de l’administration. Se posait alors à la cour la question de savoir si un ensemble de faits, comprenant une erreur administrative reconnue et ultérieurement corrigée, ainsi que des décisions défavorables en matière de carrière, pouvaient, par leur accumulation, caractériser une situation de harcèlement moral engageant la responsabilité de l’employeur. La cour administrative d’appel y répond par la négative, considérant que les éléments soumis, même appréciés dans leur globalité, ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement. Elle écarte par conséquent la responsabilité de l’administration à ce titre, tout comme elle rejette les fautes alléguées concernant la gestion de la carrière de l’agente. Cette décision illustre la rigueur de l’appréciation du juge administratif face à des allégations de harcèlement moral (I), tout en réaffirmant les principes encadrant la responsabilité de l’administration pour ses décisions de gestion (II).

I. Le rejet rigoureux de la qualification de harcèlement moral

La cour, pour écarter la qualification de harcèlement moral, applique avec méthode le régime probatoire spécifique à cette matière (A), avant de procéder à une analyse détaillée des faits qui exclut toute intention malveillante de la part de l’administration (B).

A. L’application du régime probatoire aménagé

La décision rappelle utilement le mécanisme de preuve partagée applicable en matière de harcèlement moral, conformément aux dispositions de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Il incombe à l’agent « de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ». C’est seulement si cette première condition est remplie qu’il revient ensuite à l’administration de démontrer « que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ». Le juge forme sa conviction au vu de cet échange contradictoire. En l’espèce, la cour examine chaque élément avancé par la requérante pour déterminer s’ils sont, pris ensemble, de nature à faire naître une présomption.

Cette démarche conduit le juge à ne pas se contenter d’une simple allégation, mais à exiger la présentation de faits précis, matériels et concordants. La cour refuse ainsi de considérer que la seule accumulation de décisions administratives défavorables suffit à présumer un harcèlement. Elle se livre à un examen circonstancié de chaque grief, illustrant que le premier filtre de la présomption n’est pas une simple formalité. En procédant ainsi, la cour confirme une approche jurisprudentielle constante qui vise à distinguer les situations de véritable harcèlement des conflits professionnels ou des simples difficultés de carrière, même lorsque celles-ci résultent d’erreurs de l’administration.

B. Une appréciation des faits exclusive de toute volonté de nuire

L’analyse des faits par la cour est particulièrement éclairante. Concernant l’erreur commise dans le classement de l’emploi de l’agente, qui a eu pour conséquence un montant d’indemnité inférieur à ce qu’il aurait dû être, la cour juge que cette faute « ne saurait révéler, à elle seule, une volonté de nuire à la requérante ». La portée de l’erreur est d’autant plus relativisée que l’administration a procédé à une régularisation rétroactive en exécution d’un premier jugement. Ainsi, une faute administrative, même avérée, ne bascule pas automatiquement dans la catégorie des agissements constitutifs de harcèlement, surtout lorsque l’intention de nuire n’est pas établie.

De même, l’épisode de la promotion au grade d’attaché principal proposée en 2018 est révélateur. L’agente a refusé cette promotion, la qualifiant d’« honorifique ». La cour retourne l’argument en considérant que la proposition de l’employeur, visant à « favoriser la promotion des agents méritants arrivant en fin de carrière », ne saurait constituer « un comportement inadéquat ou discriminatoire ». Le refus de l’agente elle-même vide ainsi de sa substance le grief qu’elle formule. Cet arrêt démontre que pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements doivent non seulement être répétés mais aussi « excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », ce qui n’est manifestement pas le cas ici.

II. La confirmation de l’absence de faute dans la gestion de la carrière

Au-delà du harcèlement moral, la cour examine les autres fautes alléguées par la requérante, réaffirmant le large pouvoir d’appréciation de l’administration en matière d’avancement (A) et soulignant l’effet libératoire de la régularisation d’une illégalité (B).

A. Le pouvoir d’appréciation de l’autorité territoriale en matière d’avancement

La requérante reprochait à son employeur de ne pas l’avoir promue au grade d’attaché principal en 2019 et 2021. La cour rejette fermement ce moyen en rappelant un principe fondamental de la fonction publique : « l’avancement de grade et l’inscription préalable au tableau élaboré à cette fin ne constituent pas un droit pour l’agent, alors même qu’il remplit les conditions d’ancienneté pour y prétendre ». La décision de promotion relève de l’appréciation de l’autorité territoriale, qui opère un choix en fonction de la valeur professionnelle et des mérites comparés des agents.

La cour note que la requérante n’était pas inscrite au tableau d’avancement pour les années concernées et qu’elle « n’a pas engagé de démarches afin de candidater à un poste comportant des responsabilités supérieures », alors même que sa hiérarchie l’y avait encouragée. Ce faisant, le juge souligne que l’agent a aussi un rôle à jouer dans sa propre progression de carrière. En l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des agents promus, la responsabilité de l’administration ne peut être engagée. Cette solution réaffirme la limite du contrôle du juge sur les décisions de gestion des ressources humaines, qui ne censure que les illégalités manifestes.

B. La neutralisation du préjudice par la régularisation rétroactive de la faute

La cour se penche enfin sur la demande d’indemnisation du préjudice moral qui serait né de la faute commise dans la fixation initiale de l’indemnité de fonctions. Elle reconnaît que « le SDIS des Alpes-Maritimes a commis une faute dans la classification de l’emploi ». Cependant, elle constate que l’administration « a procédé rétroactivement à la régularisation de la situation de la requérante à compter du 1er janvier 2017 ». De cette correction intégrale, la cour tire une conséquence juridique logique : le préjudice a disparu.

Cette analyse est une application classique de la théorie de la responsabilité administrative, qui exige pour toute indemnisation la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. En l’espèce, la régularisation a effacé le préjudice financier. Quant au préjudice moral, la cour estime que la correction de l’erreur suffit à le compenser, rejetant ainsi la demande d’indemnisation à ce titre. La faute, bien que réelle, ne peut donc ouvrir droit à réparation dès lors que ses conséquences dommageables ont été entièrement et rétroactivement effacées par l’administration elle-même.

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Hassan KOHEN
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