Par un arrêt en date du 17 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a rejeté la requête d’un ressortissant étranger dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Marseille ayant validé la décision préfectorale lui refusant la délivrance d’un titre de séjour et l’obligeant à quitter le territoire français.
En l’espèce, un individu de nationalité sénégalaise, entré en France en 2017 muni d’un visa de court séjour, avait sollicité en 2022 son admission au séjour au titre d’une activité salariée. Le préfet compétent a rejeté sa demande par un arrêté du 18 juillet 2024, au motif que l’intéressé avait fait usage d’une fausse carte d’identité portugaise pour se maintenir sur le territoire et y travailler. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté par un jugement du 27 janvier 2025. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment l’irrégularité de la procédure suivie par les premiers juges, qui auraient procédé à une substitution de base légale non sollicitée, ainsi qu’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Il convenait donc pour la Cour administrative d’appel de déterminer si l’usage de faux documents administratifs par un étranger pouvait légalement fonder un refus de séjour, et si une telle décision portait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, compte tenu de ses attaches en France.
La Cour administrative d’appel de Marseille a répondu par l’affirmative, en confirmant la légalité de la décision préfectorale. Elle a d’une part considéré que les faits d’usage de faux documents constituaient un motif valable de refus, et que la substitution de motifs opérée par le tribunal était régulière. D’autre part, elle a jugé que le refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, eu égard aux conditions frauduleuses de son séjour et à l’absence d’obstacle à la reconstitution de sa cellule familiale dans son pays d’origine.
La décision commentée illustre avec clarté la rigueur avec laquelle le juge administratif appréhende la situation de l’étranger ayant usé de manœuvres frauduleuses pour obtenir ou conserver un droit au séjour. Ainsi, la Cour consolide fermement les motifs justifiant le refus de titre de séjour (I), avant de procéder à une application restrictive des garanties liées à la vie privée et familiale (II).
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I. La consolidation des motifs justifiant le refus de séjour
La Cour administrative d’appel de Marseille s’attache à sécuriser la décision administrative en validant non seulement le motif initial tiré de la fraude commise par le requérant (A), mais également en confirmant la légalité d’un motif subsidiaire invoqué en cours d’instance (B).
**A. La sanction de la fraude comme juste fondement du refus de séjour**
La décision préfectorale contestée reposait principalement sur le fait que le demandeur avait utilisé un document falsifié pour justifier de sa situation en France. La Cour confirme sans équivoque la pertinence de ce fondement, en relevant que « le préfet des Bouches-du-Rhône pouvait légalement, à raison de ces faits, non contestés, d’usage de faux documents administratifs, rejeter sa demande d’admission au séjour en qualité de salarié ». Ce faisant, elle applique les dispositions de l’article L. 432-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui autorisent le refus de titre de séjour à un étranger ayant commis des faits l’exposant à des condamnations pour faux et usage de faux.
Cette position réaffirme un principe fondamental selon lequel nulle prérogative ne peut être obtenue par la fraude. L’appréciation de l’administration n’est pas seulement une faculté, elle apparaît comme une conséquence directe de la déloyauté de l’administré. En validant ce motif, le juge administratif rappelle que l’examen d’une demande de régularisation ne saurait faire abstraction des conditions dans lesquelles l’étranger s’est maintenu sur le territoire. La reconnaissance des faits par l’intéressé lui-même vient renforcer la solidité de la motivation de l’administration, rendant difficile toute contestation sur ce point. La solution s’inscrit dans une logique de moralisation des relations entre l’administration et les administrés, où la probité de ces derniers constitue une condition implicite à l’octroi d’un droit.
**B. La légalisation de la décision par une substitution de motifs opérée à bon droit**
Au-delà de la confirmation du motif principal, la Cour examine le moyen tiré de l’irrégularité du jugement de première instance, qui aurait procédé d’office à une substitution de base légale. L’appelant soutenait que le tribunal avait outrepassé ses pouvoirs en retenant un motif non invoqué par le préfet. La Cour écarte ce grief en constatant que le préfet avait bien, dans son mémoire en défense, sollicité une telle substitution en faisant valoir que l’étranger ne justifiait pas du visa de long séjour requis par les stipulations de la convention franco-sénégalaise. Elle juge ainsi que « le tribunal n’a pas, contrairement à ce qui est soutenu par l’appelant, procédé d’office à cette substitution de motifs ».
Cette analyse permet à la Cour de conclure que, « en tout état de cause, le refus de séjour en litige pouvait légalement être fondé sur » l’absence de visa de long séjour. Cette double motivation confère à la décision une assise particulièrement robuste. Quand bien même le premier motif aurait été jugé insuffisant, le second aurait suffi à justifier légalement le refus. Cet arrêt illustre l’utilité de la technique de la substitution de motifs, qui permet au juge de valider un acte administratif en se fondant sur un motif de droit différent de celui initialement retenu, à la condition que l’administration en ait fait la demande et que cette substitution ne prive pas le requérant d’une garantie. En l’espèce, la solution renforce la position de l’administration et démontre une forme de pragmatisme de la part du juge, soucieux de l’économie processuelle.
II. L’appréciation restrictive des liens privés et familiaux au regard des conditions du séjour
Face aux arguments du requérant tirés de sa situation personnelle, la Cour administrative d’appel adopte une position stricte, en considérant que l’insertion professionnelle obtenue frauduleusement est inopérante (A) et en appliquant une conception classique du droit au respect de la vie privée et familiale (B).
**A. La neutralisation de l’insertion professionnelle par l’illégalité de son origine**
Le requérant mettait en avant son activité professionnelle exercée dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée pour démontrer son insertion dans la société française. Traditionnellement, une telle stabilité professionnelle est un élément d’appréciation important dans l’examen d’une demande de séjour. Toutefois, la Cour balaye cet argument en soulignant que l’intéressé a obtenu ses emplois en se prévalant indûment d’une fausse nationalité. Elle en déduit que « cette activité professionnelle ne saurait, dans ces conditions, caractériser une insertion personnelle et sociale notable de l’intéressé en France ».
Cette approche est significative car elle prive de toute valeur un critère d’intégration habituellement déterminant. Le juge estime que l’insertion ne peut être reconnue lorsqu’elle puise sa source dans une illégalité. En d’autres termes, les fruits d’un comportement frauduleux ne sauraient être invoqués pour en obtenir la régularisation. Cette position rigoureuse a une portée pédagogique claire : elle signifie aux étrangers que la construction d’un projet de vie en France doit reposer sur des bases légales saines pour être prise en considération. La décision témoigne d’une volonté de ne pas créer un appel d’air en validant des situations consolidées par des manœuvres illicites, si anciennes et stables soient-elles.
**B. L’interprétation classique du droit à une vie familiale normale**
Le requérant invoquait également son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il faisait valoir sa vie maritale avec une compatriote et la naissance d’un enfant sur le territoire français. La Cour, pour écarter ce moyen, recourt à un raisonnement bien établi en droit des étrangers. Elle constate que l’épouse est également de nationalité sénégalaise et en situation irrégulière, et conclut qu’il « ne fait état d’aucun obstacle à ce que la cellule familiale qu’il forme avec son épouse, également de nationalité sénégalaise et en situation irrégulière en France, et leur enfant, se poursuive dans le pays dont ils ont tous les trois la nationalité ».
Cette motivation illustre le contrôle de proportionnalité opéré par le juge. L’ingérence dans la vie familiale que constitue le refus de séjour est jugée proportionnée aux buts poursuivis, notamment la défense de l’ordre public et la prévention des infractions pénales. L’existence d’attaches familiales en France n’est pas, en soi, suffisante pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, dès lors que la vie familiale peut se reconstituer ailleurs. De même, l’intérêt supérieur de l’enfant est écarté au motif que la décision n’a ni pour objet ni pour effet de le séparer de ses parents. Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de faire du droit à la vie familiale un droit inconditionnel au séjour et qui réserve son application la plus protectrice aux cas où la rupture de la cellule familiale serait avérée et insurmontable.