Cour d’appel administrative de Marseille, le 18 septembre 2025, n°24MA00059

Par un arrêt en date du 18 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé les conditions de restitution d’une taxe sur la valeur ajoutée acquittée en application d’une disposition nationale jugée incompatible avec le droit de l’Union européenne.

En l’espèce, une exploitation agricole exerçant une activité d’élevage de chevaux de course a perçu des gains à la suite de classements obtenus lors de compétitions. Ces sommes ont été soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, que la société a acquittée pour l’année 2018 avant d’en réclamer ultérieurement la restitution auprès de l’administration fiscale.

La société a saisi le tribunal administratif de Marseille afin d’obtenir le remboursement de la taxe versée. Par un jugement du 10 novembre 2023, sa demande fut rejetée. La société a alors interjeté appel de cette décision, faisant valoir que les gains de course ne constituaient pas des opérations imposables à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du droit de l’Union européenne. Elle soutenait que les dispositions du code général des impôts ne pouvaient faire obstacle à la restitution d’une taxe perçue sur la base d’une norme contraire à ce droit. L’administration fiscale, pour sa part, opposait que la taxe mentionnée sur une facture était due par cela même, et que la restitution était conditionnée à l’émission de factures rectificatives afin d’écarter tout risque de perte de recettes pour l’État.

Il revenait ainsi à la Cour administrative d’appel de déterminer si un assujetti pouvait obtenir la restitution d’une taxe sur la valeur ajoutée, acquittée sur le fondement d’une disposition nationale incompatible avec le droit de l’Union, sans avoir préalablement régularisé la facturation erronée qui exposait l’administration à une perte de recettes fiscales.

La Cour rejette la requête de la société. Elle reconnaît d’abord que les gains de course ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Toutefois, elle juge que la taxe mentionnée à tort sur une facture reste due tant que l’assujetti n’a pas accompli les démarches nécessaires pour éliminer le risque de déduction de cette taxe par le cocontractant, et donc le risque de perte de recettes pour le budget de l’État.

La décision commentée confirme ainsi une solution classique où le principe de primauté du droit de l’Union est reconnu, mais son application est tempérée par les exigences de la procédure fiscale nationale. Si le droit à restitution découlant de l’incompatibilité de la loi fiscale française est consacré (I), sa mise en œuvre demeure subordonnée à la neutralisation du risque de perte de recettes fiscales (II).

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I. La consécration du droit à restitution fondé sur l’incompatibilité du droit interne avec la directive TVA

La Cour administrative d’appel commence son raisonnement par la reconnaissance du caractère non imposable des gains de course, ce qui résulte d’une application directe de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (A). Cette position consacre l’inopposabilité de la législation fiscale nationale contraire à la directive (B).

A. L’exclusion des gains de course du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée

La Cour rappelle la solution dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 10 novembre 2016, selon laquelle « ne constitue pas une prestation de services effectuée à titre onéreux » la mise à disposition d’un cheval pour une course lorsque la seule contrepartie éventuelle est un prix de classement. Le versement d’un tel prix dépend en effet d’un aléa sportif et ne rémunère pas directement un service rendu à l’organisateur. La taxe sur la valeur ajoutée ne s’applique qu’aux opérations impliquant un lien direct entre le service fourni et la contrepartie reçue.

En l’absence d’une telle contrepartie certaine, les gains perçus par l’écurie ne peuvent être considérés comme la rémunération d’une prestation de services. Le juge administratif s’aligne donc sans réserve sur cette interprétation, soulignant que l’administration fiscale elle-même « ne conteste pas en défense » ce point. L’analyse est fidèle à la logique du système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui ne vise que la consommation et les échanges économiques effectifs.

B. L’incompatibilité de la législation française et la mise à l’écart de la loi nationale

La conséquence directe de cette interprétation est l’incompatibilité des dispositions du droit interne alors en vigueur avec les objectifs de la directive du 28 novembre 2006. En l’espèce, l’article 257 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige, soumettait expressément ces gains à la taxe. La Cour constate que cette disposition nationale méconnaît l’article 2 de la directive TVA et en prononce logiquement la mise à l’écart pour la période litigieuse.

Cette démarche illustre parfaitement le principe de primauté du droit de l’Union européenne. Le juge national, agissant en tant que juge de droit commun de l’application de ce droit, a l’obligation d’écarter toute norme nationale contraire à une directive d’effet direct. En affirmant que la directive « impose d’écarter ces dispositions aux gains perçus », la Cour ouvre la voie au droit à restitution pour le contribuable, qui a versé un impôt sur la base d’une loi inapplicable.

Toutefois, la reconnaissance de ce droit de principe ne suffit pas à garantir son effectivité, le juge introduisant des conditions procédurales strictes qui en limitent la portée.

II. La subordination de la restitution de la taxe aux exigences de la neutralité fiscale

Malgré l’illégalité de l’imposition, la Cour rejette la demande de restitution en se fondant sur une disposition de procédure fiscale nationale. Elle justifie cette position par la nécessité de prévenir un risque de perte de recettes pour l’État (A), faisant ainsi peser sur le contribuable la charge de la régularisation (B).

A. La justification de l’obstacle procédural par la prévention d’une perte de recettes fiscales

La Cour oppose à la société requérante les dispositions de l’article 283 du code général des impôts, selon lesquelles « toute personne qui mentionne la taxe sur la valeur ajoutée sur une facture est redevable de la taxe du seul fait de sa facturation ». Ce mécanisme vise à assurer la continuité de la chaîne de déduction et à garantir la neutralité de l’impôt. Si la société organisatrice des courses a déduit la taxe qui lui a été facturée par l’écurie, un remboursement accordé à cette dernière sans régularisation entraînerait une perte nette pour le Trésor public.

Pour légitimer cette règle procédurale face au principe de primauté du droit de l’Union, la Cour s’appuie sur la jurisprudence européenne elle-même. Elle cite les arrêts *Genius Holding* et *Stadeco BV*, qui admettent que les États membres puissent subordonner la régularisation d’une taxe indûment facturée à des conditions visant à « éliminer, en temps utile, complètement le risque de pertes de recettes fiscales ». Le principe de neutralité de la taxe, fondamental en droit de l’Union, ne saurait ainsi justifier un enrichissement sans cause du contribuable ou une perte sèche pour l’État.

B. La charge de la régularisation pesant sur le contribuable

En pratique, la Cour exige de la société requérante qu’elle démontre avoir procédé à cette régularisation, notamment par l’émission de factures rectificatives ou par toute autre démarche de même portée. Or, elle constate que la société « n’a engagé aucune démarche tendant à la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été indûment facturée ». N’ayant pas éliminé le risque fiscal, elle ne peut prétendre à la restitution.

Cette solution, bien que rigoureuse, apparaît conforme à la logique du système de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle place la responsabilité de la correction des erreurs de facturation sur les opérateurs économiques eux-mêmes. La décision rappelle ainsi que le droit à restitution, même fondé sur une non-conformité du droit national au droit de l’Union, n’est pas absolu. Son exercice est conditionné au respect des mécanismes qui garantissent la neutralité de l’impôt et la protection des deniers publics. La Cour confirme que l’invocabilité d’une norme européenne ne dispense pas le contribuable de ses obligations procédurales nationales lorsque celles-ci sont compatibles avec les objectifs du droit de l’Union.

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