Par un arrêt en date du 18 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé un jugement du tribunal administratif de Marseille qui avait déclaré irrecevable la demande d’un contribuable. Cette décision aborde la question procédurale de la qualification d’un courrier adressé à l’administration fiscale, déterminant ainsi l’accès du justiciable au juge de l’impôt.
En l’espèce, un contribuable estimant que sa résidence fiscale se situait au Mexique en application de la convention fiscale franco-mexicaine, et non en France, avait adressé un courrier à l’administration le 30 juillet 2021. Dans cette lettre, il demandait la rectification de ses déclarations fiscales pour les années 2018 à 2020 et le transfert de son dossier au service des impôts des non-résidents. Suite au rejet de sa demande par une décision du 25 janvier 2022, le contribuable a saisi le tribunal administratif de Marseille. Par un jugement du 17 octobre 2024, cette juridiction a rejeté sa requête comme irrecevable, au motif qu’elle ne tendait pas à obtenir la décharge d’une imposition mais visait à faire reconnaître sa qualité de résident fiscal mexicain. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que son courrier initial constituait bien une réclamation contentieuse.
Il revenait ainsi à la Cour administrative d’appel de déterminer si un courrier demandant la reconnaissance d’un statut de non-résident fiscal et la rectification des déclarations afférentes, sans contester un montant chiffré d’imposition, pouvait être qualifié de réclamation contentieuse au sens des dispositions du livre des procédures fiscales.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge que le courrier du contribuable, « compte tenu de son objet, qui vise notamment à contester par des moyens de droit le montant de l’impôt sur le revenu », constituait une réclamation contentieuse. Par conséquent, elle annule le jugement du tribunal administratif de Marseille pour irrégularité et renvoie l’affaire devant cette même juridiction afin qu’elle soit jugée au fond. Cette solution rappelle la nécessité d’une interprétation fonctionnelle de la réclamation préalable (I), garantissant ainsi le droit à un recours effectif pour le contribuable (II).
I. L’interprétation fonctionnelle de la réclamation contentieuse
La Cour administrative d’appel, en censurant l’analyse des premiers juges, consacre une approche pragmatique de la réclamation préalable, fondée sur l’objet réel de la demande du contribuable (A) plutôt que sur son formalisme apparent (B).
A. Le rejet d’une qualification littérale
Le tribunal administratif de Marseille avait adopté une lecture restrictive de la demande du requérant. Il avait estimé que celle-ci visait à obtenir une déclaration de principe sur son statut fiscal, et non la décharge ou la réduction d’une imposition précise. Cette analyse procédait d’une distinction stricte entre une action en déclaration et un contentieux de pleine juridiction, lequel suppose la contestation d’une créance fiscale. En jugeant la demande irrecevable, le tribunal a fait prévaloir la forme de la demande sur son but ultime.
La Cour administrative d’appel prend le contrepied de ce raisonnement. Elle ne s’arrête pas à la formulation employée par le contribuable, qui demandait à être reconnu comme « résident fiscal mexicain ». Au contraire, elle recherche l’objectif concret poursuivi par ce dernier. En se référant à l’ensemble du courrier, la Cour observe que la demande de reconnaissance du statut de non-résident n’était que le moyen juridique pour parvenir à une fin précise : la rectification du calcul de son impôt sur le revenu pour les années concernées. Cette méthode d’interprétation permet de dépasser les apparences pour s’attacher à la substance même de la contestation.
B. La caractérisation par la substance de la contestation
Pour qualifier le courrier de réclamation contentieuse, la Cour s’appuie sur plusieurs éléments matériels qui en révèlent la nature. Elle relève que le contribuable visait à « contester par des moyens de droit le montant de l’impôt sur le revenu ». Cette contestation était étayée par l’invocation d’une norme juridique précise, à savoir la convention fiscale franco-mexicaine, et se rapportait à des impositions déterminées, celles des années 2018 à 2020. De plus, la production des déclarations fiscales mexicaines en pièces jointes attestait de la volonté de remettre en cause le bien-fondé de l’imposition française.
La Cour établit ainsi que la réunion de ces éléments – la désignation des impositions contestées, même implicitement, et l’exposé des moyens de fait et de droit – suffit à constituer une réclamation contentieuse au sens des articles L. 190 et R. 190-1 du livre des procédures fiscales. La demande annexe de transfert du dossier au service des non-résidents n’altère pas cette qualification, car elle n’est que la conséquence logique de la contestation principale. Cette décision clarifie que l’essentiel réside dans l’intention du contribuable de remettre en cause le principe ou le calcul de son assujettissement à l’impôt.
II. La consécration du droit à un recours effectif
En annulant le jugement d’irrecevabilité, la Cour garantit l’accès du contribuable au juge de l’impôt (A), tout en adressant un signal pragmatique aux juridictions et à l’administration quant à l’appréciation des démarches des justiciables (B).
A. La garantie de l’accès au juge de l’impôt
La décision du tribunal administratif de Marseille, si elle avait été confirmée, aurait eu pour conséquence de priver le requérant de toute possibilité de faire examiner ses arguments sur le fond. En lui opposant une irrecevabilité pour un motif purement procédural, les premiers juges fermaient la voie à un débat sur l’application de la convention fiscale et sur la détermination de sa résidence fiscale. Une telle solution aurait créé un obstacle excessif à l’exercice de son droit au recours.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel restaure ce droit fondamental. En qualifiant la lettre de réclamation contentieuse, elle rend la demande de première instance recevable et impose au tribunal de se prononcer sur le bien-fondé des prétentions du requérant. La solution retenue s’inscrit ainsi dans le respect du droit à un procès équitable, qui implique que le justiciable puisse voir sa cause entendue par un juge lorsque sa contestation est sérieuse et suffisamment caractérisée, même si elle est formulée de manière imparfaite. Le renvoi de l’affaire devant le tribunal administratif assure que le litige sera tranché sur le fond, conformément à la mission du juge de l’impôt.
B. La portée pragmatique de la solution
Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt porte une signification pratique importante. Il rappelle à l’administration fiscale et aux juges du fond que l’examen de la recevabilité d’une réclamation ne doit pas s’enfermer dans un formalisme excessif. Il les invite à une lecture bienveillante et globale des courriers des contribuables, lesquels ne maîtrisent pas toujours la terminologie juridique précise. Cette approche est d’autant plus justifiée que la procédure fiscale préalable est conçue pour permettre un dialogue entre l’administration et le contribuable avant toute saisine du juge.
En conséquence, cette décision constitue une jurisprudence utile pour les contribuables qui contestent le principe même de leur assujettissement à l’impôt en France en raison de leur situation internationale. Elle confirme qu’une demande claire, même si elle n’est pas chiffrée, visant à faire appliquer les critères d’une convention fiscale pour des années déterminées, ouvre la voie du contentieux. Elle renforce ainsi la sécurité juridique des justiciables en évitant que des erreurs de formulation ne leur soient fatalement préjudiciables.