La cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 19 juin 2025, un arrêt précisant l’articulation entre l’éloignement et le choix du pays de renvoi. Un ressortissant biélorusse, entré en France en 2019, vivait en concubinage avec une ressortissante ukrainienne, mère de leurs deux enfants nés sur le territoire. Par un arrêté du 25 juin 2024, le préfet des Alpes-Maritimes l’a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé son pays d’origine comme destination. Le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 30 août 2024, dont l’intéressé a relevé appel. Le requérant soutenait que la mesure d’éloignement méconnaissait son droit à être entendu, l’intérêt supérieur de ses enfants et son droit à une vie familiale. La juridiction d’appel devait déterminer si l’exécution d’une mesure d’éloignement vers le pays d’origine peut légalement briser l’unité d’une famille composée de parents de nationalités différentes. La cour confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire mais annule la décision fixant le pays de destination pour violation des stipulations conventionnelles protectrices.
I. La validation de la mesure d’éloignement au regard du droit au séjour
A. La régularité formelle et procédurale de l’obligation de quitter le territoire
La cour administrative d’appel de Marseille écarte d’abord les moyens relatifs à la motivation et à la procédure suivies par l’autorité préfectorale lors de l’édiction de l’acte. Les juges considèrent que la décision comporte « l’énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde », répondant ainsi aux exigences de forme. Concernant le droit d’être entendu, le juge d’appel rappelle qu’un manquement n’entache d’illégalité la décision que s’il a effectivement privé l’intéressé d’une défense utile. En l’espèce, le requérant n’apportait aucun élément nouveau susceptible d’influer sur le sens de la décision, ce qui rendait le moyen relatif à la procédure inopérant. La juridiction d’appel souligne ainsi que le respect des droits de la défense s’apprécie au regard des circonstances concrètes de l’espèce et non de manière abstraite. Cette approche pragmatique permet de maintenir l’efficacité des mesures d’éloignement tout en garantissant un contrôle minimal sur la régularité de la procédure administrative suivie.
B. L’absence d’atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale
L’analyse de la légalité de l’obligation de quitter le territoire se poursuit par l’examen de l’atteinte portée au respect de la vie privée et familiale. Malgré une présence en France depuis 2019 et la naissance de deux enfants, la cour estime que la mesure d’éloignement n’est pas disproportionnée. Les juges relèvent que la compagne de l’intéressé fait également l’objet d’une mesure d’éloignement définitive, ce qui permet théoriquement la reconstitution de la cellule familiale hors de France. La cour précise que la décision « n’a, en elle-même, ni pour objet, ni pour effet, d’entraîner la séparation des enfants de l’un de leurs parents ». L’insertion professionnelle invoquée, limitée à la création d’une micro-entreprise de location de véhicules, a été jugée insuffisante pour caractériser une intégration exceptionnelle. Le contrôle opéré par le juge reste ici classique, distinguant le principe même du départ forcé de ses modalités concrètes d’exécution vers un pays déterminé.
II. L’illégalité de la fixation du pays de destination au regard de l’unité familiale
A. La reconnaissance d’une violation de l’article 8 de la Convention européenne
Si la mesure d’éloignement est validée, la cour administrative d’appel de Marseille exerce un contrôle distinct et plus rigoureux sur le choix du pays de renvoi. Les juges constatent que le requérant est biélorusse tandis que sa compagne est ukrainienne, rendant leur admission commune dans l’un ou l’autre pays très incertaine. L’exécution de la décision vers la Biélorussie « aura pour effet, dans les circonstances particulières de l’espèce, de le séparer de sa compagne, voire de ses enfants ». La cour en déduit que cette décision porte au droit au respect de la vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle fut prise. Cette solution illustre la protection concrète des liens familiaux lorsque l’administration ignore les obstacles matériels et juridiques faisant obstacle au maintien de l’unité familiale. Le juge d’appel sanctionne ainsi une erreur d’appréciation manifeste du préfet qui n’avait pas envisagé les conséquences de la mixité nationale du couple.
B. La portée de l’annulation cantonnée à la décision de renvoi
L’annulation prononcée par la cour est strictement limitée à la décision fixant le pays de destination, laissant subsister l’obligation de quitter le territoire français. L’arrêt précise que « l’exécution du présent arrêt, qui annule la seule décision fixant le pays de destination, n’implique aucune mesure d’exécution » ou de régularisation. L’intéressé demeure donc sous le coup d’une mesure d’éloignement valide, mais l’administration se trouve dans l’impossibilité juridique de l’exécuter vers son pays d’origine. Cette situation paradoxale oblige l’autorité administrative à rechercher un pays tiers d’accueil ou à différer l’exécution de la mesure tant que l’unité familiale est menacée. La cour confirme également l’interdiction de retour sur le territoire français, soulignant que l’illégalité du pays de destination ne contamine pas les autres volets de l’arrêté. Ce morcellement du contrôle juridictionnel assure un équilibre entre la fermeté des politiques migratoires et le respect scrupuleux des droits fondamentaux garantis par les conventions internationales.