Cour d’appel administrative de Marseille, le 20 décembre 2024, n°22MA02482

Par un arrêt en date du 20 décembre 2024, la cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur l’étendue de la responsabilité d’un établissement hospitalier public à la suite d’une intervention chirurgicale ayant entraîné des complications dommageables pour une patiente.

Une patiente a subi une intervention chirurgicale du rachis dans un centre hospitalier public, au cours de laquelle une vis a été mal positionnée, provoquant des lésions neurologiques. Une seconde opération a été nécessaire pour corriger l’erreur, mais la patiente a conservé des séquelles invalidantes. Elle a alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir réparation de ses préjudices. Le tribunal administratif de Marseille, par un jugement du 18 juillet 2022, a retenu la responsabilité pour faute de l’établissement mais a écarté le manquement à l’obligation d’information, allouant une indemnisation partielle. Le centre hospitalier a interjeté appel de cette décision, contestant toute faute de sa part. La patiente a formé un appel incident, sollicitant la reconnaissance d’un défaut d’information et une réévaluation à la hausse de ses préjudices.

Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si le mauvais positionnement d’un dispositif médical lors d’une opération constituait une faute technique de nature à engager la responsabilité de l’hôpital. En outre, la cour devait examiner si l’absence de preuve d’une information délivrée à la patiente sur les risques de l’intervention pouvait justifier une indemnisation, alors même que le dommage subi résultait non pas de la réalisation d’un de ces risques, mais d’une faute distincte.

La cour administrative d’appel confirme la responsabilité pour faute de l’établissement, considérant que la maladresse chirurgicale ne s’analyse pas en un simple aléa thérapeutique. Elle écarte cependant toute indemnisation au titre du défaut d’information, jugeant que le lien de causalité entre ce manquement et le préjudice subi n’est pas établi.

L’arrêt permet ainsi de réaffirmer la qualification de la faute médicale dans l’appréciation du geste chirurgical (I), tout en appliquant une conception stricte du lien de causalité pour écarter la réparation d’un préjudice d’impréparation déconnecté du dommage réalisé (II).

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I. La consolidation de la responsabilité hospitalière fondée sur la faute technique

La cour administrative d’appel retient la pleine responsabilité de l’établissement public en se fondant sur une appréciation rigoureuse de la faute commise lors de l’acte chirurgical. Elle qualifie sans équivoque la maladresse opératoire de faute (A), ce qui la conduit à rejeter les arguments visant à diluer la causalité et à confirmer une obligation de réparation intégrale (B).

A. La qualification de la maladresse chirurgicale en faute

Le centre hospitalier tentait de s’exonérer de sa responsabilité en soutenant que le positionnement ectopique de la vis relevait d’une complication fréquente et inhérente à la technique employée, et non d’une maladresse fautive du praticien. L’argument visait à placer le dommage sur le terrain de l’aléa thérapeutique, non indemnisable en l’absence de faute. La cour écarte cette analyse en s’appropriant les conclusions de l’expertise judiciaire. Elle affirme que « le mauvais positionnement de la vis […] résulte d’une erreur dans l’exécution du geste chirurgical que le praticien était en mesure de constater lors de l’intervention et constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ». Ce faisant, elle distingue clairement le risque inhérent à un acte médical de l’erreur commise dans sa réalisation. La faute n’est pas la survenance d’une complication, mais le fait que celle-ci découle d’un geste que la diligence du chirurgien aurait dû permettre d’éviter ou, à tout le moins, de déceler et de corriger immédiatement. Le critère réside dans la capacité du professionnel à identifier son erreur au cours même de l’acte, ce qui ancre la faute dans un manquement aux règles de l’art.

B. Le rejet des causes d’exonération et l’affirmation du lien de causalité exclusif

Pour contester sa responsabilité, l’établissement hospitalier s’appuyait sur un avis médical critique à l’égard du rapport d’expertise, suggérant des inexactitudes scientifiques dans l’analyse des lésions. La cour administrative d’appel balaye cet argument en relevant qu’il n’est « ni démontré, ni même soutenu que ces lésions auraient une autre origine que l’exécution fautive du geste chirurgical ». Cette approche pragmatique réaffirme la prééminence du lien causal direct et certain. Dès lors que la faute est établie et qu’aucune autre cause du dommage n’est prouvée par le défendeur, la faute est présumée être à l’origine de l’intégralité des préjudices qui en découlent. La cour en déduit logiquement que le centre hospitalier « est donc tenu, ainsi que l’ont retenu à bon droit les premiers juges, de réparer l’intégralité des préjudices en résultant ». Cette solution illustre la portée du principe de réparation intégrale en matière de responsabilité médicale : une fois la faute prouvée comme étant la source des complications, l’auteur du dommage doit en assumer toutes les conséquences, sans qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres fondements de responsabilité potentiels, tel le défaut d’organisation du service également invoqué par la victime.

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II. L’exclusion de l’indemnisation du défaut d’information en l’absence de lien causal pertinent

L’arrêt se distingue particulièrement par sa motivation relative au manquement à l’obligation d’information. Bien que la cour reconnaisse sans peine la défaillance de l’hôpital sur ce point (A), elle en neutralise les effets en refusant toute indemnisation, faute d’un lien de causalité adéquat entre ce manquement et le dommage effectivement subi par la patiente (B).

A. La reconnaissance du manquement à l’obligation d’information

Conformément à l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, il appartient au professionnel de santé de prouver que l’information due au patient a été correctement délivrée. En l’espèce, le centre hospitalier affirmait qu’une fiche de consentement avait été signée, mais il s’est avéré incapable de la produire. Face à cette carence probatoire, la cour constate logiquement le manquement. Elle relève que l’établissement « ne produit pas de feuille de consentement signée par l’intéressée ou aucune autre pièce permettant de rapporter la preuve que l’information a été délivrée à cette dernière dans les conditions prévues ». Cette position est une application classique et rigoureuse de la loi, qui fait peser la charge de la preuve sur le débiteur de l’obligation d’information. La faute est donc établie sur ce fondement, mais son aptitude à ouvrir droit à réparation dépendait de son lien avec le préjudice.

B. La neutralisation des effets du manquement par une application stricte de la causalité

La patiente sollicitait la réparation d’un préjudice d’impréparation, distinct de la perte de chance de refuser l’intervention. Ce préjudice autonome vise à indemniser la souffrance morale résultant du fait de découvrir les conséquences d’un acte médical sans y avoir été psychologiquement préparé. La cour admet le principe de ce préjudice mais en circonscrit fermement les conditions d’indemnisation. Elle juge que « les dommages subis par Mme E… ne résultent pas de la réalisation de ce risque qui n’a pas été porté à sa connaissance mais d’une faute dans la réalisation du geste médical ». Le raisonnement est le suivant : le préjudice d’impréparation ne peut être indemnisé que lorsque le dommage qui se réalise correspond à un risque normalement prévisible inhérent à l’intervention, risque sur lequel le patient aurait dû être informé. Or, en l’espèce, le dommage ne provient pas d’un tel risque, mais d’une faute technique, événement par nature anormal et imprévisible pour le patient. Dès lors, la cour conclut à « l’absence de lien de causalité direct et certain entre la faute [de défaut d’information] et les dommages subis ». Cette interprétation rigoureuse du lien de causalité empêche que le manquement à l’obligation d’information ouvre droit à une réparation quasi automatique et le cantonne aux seules hypothèses où le dommage est la concrétisation exacte du risque tu.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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