La cour administrative d’appel de Marseille, par une décision du 20 décembre 2024, traite du contentieux indemnitaire lié au harcèlement moral d’un agent public. Un agent contractuel, recruté comme juriste par une collectivité locale, demandait réparation des préjudices nés du non-renouvellement de son contrat et d’une dégradation de ses conditions de travail. Le tribunal administratif de Toulon ayant rejeté sa demande, l’agent a interjeté appel en invoquant l’irrégularité du jugement et l’existence d’agissements répétés constitutifs de harcèlement. La juridiction d’appel devait alors se prononcer sur l’admissibilité de preuves obtenues clandestinement et sur la réalité du harcèlement invoqué par l’agent. Le juge administratif annule le premier jugement pour vice de procédure mais rejette les conclusions indemnitaires après avoir analysé les faits au fond. L’analyse portera d’abord sur la régularité de la procédure et l’admissibilité des preuves, avant d’examiner le bien-fondé de la qualification de harcèlement moral.
I. La recevabilité des preuves et la régularité de la procédure contentieuse
A. L’annulation du jugement pour méconnaissance du principe du contradictoire Le juge d’appel censure d’abord le jugement de première instance en raison d’un défaut de communication d’un mémoire produit peu avant la clôture de l’instruction. Cette pièce contenait des éléments nouveaux, notamment des enregistrements audio, que les premiers juges ont visés sans toutefois les analyser ou les communiquer à la défense. Selon la cour, « le jugement a été rendu à la suite d’une procédure irrégulière » car ces éléments étaient susceptibles d’exercer une influence sur la solution du litige. Le respect du contradictoire impose effectivement que chaque partie puisse discuter l’ensemble des pièces versées au dossier avant que la décision ne soit rendue.
B. L’admission prétorienne des enregistrements sonores réalisés à l’insu des tiers La décision apporte une précision majeure concernant les modes de preuve en admettant que « les enregistrements audio produits par la requérante peuvent […] être régulièrement pris en compte par le juge ». Cette admissibilité demeure valable même si les propos ont été captés clandestinement, sous réserve d’éventuelles poursuites disciplinaires ou pénales à l’encontre de l’agent. Le juge administratif confirme ainsi une approche pragmatique de la preuve, privilégiant la recherche de la vérité matérielle sur la loyauté de l’obtention des pièces. Cette souplesse probatoire précède logiquement l’étude des éléments matériels soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.
II. L’appréciation souveraine de l’absence de harcèlement moral et l’intérêt du service
A. La mise en œuvre de la charge de la preuve partagée entre les parties Le juge rappelle la méthodologie classique selon laquelle l’agent doit soumettre des faits laissant présumer un harcèlement, l’administration devant ensuite démontrer qu’ils sont justifiés. En l’espèce, l’agent invoquait le retrait de certaines responsabilités, des difficultés matérielles de communication et un isolement géographique dans un bâtiment annexe de la collectivité. La cour estime cependant que ces éléments, pris isolément ou cumulativement, ne permettent pas de « faire présumer l’existence d’agissements de harcèlement moral » dont l’agent aurait été victime. La conviction du magistrat se forge au terme d’un échange contradictoire où chaque grief est confronté aux justifications apportées par l’autorité administrative.
B. La primauté de la réorganisation administrative sur les allégations de l’agent La cour juge que le non-renouvellement du contrat s’explique par le maintien en poste d’un titulaire, constituant ainsi une décision prise uniquement « dans l’intérêt du service ». Les changements de missions et de fiches de poste résultaient d’une volonté municipale de réorganisation globale plutôt que d’une intention malveillante ou d’une sanction déguisée. Le juge note également que la commune a pris les mesures nécessaires pour protéger l’agent face au comportement fautif d’un collègue déjà sanctionné disciplinairement. L’absence de volonté de nuire écarte définitivement toute responsabilité de la personne publique, malgré le sentiment de dégradation ressenti subjectivement par l’agent contractuel.