Par une décision en date du 20 décembre 2024, une cour administrative d’appel se prononce sur les conséquences procédurales d’un dégrèvement fiscal accordé en cours d’instance. En l’espèce, une société a fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre de deux exercices. Estimant ces impositions injustifiées, elle a saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande en décharge des montants réclamés. Postérieurement à l’introduction de cette requête, mais avant que le tribunal ne statue, l’administration fiscale a prononcé un dégrèvement total des impositions litigieuses. Néanmoins, par un jugement du 25 mai 2023, le tribunal administratif a rejeté la demande de la société sans constater que celle-ci était devenue sans objet. La société a interjeté appel de ce jugement, arguant que les premiers juges auraient dû prononcer un non-lieu à statuer et qu’ils avaient, en outre, statué au-delà de leurs prérogatives. Se posait alors à la cour la question de savoir quelle sanction appliquer à un jugement statuant au fond sur un litige dont l’objet avait disparu avant qu’il ne soit rendu. La cour administrative d’appel répond en annulant le jugement du tribunal. Faisant usage de son pouvoir d’évocation, elle constate qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande initiale de la société, devenue sans objet en première instance, et condamne l’État à verser une somme au titre des frais de justice.
La solution retenue par la cour, classique dans son principe, rappelle avec fermeté les conséquences attachées à la disparition de l’objet d’un recours contentieux. Ainsi, il convient d’analyser l’annulation inévitable du jugement de première instance (I), avant d’étudier les suites logiques que le juge d’appel a tirées de cette cassation (II).
I. L’annulation prononcée, sanction d’un manquement à l’office du juge
L’annulation du jugement du tribunal administratif de Nice résulte directement de la disparition de l’objet du litige avant l’intervention de sa décision (A), ce qui a constitué une erreur de droit que le juge d’appel se devait de censurer (B).
A. La disparition de l’objet du litige en cours de première instance
Le non-lieu à statuer est une règle de procédure fondamentale selon laquelle le juge, saisi d’un litige, est dessaisi de son office lorsque l’objet de la contestation disparaît. En matière fiscale, cela se produit typiquement lorsque l’administration, après l’introduction d’un recours par un contribuable, accorde à ce dernier le dégrèvement total des impositions qu’il contestait. L’acte administratif faisant grief, à savoir l’avis d’imposition, est alors rétroactivement anéanti, privant la requête de sa raison d’être. Dans le cas présent, la cour relève qu’« il résulte de l’instruction que, par une décision du 13 mars 2023, postérieure à l’enregistrement de la demande de la SASU Partnership devant le tribunal administratif, le directeur de contrôle fiscal Sud-Est Outre-Mer a dégrevé la requérante de la totalité des impositions en litige ». Cette décision de l’administration, intervenue plus de deux mois avant le jugement du tribunal, a entièrement satisfait la société requérante, rendant sans objet la poursuite de l’instance. Le tribunal n’avait donc plus de matière sur laquelle se prononcer.
B. La censure de l’erreur de droit commise par les premiers juges
En ne tenant pas compte du dégrèvement total intervenu en cours d’instance et en statuant au fond sur la demande de la société, le tribunal administratif de Nice a méconnu son office. Il lui appartenait, le cas échéant d’office après avoir provoqué les observations des parties, de constater que la requête était devenue sans objet et de prononcer un non-lieu à statuer. En jugeant que la demande devait être rejetée, non seulement le tribunal a rendu une décision sur un litige qui n’existait plus, mais il a également créé une situation juridiquement incohérente, rejetant une demande déjà satisfaite par ailleurs. La cour administrative d’appel tire la seule conséquence possible de cette défaillance en affirmant que « le jugement attaqué, qui y a statué le 25 mai 2023 doit, dès lors, être annulé ». L’annulation n’est donc pas une appréciation de la valeur des motifs du jugement, mais la sanction automatique et nécessaire de l’ignorance par les premiers juges de la disparition de l’objet du litige.
Une fois le jugement annulé, il revenait à la cour de régler l’affaire au fond, ce qu’elle a fait en tirant toutes les conséquences de la situation procédurale, tant sur le sort de la demande initiale que sur la charge des frais de procès.
II. Les conséquences de l’annulation tirées par le juge d’appel
Après avoir annulé le jugement, la cour use de son pouvoir d’évocation pour clore définitivement le litige principal (A) et statue de manière équitable sur les frais engagés par la requérante (B).
A. Le règlement du litige par la voie de l’évocation
L’annulation d’un jugement a normalement pour effet de renvoyer l’affaire devant la même juridiction pour qu’elle statue à nouveau. Cependant, dans un souci de bonne administration de la justice et pour éviter des délais inutiles, le juge d’appel peut évoquer l’affaire et la juger directement, surtout lorsque la situation ne nécessite aucune instruction supplémentaire. C’est la voie choisie par la cour, qui constate qu’un renvoi au tribunal administratif serait sans objet, puisque ce dernier ne pourrait que prononcer un non-lieu. La cour déclare donc qu’« il y a lieu pour la Cour d’évoquer les conclusions de la demande ainsi devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de constater qu’il n’y a pas lieu d’y statuer ». Par cette démarche, la cour administrative d’appel se substitue aux premiers juges défaillants et applique la solution qui aurait dû être retenue dès l’origine, clôturant ainsi le débat sur la décharge des impositions.
B. La condamnation de l’État aux frais de justice, expression d’une forme d’équité procédurale
Bien que la société n’obtienne pas de jugement sur le fond de sa demande, elle obtient gain de cause sur la question des frais de justice. La cour décide qu’« il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais engagés par la SASU Partnership ». Cette condamnation, fondée sur l’article L. 761-1 du code de justice administrative, n’est pas automatique. Elle révèle une appréciation par le juge des responsabilités dans l’engagement et la poursuite du contentieux. En l’espèce, la requête initiale a été rendue nécessaire par une décision de l’administration fiscale. Le fait que cette dernière ait ensuite annulé sa propre décision pour accorder le dégrèvement peut être interprété comme une reconnaissance implicite du bien-fondé de la contestation du contribuable. Dans ces conditions, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société les frais qu’elle a dû exposer pour se défendre. La décision de la cour sur ce point rétablit un équilibre, en considérant que la partie qui est à l’origine du litige et qui y met fin en revenant sur sa position doit supporter les conséquences financières de la procédure.