Cour d’appel administrative de Marseille, le 20 décembre 2024, n°24MA01995

Par un arrêt en date du 20 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur le point de départ de la prescription quadriennale applicable à l’action en responsabilité de l’État pour un préjudice lié à une exposition à l’amiante.

En l’espèce, un militaire ayant servi dans la marine nationale de 1983 à 1998 a été exposé à des poussières d’amiante. Une attestation d’exposition, datée du 4 février 2008, a été établie par la direction du personnel militaire de la marine, listant ses affectations dans des formations renfermant de l’amiante. Le 9 novembre 2016, l’intéressé a formé une réclamation préalable auprès du ministre des armées, demandant l’indemnisation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence. Face au rejet implicite de sa demande, il a saisi le tribunal administratif de Toulon, qui a rejeté sa requête par un jugement du 13 juin 2024 au motif que sa créance était prescrite. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’administration n’établissait pas la date de notification de l’attestation d’exposition et que le fait de retenir la date d’établissement de ce document comme point de départ du délai de prescription portait atteinte à son droit à un recours effectif.

La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si la date d’établissement d’une attestation d’exposition à l’amiante peut être considérée comme le point de départ du délai de prescription quadriennale, même en l’absence de preuve par l’administration de la date de notification effective de ce document au créancier.

La Cour administrative d’appel de Marseille rejette la requête, considérant que la créance est prescrite. Elle juge que l’intéressé doit être regardé comme ayant eu connaissance de l’étendue du risque à l’origine de son préjudice à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de l’attestation d’exposition. Elle estime que cette attestation, établie à sa demande, lui est nécessairement parvenue au cours de l’année 2008, faisant ainsi courir le délai de prescription à compter du 1er janvier 2009.

Cette décision conduit à examiner la méthode retenue par le juge pour fixer le point de départ de la prescription quadriennale (I), avant d’apprécier la conformité de cette solution rigoureuse au regard des garanties procédurales fondamentales (II).

I. La consolidation du préjudice d’anxiété comme point de départ de la prescription

La Cour s’attache à définir le moment où la créance du requérant peut être considérée comme acquise, en se fondant sur l’attestation d’exposition pour déterminer la connaissance du préjudice (A), avant de poser une présomption de réception de ce document par son destinataire (B).

A. Le rôle de l’attestation d’exposition dans la connaissance du risque

Conformément à l’avis du Conseil d’État du 19 avril 2022, un droit de créance est acquis « à la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées ». La Cour applique ce principe en liant la connaissance du préjudice à la possession de l’attestation d’exposition. Ce document administratif, prévu par le décret du 18 juin 2013, a pour finalité de permettre à un ancien militaire de bénéficier d’une surveillance médicale post-professionnelle.

Toutefois, par son contenu, l’attestation dépasse cette seule fonction. En énumérant précisément « les périodes d’affectation du militaire sur des bâtiments renfermant des matériaux contenant de l’amiante », elle informe son destinataire de la matérialité et de la durée de son exposition. Le juge en déduit que la connaissance de ce document permet au militaire de prendre conscience de « l’étendue du risque à l’origine du préjudice moral (anxiété) et des troubles dans les conditions de l’existence dont il demande la réparation ». C’est à cet instant que le préjudice, bien que continu, devient suffisamment certain pour que le droit à réparation soit considéré comme acquis et que le délai de prescription commence à courir.

B. La présomption de réception de l’attestation établie à la demande du militaire

Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur la détermination de la date de connaissance effective de l’attestation. Le requérant arguait que le fardeau de la preuve de la notification reposait sur l’administration. La Cour écarte cet argument en se fondant sur les circonstances de délivrance du document. Elle relève que l’attestation, datée de 2008, est largement postérieure à la fin de carrière du requérant en 1998, et qu’elle « doit être regardée comme résultant nécessairement d’une demande » de sa part.

Partant de ce constat, la Cour opère un renversement de la charge de la preuve. Elle souligne qu’aucun texte n’impose une notification par lettre recommandée ou contre récépissé pour ce type de document. Elle en conclut que le militaire, « qui ne fait état d’aucune raison pour laquelle ce document, délivré à sa demande, ne lui serait pas parvenu dans le délai d’acheminement normal, doit être regardé comme ayant eu connaissance de l’étendue du risque ». La connaissance est ainsi présumée intervenue au cours de l’année 2008, sans qu’il soit nécessaire pour l’administration d’en rapporter la preuve formelle. Cette approche pragmatique permet de fixer un point de départ tangible à la prescription.

II. Une application rigoureuse de la prescription confrontée aux garanties procédurales

La solution retenue par la Cour, si elle assure la sécurité juridique, n’en est pas moins questionnée par le requérant au regard des droits fondamentaux. Le juge administratif confirme cependant la compatibilité de sa lecture de la loi de 1968 avec le droit à un procès équitable (A) et le droit à un recours effectif (B).

A. Le respect du droit à un procès équitable

Le requérant soutenait que fixer le point de départ du délai de prescription à la date de l’attestation, sans preuve de sa réception, méconnaissait l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour rejette cette argumentation en rappelant la finalité de la prescription quadriennale. Elle souligne que les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 ont été édictées dans un « but d’intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique de l’Etat ».

Le juge rappelle également que le droit à un procès équitable « n’est pas absolu et peut se prêter à des limitations ». Tel est le cas des règles relatives aux délais de recours, à condition qu’elles ne restreignent pas l’accès au juge d’une manière qui porterait atteinte à la substance même du droit. En l’espèce, la Cour estime que le délai de quatre ans n’est pas « exagérément court » et que le requérant disposait d’un temps suffisant pour agir. L’application de la prescription ne constitue donc pas une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal.

B. L’absence d’atteinte au droit à un recours effectif

Dans le prolongement de son argumentation, le requérant invoquait une violation de l’article 13 de la même convention, qui garantit le droit à un recours effectif. Selon lui, en lui opposant la prescription dans ces conditions, il était privé de la possibilité concrète de faire valoir ses droits devant une instance nationale.

La Cour écarte également ce moyen par un raisonnement similaire. Elle constate que le délai de prescription de quatre ans « n’a pas eu pour effet de priver M. A… de la possibilité de saisir un tribunal du litige l’opposant à l’Etat ». Le requérant avait, à compter de l’année 2009, une période raisonnable pour introduire sa réclamation. La forclusion de son action ne résulte pas d’une impossibilité d’agir, mais d’une inaction prolongée au-delà du délai légal. En confirmant l’orthodoxie de l’application de la loi de 1968, la Cour réaffirme la primauté de la sécurité juridique face à des situations individuelles où la négligence du créancier, même involontaire, ne suffit pas à paralyser les règles de prescription.

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Hassan KOHEN
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