La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu, le 20 décembre 2024, une décision relative à la responsabilité de l’État du fait de l’exposition à l’amiante. Un ancien agent de la Marine nationale, employé sur divers navires entre 1967 et 1980, sollicitait l’indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d’existence. Il invoquait des carences fautives de l’administration dans la prévention des risques professionnels liés aux poussières nocives durant sa carrière.
Par un jugement du 20 juin 2024, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande en opposant la prescription quadriennale des créances publiques. Le requérant a alors interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Marseille pour contester cette décision. Il soutenait notamment que l’administration n’apportait pas la preuve de la date de remise effective de l’attestation d’exposition aux poussières d’amiante.
Le problème de droit soumis à la juridiction d’appel consistait à déterminer si la simple existence d’une attestation d’exposition suffit à faire courir le délai de prescription. Il convenait également de vérifier si une telle interprétation du point de départ du délai respecte les exigences du droit à un recours effectif. La juridiction rejette la requête en confirmant le point de départ de la prescription au jour de la connaissance du risque.
L’étude de cette solution conduit à analyser la détermination du point de départ de la prescription (I) puis la validation conventionnelle de ce régime de forclusion (II).
I. L’identification du point de départ de la prescription par la connaissance du risque
Le juge administratif rappelle que les droits de créance sont acquis à la date à laquelle la « réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées ». Cette révélation intervient dès que le préjudice est connu et peut être exactement mesuré par la victime.
A. Le rôle déterminant de l’attestation d’exposition dans la révélation du préjudice
L’arrêt souligne que l’attestation d’exposition permet au militaire d’obtenir une surveillance médicale post-professionnelle spécifique. Ce document énumère précisément les périodes d’affectation sur des bâtiments contenant des matériaux amiantés au cours de la carrière. L’intéressé est ainsi « regardé comme ayant eu connaissance de l’étendue du risque à l’origine du préjudice moral » dès qu’il dispose de ces informations. La Cour confirme que la connaissance du risque d’anxiété est intrinsèquement liée à la détention de cet acte administratif.
L’administration n’a pas l’obligation d’informer l’agent par un acte distinct de la nature pathogène des fibres pour déclencher le délai. La seule mention des périodes d’exposition sur des navires identifiés suffit à caractériser la connaissance du fait générateur. Cette approche renforce l’efficacité de la prescription en liant le délai à un document technique accessible à l’agent.
B. L’assouplissement des exigences de preuve quant à la réception du document
Le requérant arguait que l’administration ne prouvait pas la date de notification de l’attestation par une remise contre récépissé. La Cour écarte ce moyen en précisant qu’aucun texte n’impose une notification par lettre recommandée pour ce type de document. Dès lors que l’attestation résulte d’une demande de l’agent, celui-ci est présumé l’avoir reçue dans un délai d’acheminement normal. L’agent doit alors être considéré comme ayant eu connaissance du risque « à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de l’attestation ».
Cette présomption de réception déplace la charge de la preuve vers le requérant qui doit justifier d’un empêchement exceptionnel. Le délai de prescription commence ainsi au premier janvier de l’année suivant l’établissement de l’acte sollicité. Cette interprétation permet de stabiliser les situations juridiques tout en limitant les contestations sur la preuve de la notification.
II. La validité conventionnelle du délai de prescription quadriennale
Le requérant invoquait une méconnaissance de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme en raison de la brièveté du délai. La Cour rejette cette argumentation en se fondant sur l’intérêt général attaché à la sécurité juridique de l’État.
A. La conciliation nécessaire entre le droit au procès équitable et la sécurité juridique
Les juges rappellent que le droit à un procès équitable n’est pas absolu et peut subir des limitations temporelles légitimes. La loi du 31 décembre 1968 vise à « garantir la sécurité juridique de l’Etat en fixant un terme aux actions dirigées contre lui ». Cette limitation est jugée proportionnée au but recherché par le législateur pour protéger les finances publiques et la stabilité administrative.
Le point de départ fixé à la connaissance de l’attestation ne méconnaît pas les stipulations de l’article 6 de la Convention européenne. La Cour estime que le créancier dispose d’un temps suffisant pour agir dès lors qu’il est informé de sa situation. L’impératif de sécurité juridique justifie que l’administration puisse opposer une fin de non-recevoir après l’écoulement de quatre années civiles.
B. L’affirmation du caractère proportionné du délai pour l’exercice d’un recours effectif
Le grief tiré de la violation du droit à un recours effectif est également écarté par la juridiction d’appel. Le délai de quatre ans ne présente pas un « caractère exagérément court » de nature à priver le justiciable de l’accès au juge. L’intéressé a eu la possibilité matérielle de saisir le tribunal dès la réception de son attestation en 2006.
La créance était prescrite au 3 novembre 2016, soit près de dix ans après le point de départ du délai initial. La Cour considère que le maintien de cette prescription n’entrave pas de manière excessive l’exercice des droits des victimes d’exposition. L’arrêt confirme ainsi la robustesse du régime de la prescription quadriennale face aux exigences de la protection des droits fondamentaux.