Cour d’appel administrative de Marseille, le 21 janvier 2025, n°23MA02623

Par un arrêt en date du 21 janvier 2025, une Cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère. Cette décision illustre l’appréciation par le juge administratif des conditions d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale.

En l’espèce, une ressortissante vénézuélienne, entrée en France en juin 2021, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en raison de ses liens personnels et familiaux. Elle faisait valoir une relation stable et ancienne avec un ressortissant français, formalisée par un pacte civil de solidarité en octobre 2021. Le 19 avril 2023, le préfet de la Corse-du-Sud a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français. La requérante a saisi le tribunal administratif de Bastia, qui a rejeté sa demande par un jugement du 19 octobre 2023. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si le refus d’autoriser le séjour, fondé sur la faible ancienneté de la relation et le caractère récent de l’installation en France, constituait une ingérence disproportionnée dans la vie privée et familiale de l’intéressée.

La Cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle estime que la décision du préfet n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale. Pour ce faire, elle retient que la relation avec le compagnon français était récente à la date de la décision attaquée, que l’intégration dans la société française n’était pas établie de manière notable et que la requérante ne démontrait pas être dépourvue d’attaches dans son pays d’origine où elle avait vécu la quasi-totalité de son existence.

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I. La confirmation d’un contrôle de proportionnalité rigoureux

La Cour administrative d’appel, en validant le refus de séjour, applique de manière classique sa grille d’analyse du droit au respect de la vie privée et familiale. Elle exerce un contrôle sur la proportionnalité de l’ingérence administrative (A) tout en réaffirmant le principe de l’appréciation des faits à la date de la décision contestée (B).

A. L’appréciation de l’équilibre entre l’intérêt général et la situation personnelle

Le juge administratif opère un bilan entre les impératifs de la politique migratoire et le droit de l’individu au maintien de ses liens personnels en France. La Cour examine l’intensité, l’ancienneté et la stabilité des liens familiaux, ainsi que l’insertion de l’étranger dans la société. En l’espèce, elle constate que la relation de la requérante avec son compagnon français, bien que formalisée, est récente. La Cour relève que « les premiers contacts au plus tôt le 9 avril 2021, soit deux ans avant l’arrêté en litige », minimisent l’ancienneté de la relation. De plus, elle juge que les éléments produits ne suffisent pas à démontrer une intégration sociale significative. L’analyse souligne que la simple existence d’une relation, même sérieuse, ne suffit pas à faire obstacle à une mesure d’éloignement si elle ne s’inscrit pas dans la durée et ne s’accompagne pas d’autres facteurs d’intégration. La solution retenue confirme que l’administration dispose d’une marge d’appréciation importante, le juge ne censurant que l’atteinte « disproportionnée » aux droits de l’administré.

B. La cristallisation des faits à la date de la décision administrative

La Cour rappelle un principe fondamental du contentieux administratif : la légalité d’un acte s’apprécie à la date à laquelle il a été édicté. Elle écarte ainsi un élément de fait majeur soulevé par la requérante, à savoir son mariage avec son compagnon français, au motif qu’il est postérieur à la décision préfectorale. La Cour précise que « le mariage des intéressés, célébré le 25 novembre 2023 postérieurement à cet arrêté, étant, à cet égard, sans influence sur sa légalité ». Cette position constante empêche que la situation d’un requérant, améliorée postérieurement à une décision administrative, puisse vicier rétroactivement cette dernière. Elle garantit la sécurité juridique et contraint le requérant à présenter une nouvelle demande s’il souhaite que les faits nouveaux soient pris en compte par l’administration. Cette règle stricte, si elle est juridiquement fondée, peut paraître sévère au regard des situations humaines qu’elle concerne.

II. L’interprétation exigeante des conditions de l’admission au séjour

Au-delà du contrôle de proportionnalité, la décision témoigne d’une approche stricte des critères matériels justifiant une admission au séjour. La Cour se montre particulièrement rigoureuse quant à la preuve de l’intégration (A) et à la prépondérance des attaches dans le pays d’origine (B).

A. L’exigence d’une insertion tangible et avérée

Pour évaluer le droit au séjour au titre de la vie privée et familiale, le juge prend en compte le degré d’insertion de l’étranger. Dans cette affaire, la Cour estime que les preuves fournies sont insuffisantes pour établir une intégration notable. Elle note qu’une promesse d’embauche et une attestation de formation linguistique ne sauraient suffire. De surcroît, la Cour s’appuie sur les mentions d’un procès-verbal de la police aux frontières indiquant que l’intéressée « comprend et parle mal le français ». Cette appréciation factuelle montre que le juge ne se contente pas d’intentions ou d’efforts naissants, mais attend des résultats concrets et mesurables. L’intégration doit être effective et non simplement projetée. Cette exigence, bien que conforme aux textes, place la charge d’une preuve parfois difficile à rapporter sur le demandeur au séjour, qui se trouve par définition dans une situation de précarité administrative.

B. La persistance des liens avec le pays d’origine

Enfin, la Cour évalue la nature des liens que l’intéressée conserve avec son pays d’origine. C’est un critère déterminant dans la balance des intérêts. La requérante, entrée en France à 46 ans, a passé la quasi-totalité de sa vie au Venezuela. La Cour en déduit qu’elle ne peut être considérée comme dépourvue d’attaches dans ce pays, malgré le décès de ses parents. Elle précise que « l’appelante n’établit pas être dépourvue d’attaches dans son pays d’origine, où elle a vécu la très grande majeure partie de son existence ». Cette approche confère un poids considérable à la durée de vie passée hors de France, qui vient contrebalancer l’intensité des liens familiaux récemment créés sur le territoire national. La décision illustre ainsi une jurisprudence bien établie où le centre de la vie privée et familiale est apprécié globalement, la durée et la continuité de la résidence dans le pays d’origine constituant un indice majeur de l’absence de rupture des liens avec celui-ci.

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