Par un arrêt en date du 22 septembre 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’éligibilité à l’allocation spécifique de cessation anticipée d’activité pour les ouvriers d’État exposés à l’amiante. En l’espèce, un ouvrier d’État ayant exercé des fonctions de conducteur de machines d’impression au sein d’un service du ministère des armées de 1995 à 2012 s’est vu opposer un refus implicite à sa demande de bénéfice de cette allocation. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Toulon, par un jugement du 6 janvier 2025, a annulé cette décision et enjoint à l’administration de lui accorder l’allocation. Le ministre des armées a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que la profession de l’agent ne figurait pas sur la liste des métiers ouvrant droit au dispositif. Il était donc demandé à la cour de déterminer si un ouvrier d’État, dont l’intitulé de poste ne figure pas explicitement sur la liste réglementaire, peut néanmoins prétendre à l’allocation dès lors que la nature et la diversité de ses missions effectives correspondent à une profession inscrite. La cour administrative d’appel rejette le recours du ministre, considérant que les fonctions réellement exercées par l’agent, par leur polyvalence, s’apparentaient à celles d’une profession éligible. Cette décision, qui privilégie une approche matérielle des fonctions exercées (I), réaffirme le caractère protecteur du dispositif tout en clarifiant la portée des listes réglementaires (II).
I. La justification de l’éligibilité par une analyse substantielle des fonctions
La cour écarte une lecture formaliste des textes (A) pour consacrer une interprétation finaliste fondée sur la réalité des tâches accomplies (B).
A. Le rejet d’une appréciation littérale de l’intitulé de poste
L’argumentation du ministre des armées reposait sur une lecture stricte de l’arrêté du 21 avril 2006, lequel fixe la liste des professions éligibles à l’allocation. Il constatait que la profession de « conducteur de machine d’impression » n’y était pas mentionnée, ce qui, selon lui, suffisait à justifier le rejet de la demande. Cette position s’appuie sur une logique administrative où la conformité nominale à la réglementation prime. La cour reconnaît d’ailleurs la distinction formelle opérée par l’administration, relevant « que les fonctions de conducteur de machine d’impression et celles d’ouvrier polyvalent de service et de maintenance font l’objet de fiches « profession » distinctes produites par le ministre ». Toutefois, le juge ne s’arrête pas à cette constatation. Il refuse de limiter son contrôle à la seule vérification de l’intitulé du poste occupé, considérant qu’une telle approche serait trop réductrice et potentiellement contraire à l’objectif du dispositif. En ce sens, la décision écarte un formalisme excessif qui ferait de la dénomination administrative de l’emploi un obstacle infranchissable, indépendamment de la réalité de l’exposition au risque.
B. La consécration d’une approche matérielle des missions exercées
Pour déterminer si l’agent remplissait la condition d’exercice d’une profession éligible, la cour se livre à un examen concret et détaillé de ses activités. Il est relevé que l’ouvrier assurait non seulement la production de travaux d’impression, mais également la surveillance et la maintenance régulière des machines, incluant « leur démontage, le remplacement de pièces et leur nettoyage ». Or, ces tâches de maintenance dépassent le cadre strict des missions de conducteur de machine, tel que défini par les fiches de poste de l’administration. Le juge en déduit que, malgré son titre officiel, l’agent exerçait des fonctions polyvalentes. La cour estime que « les fonctions exercées par M. A… au sein du service du matériel ne peuvent être regardées comme ayant été cantonnées aux fonctions spécifiques de conducteur de machines d’impression et doivent, par leur nature et leur diversité, être regardées comme correspondant en réalité à celles de la profession d’ouvrier polyvalent de service et de maintenance figurant dans cette annexe ». Par cette requalification fonctionnelle, la cour fait prévaloir la substance des missions sur l’étiquette administrative, rattachant ainsi l’agent à une catégorie professionnelle éligible et lui ouvrant le droit à l’allocation.
En adoptant une telle méthode d’analyse, la juridiction d’appel ne se contente pas de trancher un cas d’espèce ; elle confirme la logique protectrice du dispositif (A) et en précise les modalités d’application pour l’avenir (B).
II. La réaffirmation de l’interprétation protectrice du dispositif amiante
Cette solution réaffirme la primauté de l’objectif de santé publique sur le formalisme (A) et dessine les contours de l’appréciation que l’administration devra porter sur les demandes futures (B).
A. La primauté de l’objectif de santé publique sur le formalisme administratif
Le dispositif de cessation anticipée d’activité vise à réparer les conséquences de l’exposition professionnelle à un risque sanitaire majeur, celui de l’amiante. Son fondement réside dans un objectif de santé publique qui commande de permettre aux travailleurs les plus exposés de quitter plus tôt le monde du travail. Une application rigide et purement formelle des textes, fondée exclusivement sur des intitulés de poste, pourrait conduire à des situations inéquitables, excluant des agents ayant réellement été exposés au risque au seul motif que leur emploi n’est pas répertorié sous la bonne dénomination. La décision commentée prévient un tel écueil en rappelant implicitement que l’esprit de la loi doit l’emporter sur une lecture littérale qui en trahirait la finalité. En s’attachant à la matérialité de l’activité, le juge garantit que la protection offerte par le législateur bénéficie bien à ceux pour qui elle a été conçue, en fonction du risque encouru et non d’une simple nomenclature administrative. Cette approche pragmatique assure la pleine effectivité du droit à la réparation pour les ouvriers concernés.
B. La portée de la solution pour l’appréciation des futures demandes
En matière de portée, cet arrêt constitue un signal clair pour l’administration. Il l’oblige, pour l’examen des demandes d’allocation, à ne plus s’en tenir à une simple confrontation entre l’intitulé du poste du demandeur et la liste réglementaire. Désormais, elle devra procéder à une instruction plus approfondie, en recherchant, au besoin, la nature effective des tâches qui étaient confiées à l’agent durant la période d’exposition. Cette solution renforce les droits des demandeurs, qui pourront utilement faire valoir la polyvalence de leurs missions ou la réalité de leur activité pour démontrer leur éligibilité, même si leur fiche de poste ne coïncide pas parfaitement avec les professions listées. La décision impose donc une méthode d’analyse qualitative et non plus seulement nominale. Elle précise que les listes de professions, si elles sont une condition nécessaire, doivent être appliquées au regard de la réalité fonctionnelle de chaque situation individuelle, invitant ainsi à une appréciation plus juste et plus concrète des carrières des ouvriers potentiellement exposés à l’amiante.