Cour d’appel administrative de Marseille, le 23 mai 2025, n°24MA00933

Par un arrêt du 23 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un arrêté préfectoral ordonnant à un étranger de quitter le territoire français sans délai et lui interdisant le retour pour une durée d’un an. En l’espèce, un ressortissant guinéen, entré irrégulièrement en France en 2018, s’y était maintenu sans titre de séjour valide malgré des demandes d’asile rejetées et une tentative tardive et incomplète de régularisation. Faisant l’objet d’un arrêté du préfet du Var en date du 6 février 2024, il a saisi le tribunal administratif de Toulon qui a rejeté sa demande par un jugement du 21 mars 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la légalité externe qu’interne de la décision administrative, notamment l’incompétence de la signataire de l’acte, une motivation insuffisante, des erreurs de fait et d’appréciation, ainsi qu’une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale. La question posée à la cour était donc de déterminer si une mesure d’éloignement, assortie d’une exécution immédiate et d’une interdiction de retour, pouvait être légalement fondée sur la situation d’un étranger présent depuis plusieurs années sur le territoire mais dont le comportement et l’absence de garanties de représentation suffisaient à caractériser un risque de soustraction à l’exécution de cette mesure. La cour a confirmé le jugement de première instance, estimant que la décision du préfet était justifiée en tous ses points. Elle a jugé que la signataire de l’acte était bien compétente à la date de sa signature, que les erreurs de fait contenues dans l’arrêté n’étaient pas de nature à l’invalider et que les décisions prises n’étaient ni entachées d’erreur d’appréciation ni disproportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé.

La solution retenue par la cour administrative d’appel démontre une application rigoureuse des conditions de légalité de l’obligation de quitter le territoire français (I), tout en validant les mesures accessoires qui en aggravent la portée pour l’étranger (II).

I. La légalité confirmée de la mesure d’éloignement malgré une motivation factuellement erronée

La cour examine en premier lieu la légalité formelle de l’acte, en écartant le moyen tiré de l’incompétence de son auteur (A), avant de se prononcer sur sa légalité matérielle en neutralisant l’effet d’une erreur de fait commise par l’administration (B).

A. La validation pragmatique de la compétence de l’auteur de l’acte

Le requérant soutenait que la signataire de l’arrêté n’était plus compétente, sa nomination à un autre poste ayant été décrétée avant la date de la décision contestée. La cour rejette ce moyen en se fondant sur une appréciation concrète de la situation administrative de l’agent. Elle relève que s’il est vrai qu’un décret du 30 janvier 2024 nommait l’intéressée à de nouvelles fonctions, « il ressort du courrier adressé le 6 février 2024 au préfet du Var par la sous-directrice des autorités préfectorales et de l’encadrement supérieur au ministère de l’intérieur que la date d’effet de ce mouvement a été fixée au 12 février 2024 ». En retenant la date d’effet réelle du changement d’affectation plutôt que la date de l’acte de nomination, le juge fait prévaloir la continuité du service public et la sécurité juridique. La délégation de signature consentie à l’agent continuait donc de produire ses effets juridiques jusqu’à son départ effectif. Cette approche pragmatique permet de garantir la validité des actes administratifs pris dans l’intervalle, évitant ainsi qu’un vide juridique temporaire ne paralyse l’action de l’administration.

B. La neutralisation de l’erreur de fait dans l’appréciation de la situation

Le requérant arguait que le préfet avait commis une erreur de fait en affirmant qu’il n’avait engagé aucune démarche de régularisation. La cour reconnaît implicitement l’existence de cette inexactitude, mais la juge sans conséquence sur la légalité de la décision. Elle souligne en effet que « la circonstance que le préfet aurait par erreur indiqué qu’il n’avait effectué aucune démarche de régularisation est sans incidence ». Pour parvenir à cette conclusion, le juge s’appuie sur d’autres éléments du dossier, non contestés par l’intéressé, qui suffisaient à eux seuls à fonder légalement la décision. La cour note ainsi que l’étranger « ne conteste pas avoir mentionné son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire, s’être fait interpeller pour usage de faux documents et ne pas posséder de documents d’identité ou de voyage en cours de validité ». Ce faisant, elle applique la théorie des motifs surabondants ou, plus exactement, procède à une substitution de base légale, considérant que même en l’absence du motif erroné, la décision aurait été identique. Cette technique jurisprudentielle classique permet de sauver l’acte administratif d’une annulation pour un motif qui, bien que réel, n’est pas déterminant dans le raisonnement de l’autorité administrative.

La validité de l’obligation de quitter le territoire étant ainsi établie, la cour s’est attachée à examiner la légalité des mesures qui l’accompagnaient, lesquelles aggravaient considérablement ses conséquences.

II. La justification des mesures aggravantes accompagnant l’obligation de quitter le territoire

La cour valide le refus d’octroyer un délai de départ volontaire en se fondant sur la caractérisation d’un risque de fuite (A), puis confirme la proportionnalité de l’interdiction de retour au regard des exigences conventionnelles (B).

A. La caractérisation du risque de soustraction justifiant l’absence de départ volontaire

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet à l’autorité administrative de refuser un délai de départ volontaire lorsqu’il existe un risque que l’étranger se soustraie à l’obligation de quitter le territoire. La cour reprend un à un les critères légaux permettant d’établir un tel risque. Elle constate que l’arrêté litigieux est suffisamment motivé sur ce point, relevant que l’intéressé « est entré irrégulièrement en France en 2018 », qu’il « a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire », qu’il « s’est fait interpeller pour usage de faux documents » et qu’il « ne présente pas de garanties de représentation suffisantes ». En se fondant sur cet ensemble de faits précis et concordants, le juge administratif considère que le préfet était fondé à refuser un délai de départ volontaire. La décision illustre la méthode du faisceau d’indices utilisée par le juge pour apprécier l’existence du risque de soustraction, où aucun élément n’est décisif à lui seul mais où leur accumulation emporte la conviction et justifie la rigueur de la mesure.

B. L’appréciation de la proportionnalité de l’atteinte au regard de la vie privée

L’étranger invoquait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il mettait en avant sa présence en France depuis 2018, son activité professionnelle depuis 2021 et le fait qu’il était titulaire d’un bail. La cour, procédant au bilan classique entre les intérêts en présence, ne nie pas l’existence de ces éléments d’intégration. Cependant, elle les met en balance avec les aspects négatifs du dossier de l’intéressé : le maintien irrégulier sur le territoire, l’usage de faux documents et l’absence de justification de liens personnels et familiaux intenses. Elle en conclut que « la décision portant obligation de quitter le territoire sans délai ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels elle a été prise ». Ce raisonnement est étendu à l’interdiction de retour d’un an, jugée motivée et non entachée d’erreur d’appréciation. Cette solution réaffirme que si le juge exerce un contrôle de proportionnalité entier, l’intégration sociale et professionnelle d’un étranger ne saurait primer de manière absolue sur des considérations tenant à l’ordre public et au respect des lois sur le séjour.

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