Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à se prononcer sur la régularité d’une procédure de redressement fiscal initiée à l’encontre d’une société et de son gérant. En l’espèce, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée exploitant un bar a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a écarté les documents présentés comme non probants. Procédant à une reconstitution du chiffre d’affaires, le service a notifié des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Par voie de conséquence, l’associé unique de cette société a été personnellement assujetti à des suppléments d’impôt sur le revenu, les recettes non déclarées par la société étant considérées comme des revenus distribués.
Saisi d’un recours par la société et son gérant, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, contestant le bien-fondé du rejet de la comptabilité de l’entreprise. Ils soutenaient principalement ne pas avoir réalisé les achats non comptabilisés qui leur étaient reprochés, alléguant une usurpation d’identité auprès d’un fournisseur. Le ministre de l’Économie et des Finances a, pour sa part, conclu au rejet de la requête, la jugeant infondée sur le fond.
Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si un ensemble d’irrégularités comptables graves et concordantes pouvait suffire à justifier le rejet d’une comptabilité, indépendamment de la validité d’un motif supplémentaire avancé par l’administration et contesté par le contribuable. De plus, il s’agissait de savoir si la simple production d’une plainte pénale suffisait à établir la réalité d’une usurpation d’identité pour écarter des éléments retenus lors d’une reconstitution de recettes.
La Cour administrative d’appel a rejeté l’appel, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle a jugé que les graves manquements comptables constatés suffisaient à eux seuls à priver la comptabilité de tout caractère probant, rendant inopérante la critique d’un motif de rejet qu’elle a qualifié de surabondant. Elle a également estimé que la preuve de l’usurpation d’identité n’était pas rapportée par les requérants. Enfin, la Cour a rappelé que le sursis de paiement n’est pas applicable en instance d’appel.
Il conviendra d’analyser, dans une première partie, la confirmation par le juge d’appel du caractère non probant de la comptabilité en raison de manquements multiples (I), avant d’examiner, dans une seconde partie, le caractère inopérant des moyens présentés par les requérants pour contester leur redressement (II).
***
I. La confirmation du caractère non probant de la comptabilité
La décision de la Cour administrative d’appel s’appuie sur une appréciation rigoureuse des obligations comptables qui incombent à toute entreprise. Elle valide la démarche de l’administration fiscale en s’attachant d’abord à un faisceau d’indices révélant des carences structurelles (A), ce qui justifie ensuite la mise en œuvre d’une procédure de reconstitution des bases d’imposition (B).
A. L’accumulation d’irrégularités graves et concordantes
Le juge d’appel rappelle que la charge de la preuve de l’absence de force probante d’une comptabilité pèse sur l’administration fiscale. Pour autant, cette preuve peut résulter d’un ensemble de faits qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement dirimants, mais dont l’accumulation démontre l’impossibilité pour le vérificateur de procéder à un contrôle fiable. En l’espèce, la Cour relève avec précision plusieurs manquements significatifs.
Elle constate ainsi que la société « n’utilisait pas de caisse enregistreuse, n’a pas été en mesure de présenter au vérificateur le détail de ses recettes ». Cette absence de formalisation du chiffre d’affaires quotidien est une irrégularité majeure, car elle empêche toute vérification de la cohérence entre les flux de marchandises et les recettes déclarées. De surcroît, la Cour note que « ses écritures comptables ont été validées postérieurement à la date de dépôt des déclarations de résultats ». Cette pratique anormale est de nature à jeter un doute sérieux sur la sincérité des comptes, qui doivent en principe être arrêtés et validés avant d’être transcrits dans les déclarations fiscales. L’absence de présentation de l’inventaire des stocks pour l’un des exercices contrôlés vient compléter ce tableau. Ces éléments, réunis, suffisaient à eux seuls pour que l’administration considère la comptabilité comme dépourvue de toute valeur probante.
B. La justification de la reconstitution du chiffre d’affaires
Dès lors que la comptabilité est valablement écartée, l’administration est en droit de reconstituer le chiffre d’affaires de l’entreprise selon une méthode qu’elle choisit, à condition que celle-ci ne soit pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. La Cour confirme implicitement la légitimité de cette prérogative. L’argumentaire des requérants, qui se focalisait sur la question d’achats spécifiques, ne pouvait donc prospérer face au constat préalable de carences bien plus fondamentales.
En déclarant que « ces seuls éléments suffisaient à faire considérer la comptabilité présentée […] comme non probante », la Cour valide entièrement l’analyse de l’administration et du tribunal. Elle souligne que le rejet de la comptabilité ne dépendait pas de la seule question des achats prétendument frauduleux. Cette approche pragmatique permet de sécuriser la procédure de contrôle fiscal en la fondant sur les manquements les plus évidents et les moins contestables du contribuable. La reconstitution des recettes devient alors la conséquence logique et nécessaire de l’impossibilité matérielle de contrôler des comptes lacunaires et non fiables.
L’échec de la contestation des requérants s’explique donc non seulement par la solidité des motifs de rejet de leur comptabilité, mais également par la faiblesse de leur propre argumentation en appel.
II. Le caractère inopérant des moyens soulevés en appel
Les requérants ont tenté de contester la décision de première instance en concentrant leur argumentation sur un point spécifique et en soulevant des conclusions annexes vouées à l’échec. La Cour écarte ces moyens en soulignant leur portée limitée face aux constats opérés par l’administration, qu’il s’agisse de l’argument tiré d’un motif surabondant (A) ou de l’insuffisance des preuves apportées pour d’autres prétentions (B).
A. Le rejet d’un argumentaire centré sur un motif surabondant
La stratégie des requérants consistait à attaquer le redressement en contestant avoir réalisé des achats non comptabilisés auprès d’un fournisseur déterminé, en raison d’une usurpation d’identité. Or, la Cour qualifie ce point de « motif de rejet surabondant ». En droit administratif, un motif est dit surabondant lorsque, même en son absence, la décision de l’administration aurait été identique en se fondant sur d’autres motifs légaux et suffisants. En l’espèce, les irrégularités comptables fondamentales (absence de détail des recettes, validation tardive des écritures) justifiaient à elles seules le rejet de la comptabilité.
En conséquence, même si les requérants avaient obtenu gain de cause sur la question des achats litigieux, la solution du litige n’aurait pas été modifiée. La critique d’un motif surabondant est donc par nature inopérante. La Cour souligne d’ailleurs l’incohérence de leur position, relevant qu’ils « ne contestent pas la comptabilisation d’achats de la société auprès de ce fournisseur et la présentation des factures correspondantes ». Cette contradiction affaiblit considérablement la crédibilité de leur allégation d’usurpation d’identité et démontre une erreur dans leur stratégie contentieuse, qui aurait dû s’attacher à contester les motifs principaux et déterminants du rejet.
B. L’insuffisance de la preuve de l’usurpation et le rejet des autres conclusions
Subsidiairement, la Cour examine tout de même le moyen relatif à l’usurpation d’identité et le juge non fondé. Elle estime que les requérants « ne démontrent pas la réalité de l’usurpation alléguée en se bornant à produire la copie d’une plainte datée du 15 mars 2019, sans d’ailleurs préciser les suites qui lui ont été données ». Une telle décision rappelle une règle constante en matière de preuve : la simple allégation d’un fait, même appuyée par le dépôt d’une plainte, ne suffit pas à l’établir. Il appartient au contribuable d’apporter des éléments concrets et circonstanciés pour étayer ses dires, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
Enfin, la Cour écarte sans surprise la demande de sursis de paiement. Elle rappelle de manière pédagogique que les dispositions de l’article L. 277 du livre des procédures fiscales, qui organisent ce sursis, ne s’appliquent que durant l’instruction de la réclamation préalable et de l’instance devant le tribunal administratif. Aucune procédure similaire n’étant prévue pour l’instance d’appel, la demande ne pouvait qu’être rejetée. Cet arrêt constitue ainsi une application classique des règles de procédure fiscale, tant sur le fond que sur les aspects procéduraux.