Cour d’appel administrative de Marseille, le 24 avril 2025, n°24MA00184

Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la Cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, cette décision étant assortie d’une obligation de quitter le territoire français. L’espèce mettait en cause un individu de nationalité guinéenne, entré régulièrement en France en 2009 et y ayant séjourné depuis lors sous divers statuts, notamment en qualité d’étudiant puis pour des raisons médicales. Confronté à un nouveau refus de séjour et à une mesure d’éloignement par le préfet des Alpes-Maritimes le 22 août 2023, l’intéressé avait saisi le tribunal administratif de Nice, qui rejeta sa demande par un jugement du 19 décembre 2023. Le requérant a donc interjeté appel de ce jugement, en se prévalant notamment de son droit au séjour au titre de sa vie privée et familiale et de son état de santé, mais surtout en invoquant l’autorité de la chose jugée d’un précédent arrêt de la même Cour qui, en 2022, avait annulé une première obligation de quitter le territoire le concernant. La question de droit posée à la Cour était double : d’une part, le refus de délivrance d’un titre de séjour était-il entaché d’une erreur d’appréciation au regard de la situation personnelle et médicale du demandeur ? D’autre part, l’administration pouvait-elle légalement édicter une nouvelle obligation de quitter le territoire en dépit d’une précédente annulation juridictionnelle fondée sur une protection légale dont bénéficiait l’étranger ? En réponse, la Cour opère une distinction nette entre les deux mesures contestées. Elle valide le refus de titre de séjour, jugeant que l’administration n’a pas commis d’erreur dans l’appréciation de la situation du requérant. En revanche, elle annule l’obligation de quitter le territoire français, considérant que le préfet a méconnu l’autorité de la chose jugée attachée à son précédent arrêt.

La décision de la Cour administrative d’appel conduit ainsi à examiner la confirmation du pouvoir d’appréciation de l’administration quant à l’octroi d’un titre de séjour (I), avant d’analyser la censure de la mesure d’éloignement comme une sanction du non-respect d’une décision de justice antérieure (II).

I. La validation du refus d’octroi du titre de séjour : une appréciation souveraine de la situation personnelle de l’étranger

La Cour confirme la légalité du refus de séjour opposé par le préfet en se fondant sur une analyse rigoureuse des conditions légales, tant au regard de l’état de santé de l’étranger (A) que de l’intensité de ses liens personnels et familiaux en France (B).

A. Le contrôle restreint sur l’examen de la demande de séjour pour soins

Le requérant sollicitait un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit la délivrance d’une carte « vie privée et familiale » à l’étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Pour rejeter cette demande, le préfet s’était fondé sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). La Cour relève que, selon cet avis, « l’état de santé de l’intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et qu’eu égard à l’offre et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ». Face aux certificats médicaux produits par le requérant, la Cour note que celui-ci a été guéri et a retrouvé une acuité visuelle normale, et que le suivi et le traitement restent accessibles dans son pays d’origine. Ce faisant, le juge administratif exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et confirme que l’administration, éclairée par un avis médical spécialisé, n’a pas inexactement appliqué la loi. La solution rappelle que la seule existence d’une pathologie, même sérieuse, ne suffit pas à justifier la délivrance d’un titre de séjour si la condition d’exceptionnelle gravité des conséquences d’un défaut de prise en charge n’est pas établie.

B. L’appréciation concrète de l’atteinte portée à la vie privée et familiale

La Cour examine ensuite la légalité du refus de séjour au regard du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Bien que le requérant réside en France de manière continue depuis 2009, la Cour constate qu’il est « célibataire et sans charges de famille en France, qu’il ne démontre pas être dépourvu d’attaches familiales en Guinée et qu’il ne justifie pas d’une insertion sociale à la date de l’arrêté en litige ». L’analyse menée par le juge se fonde sur un bilan concret de la situation de l’intéressé. La longue durée de présence sur le territoire national, si elle est un élément d’appréciation essentiel, n’emporte pas à elle seule la conviction du juge. En l’absence de liens personnels et familiaux jugés suffisamment intenses, anciens et stables, ou d’une insertion sociale et professionnelle probante, la Cour conclut que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Cette approche illustre la méthode du bilan coûts-avantages à laquelle se livre le juge pour évaluer la proportionnalité de l’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice de ce droit.

Si la Cour valide la décision de refus de séjour en s’en tenant à une analyse classique des conditions légales, elle adopte une position bien plus rigoureuse s’agissant de la mesure d’éloignement qui l’accompagne.

II. La sanction de la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée : le rappel à l’ordre de l’administration

La Cour annule l’obligation de quitter le territoire français, non pas en raison d’une nouvelle analyse de la situation de l’étranger, mais en se fondant sur le principe fondamental de l’autorité de la chose jugée. Elle constate qu’une protection contre l’éloignement a déjà été reconnue (A), consacrant ainsi le caractère contraignant des décisions de justice pour l’administration (B).

A. L’identification d’une protection pérenne contre l’éloignement

Le cœur de l’argumentation de la Cour réside dans le rappel de son propre arrêt du 3 février 2022. Par cette décision antérieure, elle avait annulé une première obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre du même requérant. La Cour prend soin de rappeler le fondement de cette annulation, à savoir la méconnaissance des dispositions de l’ancien article L. 511-4-4° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle souligne que l’annulation était fondée « au motif que M. A… était présent régulièrement en France depuis plus de dix ans et n’avait pas bénéficié pendant toute cette période d’un titre de séjour portant la mention « étudiant » ». Cette protection, désormais codifiée à l’article L. 611-3-3° du même code, vise à préserver de l’éloignement les étrangers justifiant d’une longue résidence régulière en France. En rappelant les motifs de sa précédente décision, la Cour établit que le statut protecteur du requérant a été judiciairement constaté et a acquis un caractère définitif, le préfet n’ayant pas formé de pourvoi en cassation. La situation de fait et de droit qui fondait cette protection n’a pas changé.

B. La consécration de l’autorité de la chose jugée comme rempart à l’arbitraire administratif

Fort de ce constat, la Cour tire la conséquence inéluctable de l’inertie de l’administration. Elle juge qu' »en l’absence de changement établi ou même allégué dans les circonstances de droit ou de fait à la date de l’arrêté attaqué, doit être accueilli le moyen tiré de la violation, par celui-ci, de l’autorité de chose jugée attachée tant au dispositif de l’arrêt du 3 février 2022 qu’aux motifs qui le fondent ». Cette formulation est d’une grande portée. Elle signifie que l’administration ne peut ignorer une décision de justice devenue définitive et tenter de contourner l’obstacle en prenant une nouvelle décision identique sur la base de faits et de normes inchangés. L’autorité de la chose jugée ne s’attache pas seulement au dispositif de la décision (l’annulation), mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. En sanctionnant le préfet, la Cour réaffirme un principe essentiel de l’État de droit : la soumission de l’administration au juge. Cette solution garantit la sécurité juridique pour le justiciable, qui ne doit pas être exposé à la répétition de décisions administratives illégales déjà sanctionnées par la justice. La portée de l’arrêt est donc avant tout pédagogique, rappelant à l’administration les limites de son pouvoir discrétionnaire face à une situation juridique déjà tranchée par le juge.

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Hassan KOHEN
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