Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour un étranger parent d’un enfant français. En l’espèce, un ressortissant sénégalais, père de deux enfants français nés de deux unions distinctes, a sollicité la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Le préfet du Var a rejeté sa demande par un arrêté du 27 avril 2024, assorti d’une obligation de quitter le territoire français, d’une décision fixant le pays de destination et d’une interdiction de retour de deux ans. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Toulon a annulé l’intégralité de ces décisions par un jugement du 23 septembre 2024. Le préfet du Var a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la condition de contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants n’était pas établie et que le requérant constituait une menace à l’ordre public. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si les éléments produits par le demandeur étaient suffisants pour prouver sa contribution effective à l’entretien et à l’éducation de l’un de ses enfants, au sens des dispositions de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La Cour administrative d’appel annule le jugement de première instance et rejette la demande de l’administré, estimant que la preuve de cette contribution n’est pas rapportée. Elle considère que ni la résidence commune récente avec la mère de sa fille, ni des attestations de proches ne suffisent à établir l’effectivité de sa participation à l’entretien et à l’éducation de l’enfant sur la durée requise par la loi.
Cette décision illustre l’appréciation rigoureuse par le juge administratif de la condition de contribution effective à l’éducation d’un enfant français (I), réaffirmant ainsi une solution classique qui fait peser une lourde charge de la preuve sur le demandeur au titre de séjour (II).
I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse de la condition de contribution effective à l’entretien de l’enfant
La Cour administrative d’appel, pour annuler le jugement du tribunal administratif, se fonde sur une analyse stricte des preuves apportées par le requérant. Elle juge insuffisants tant les éléments matériels que les témoignages familiaux présentés pour satisfaire aux exigences légales (A), ce qui la conduit logiquement à écarter les autres moyens qui dépendaient de la reconnaissance d’un lien avéré avec l’enfant (B).
A. L’insuffisance des éléments de preuve matériels et des témoignages
L’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile subordonne la délivrance d’un titre de séjour de plein droit à l’étranger parent d’un enfant français à la condition qu’il « établit contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (…) depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ». La Cour rappelle que la charge de cette preuve pèse entièrement sur le demandeur. En l’espèce, le père ne produisait aucune information concernant son fils aîné et concentrait son argumentation sur sa relation avec sa fille cadette. Pour en justifier, il versait au dossier une attestation d’hébergement de la mère de l’enfant, une unique attestation de la caisse d’allocations familiales et deux attestations de ses belles-sœurs. La juridiction d’appel va méthodiquement écarter chacun de ces éléments.
En effet, la Cour relève que la résidence commune avec la mère de sa fille « ne peut être regardée comme établie qu’à compter d’avril 2024 », soit une période bien inférieure aux deux années requises avant l’édiction de l’arrêté préfectoral. Quant aux témoignages des proches, ils sont jugés trop généraux, la Cour précisant que ces derniers font état de la participation du père à l’éducation et à l’entretien de sa fille « sans plus de précision ». Ces « seuls éléments », selon les termes de l’arrêt, ne peuvent suffire à démontrer la réalité de la contribution. Cette appréciation sévère des attestations familiales, souvent considérées par le juge comme des preuves de faible valeur probante car pouvant être de pure complaisance, est une constante de la jurisprudence administrative en matière de droit des étrangers. La décision met ainsi en lumière l’exigence d’éléments matériels, concrets et réguliers, tels que des virements bancaires, des factures ou des justificatifs de suivi scolaire, pour fonder la conviction du juge.
B. Le rejet des moyens fondés sur les atteintes à la vie privée et à l’intérêt de l’enfant
La démonstration de l’absence de preuve suffisante de la contribution à l’entretien de l’enfant emporte des conséquences sur l’ensemble des autres moyens soulevés par le requérant. Saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel, la Cour examine les arguments tirés de la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le requérant invoquait l’ancienneté de sa présence en France et ses liens avec sa fille pour arguer d’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Cependant, la Cour écarte ce moyen en réutilisant l’argumentaire développé précédemment. Elle constate que l’intéressé ne produit que « quelques pièces éparses » qui « n’établissent pas la réalité, la stabilité et l’ancienneté de sa vie privée et familiale en France ». Surtout, elle conclut qu’il ne justifie pas de sa présence quotidienne auprès de sa fille, se référant explicitement à ce qui « a été dit au point 3 du présent arrêté ». Le raisonnement est identique pour écarter la méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant. Faute de preuve des liens qu’il entretiendrait avec elle, le moyen ne peut prospérer. Cette approche démontre que, dans le contentieux du séjour des parents d’enfants français, la condition posée par l’article L. 423-7 du code précité constitue une porte d’entrée quasi-obligatoire. Sans la satisfaction de cette condition spécifique, les garanties plus générales offertes par les conventions internationales sont interprétées de manière restrictive par le juge.
L’analyse minutieuse des pièces du dossier et le rejet systématique des preuves jugées insuffisantes s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel bien établi, dont la portée demeure classique mais réaffirmée avec fermeté.
II. La portée d’une solution classique réaffirmant la charge de la preuve pesant sur le demandeur
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans la continuité des décisions relatives à l’application de l’article L. 423-7 du CESEDA. Il illustre le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond dans l’examen des situations individuelles (A) et confirme une solution prévisible au regard du droit positif (B), rappelant ainsi aux administrés la nécessité de constituer un dossier de demande de titre de séjour particulièrement solide.
A. L’illustration du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond
La décision commentée est caractéristique du pouvoir d’appréciation laissé aux juges administratifs dans le contentieux des étrangers. Le tribunal administratif de Toulon et la Cour administrative d’appel de Marseille sont parvenus à des solutions diamétralement opposées en se fondant sur l’examen des mêmes pièces. Là où les premiers juges avaient estimé la contribution suffisamment établie pour annuler l’arrêté préfectoral, la Cour en a décidé autrement. Cette divergence met en évidence que l’appréciation de la valeur probante des pièces versées au dossier relève du fait et échappe en grande partie au contrôle du juge de cassation, sauf dénaturation.
En l’espèce, la Cour se livre à une appréciation très concrète et factuelle. Elle ne pose pas de principe nouveau, mais applique la loi à une situation particulière. Elle aurait pu, par exemple, considérer que l’attestation de vie commune, bien que récente, couplée aux attestations des proches, constituait un faisceau d’indices suffisant. En choisissant une lecture stricte, elle rappelle que l’intime conviction du juge doit se fonder sur des éléments tangibles et vérifiables, et non sur des allégations générales. Cette décision est donc avant tout une décision d’espèce, dont la solution dépend étroitement de la qualité des pièces produites. Elle sert de rappel pragmatique sur le niveau d’exigence attendu par les juridictions administratives en la matière.
B. Une solution prévisible au regard de la jurisprudence constante
La solution retenue par la Cour administrative d’appel de Marseille n’est guère surprenante. Elle s’aligne sur une jurisprudence constante du Conseil d’État et des cours administratives d’appel, qui exigent que la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant soit effective, continue et suffisamment documentée sur la période de référence. Le juge administratif exerce un contrôle normal sur la décision du préfet et vérifie, au vu des pièces du dossier, si les conditions légales sont remplies à la date de sa décision. L’étranger doit donc être en mesure de fournir des preuves objectives et variées de son implication dans la vie de son enfant.
En confirmant l’analyse du préfet, la Cour rappelle indirectement que l’administration dispose d’une marge d’appréciation pour évaluer les situations individuelles, et que son jugement ne sera censuré qu’en cas d’erreur manifeste ou d’erreur de droit. La portée de cet arrêt est donc moins de créer du droit que de confirmer l’état du droit positif. Il souligne pour les praticiens et les justiciables l’importance cruciale de la constitution du dossier en amont de la demande. La décision enseigne qu’il ne suffit pas d’être parent d’un enfant français pour obtenir un titre de séjour ; il faut être un parent capable de le prouver de manière irréfutable aux yeux de l’administration, puis, le cas échéant, du juge.