Par un arrêt en date du 24 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Marseille a eu à se prononcer sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre d’une ressortissante étrangère suite au rejet de sa demande d’asile. En l’espèce, une personne de nationalité étrangère a fait l’objet, le 22 février 2024, d’un arrêté préfectoral l’obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, après le rejet de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Marseille, qui, par un jugement du 10 avril 2024, a rejeté sa demande d’annulation de cet arrêté. Elle a interjeté appel de ce jugement, en soulevant divers moyens de légalité et en soutenant notamment qu’un mémoire en défense produit par le préfet en première instance devait s’analyser comme une nouvelle décision administrative refusant implicitement de lui délivrer un titre de séjour pour raisons de santé. Se posait alors principalement la question de savoir si un mémoire en défense, produit par l’administration dans le cadre d’une instance contentieuse, pouvait être qualifié de décision administrative faisant grief, susceptible d’être contestée devant le juge. La cour administrative d’appel de Marseille répond par la négative, en jugeant que « le mémoire en défense produit le 15 mars 2024 en première instance par le préfet des Bouches-du-Rhône (…) ne saurait être regardé comme une décision rejetant son recours gracieux ou sa demande de titre de séjour ». Par conséquent, la cour rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance et la légalité de la mesure d’éloignement. La portée de cette décision réside d’une part dans sa contribution à la distinction entre un acte de procédure et une décision administrative (I), et d’autre part, dans la confirmation des garanties procédurales encadrant l’édiction d’une obligation de quitter le territoire français (II).
I. La distinction consolidée entre acte de procédure et décision administrative
La cour administrative d’appel, par une analyse rigoureuse, refuse de conférer à un simple mémoire en défense la nature d’une décision administrative attaquable (A), rendant par là même inopérants les moyens dirigés contre cet acte (B).
A. Le refus de qualifier le mémoire en défense de décision
La requérante avançait une argumentation ingénieuse en prétendant que le mémoire produit par le préfet pour se défendre devant le tribunal administratif constituait en réalité une décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour pour raisons médicales. Cette construction juridique visait à créer une nouvelle décision attaquable, distincte de l’arrêté initial, pour y attacher des vices de procédure propres. La cour écarte fermement cette thèse en rappelant la fonction d’un mémoire en défense, qui est de présenter les arguments de l’administration en tant que partie à un litige, et non de prendre une décision. En affirmant que cet écrit « ne saurait être regardé comme une décision », le juge administratif préserve la séparation fondamentale entre l’action administrative, qui produit des actes unilatéraux créant des droits ou des obligations, et la défense des intérêts de l’administration en justice. Cette solution s’inscrit dans une logique de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, en évitant que les écrits processuels ne deviennent eux-mêmes l’objet de nouveaux contentieux.
B. L’inopérance conséquente des moyens soulevés
En refusant la qualification de décision administrative au mémoire en défense, la cour neutralise logiquement l’ensemble des critiques formulées à son encontre. La requérante soutenait en effet que cette prétendue décision était intervenue sans la saisine préalable du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, formalité substantielle en matière de séjour des étrangers malades. Or, puisque l’acte contesté n’est pas une décision, les vices de procédure qui auraient pu l’entacher deviennent sans objet. La cour enfonce le clou en précisant que, de toute manière, « les vices affectant une décision rejetant un recours gracieux sont sans influence sur la légalité de l’arrêté contesté ». Cette précision, bien que surabondante, rappelle un principe essentiel du contentieux administratif : la légalité d’un acte s’apprécie à la date de son édiction, et les éventuelles illégalités d’une décision ultérieure confirmative sont sans incidence sur l’acte initial. Ainsi, le raisonnement de la cour est doublement verrouillé pour écarter les moyens de la requérante.
Après avoir ainsi délimité l’objet du litige au seul arrêté portant obligation de quitter le territoire, la cour procède à l’examen de sa légalité propre en confirmant une application pragmatique des garanties procédurales.
II. La confirmation d’une application pragmatique des garanties procédurales
La cour valide la procédure suivie par l’administration en adoptant une interprétation circonstanciée du droit d’être entendu (A) et en procédant à une évaluation concrète de l’absence d’erreur de fait (B).
A. Une conception finaliste du droit d’être entendu
La requérante invoquait la violation du principe du contradictoire, au motif qu’elle n’avait pas été mise en mesure de présenter ses observations avant l’édiction de la mesure d’éloignement. La cour rejette ce moyen en considérant que l’intéressée « ne pouvait cependant ignorer, en sollicitant l’asile sur le territoire français, qu’en cas de rejet de sa demande, elle serait susceptible de faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ». Ce faisant, le juge considère que la procédure de demande d’asile emporte en elle-même une information suffisante sur les conséquences d’un rejet. Il ne s’agit pas d’une négation du droit d’être entendu, mais d’une appréciation de ses modalités au regard du contexte. En l’absence d’allégation selon laquelle l’administration aurait refusé un entretien ou empêché l’intéressée de s’exprimer, la cour estime que la garantie a été respectée dans son esprit. Cette approche pragmatique évite de paralyser l’action administrative par des exigences formelles excessives dans le cadre de procédures standardisées dont l’issue est prévisible pour le demandeur.
B. L’appréciation concrète de l’erreur de fait
Un autre moyen soulevé concernait une prétendue erreur de fait sur la nationalité de la requérante, que le préfet avait considérée comme russe alors qu’elle était géorgienne. La cour écarte cet argument en relevant que l’intéressée s’était initialement présentée comme russe et n’avait produit son passeport géorgien qu’au stade du tribunal. De surcroît, elle ne contestait pas l’hypothèse d’une double nationalité. Le juge en déduit l’absence d’erreur de fait et, par voie de conséquence, l’absence d’un défaut d’examen de sa situation personnelle. Cette solution illustre que le juge administratif apprécie l’erreur de fait au regard des informations dont disposait l’administration au moment de sa décision et de la diligence de l’administré à fournir des informations exactes. L’examen de la situation personnelle n’est jugé défaillant que si l’administration a commis une erreur manifeste ou a ignoré des éléments essentiels portés à sa connaissance en temps utile, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.