Cour d’appel administrative de Marseille, le 25 avril 2025, n°24MA01522

Par un arrêt en date du 25 avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé les contours de l’obligation pesant sur l’employeur en matière de décompte du temps de travail pour les salariés ne suivant pas un horaire collectif. À la suite d’un contrôle ayant révélé des manquements, l’administration du travail a infligé une amende administrative à une société pour ne pas avoir assuré un suivi individuel et quotidien de la durée du travail de vingt-six de ses salariés. Le système de l’entreprise reposait sur un planning prévisionnel, amendé ponctuellement en cas d’absence, mais ne prévoyait pas un enregistrement par les salariés de leurs heures effectives de début et de fin de poste.

Saisi par la société, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d’annulation de la sanction par un jugement du 30 mai 2024. L’employeur a interjeté appel de cette décision, soutenant que son système de décompte était fiable et conforme aux dispositions du code du travail, lesquelles ne prévoient aucun formalisme particulier. Il arguait également qu’une interprétation plus stricte de ces textes méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines, faute de prévisibilité suffisante. Le problème de droit soumis à la cour était donc de déterminer si un dispositif de suivi du temps de travail fondé sur un planning prévisionnel, sans enregistrement factuel et quotidien des heures accomplies, satisfait aux exigences légales d’objectivité, de fiabilité et d’accessibilité.

La cour administrative d’appel rejette la requête de la société. Elle juge que le système mis en place, en ne permettant pas un décompte précis des heures de travail réellement effectuées par chaque salarié, ne répond pas aux exigences des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail. La cour estime par ailleurs que cette interprétation des textes ne contrevient pas au principe de légalité des peines, car l’obligation d’assurer un décompte effectif est une exigence prévisible pour un professionnel.

I. L’exigence d’un décompte effectif et non simplement prévisionnel du temps de travail

A. La caractérisation d’un système de suivi lacunaire

La cour administrative d’appel analyse de manière concrète le dispositif de suivi du temps de travail mis en œuvre par la société requérante. Elle constate que celui-ci repose principalement sur un « planning hebdomadaire prévisionnel et collectif de travail », lequel peut être corrigé dans certaines hypothèses mais ne constitue pas un outil d’enregistrement des heures effectives. Les juges du fond relèvent en effet qu’il « n’est toutefois pas prévu que les salariés y reportent quotidiennement leurs heures effectives de début et de fin de période de travail, ni le relevé du nombre d’heures de travail accomplies ». Cette absence de saisie quotidienne et factuelle par les salariés eux-mêmes est déterminante dans l’appréciation de la cour.

De surcroît, le caractère lacunaire du dispositif est renforcé par la gestion des temps de pause. La juridiction note que la société ne fournit aucune indication sur la manière dont les pauses sont réellement relevées, se contentant d’une déduction forfaitaire fondée sur une programmation préalable. La cour conclut que, dans ces conditions, le système ne permet pas de garantir la traçabilité des heures de travail réellement accomplies. Par conséquent, il « manque de précision et ne peut être regardé comme objectif, fiable et accessible », en méconnaissance des obligations découlant du code du travail.

B. La confirmation d’une obligation de fiabilité pesant sur l’employeur

En jugeant le dispositif de l’entreprise non conforme, la cour rappelle que l’obligation de décompte du temps de travail est une obligation de résultat qui incombe à l’employeur. Si la loi autorise une certaine souplesse quant aux moyens utilisés, elle n’en exige pas moins que le système choisi garantisse un suivi rigoureux et fidèle à la réalité. La décision précise que la forme du dispositif ou la participation du salarié à son élaboration sont secondaires par rapport à sa capacité à remplir sa fonction première. Le critère essentiel est celui de la fiabilité du décompte produit.

Cette solution s’inscrit dans une logique de protection du salarié, pour qui le décompte des heures de travail conditionne le respect de ses droits en matière de durée maximale du travail, de repos et de rémunération. L’arrêt souligne que la simple mise à disposition d’un planning, même amendable, ne suffit pas à libérer l’employeur de sa responsabilité. Il lui appartient de s’assurer que les heures de travail effectives sont précisément et quotidiennement enregistrées, que ce soit par un système d’enregistrement automatique ou par un relevé déclaratif fiable et contrôlable.

II. La portée maîtrisée du principe de légalité face à l’obligation de contrôle du travail

A. Le rejet d’une interprétation extensive du principe de légalité

La société requérante invoquait le principe de légalité des délits et des peines pour contester la sanction administrative. Elle soutenait que l’administration, en exigeant un formalisme non explicitement prévu par les textes, avait créé une nouvelle norme de manière imprévisible. La cour écarte cet argument en rappelant la finalité des dispositions du code du travail. Celles-ci visent à assurer un décompte fiable du temps de travail, ce qui implique nécessairement la mesure du travail *effectivement* réalisé.

Les juges estiment que l’exigence d’un système « objectif, fiable et accessible » est suffisamment claire pour qu’un professionnel puisse raisonnablement anticiper que son manquement est sanctionnable. La cour juge ainsi que l’administration n’a fait qu’appliquer les textes existants à une situation factuelle. Elle n’a pas « ajouté, de façon imprévisible, des exigences formelles aux dispositions applicables ». Cette motivation réaffirme que le principe de légalité n’interdit pas à l’administration de préciser les modalités d’application d’une norme, dès lors que cette précision découle logiquement de l’objectif poursuivi par le législateur.

B. La consolidation du pouvoir de sanction de l’administration

En validant la sanction prononcée par le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, l’arrêt confirme la pleine compétence de l’administration pour contrôler et sanctionner les manquements des employeurs à leurs obligations. La décision revêt une portée pédagogique pour les entreprises qui emploient des salariés à horaires individualisés. Elle les incite à mettre en place des systèmes de suivi du temps de travail qui vont au-delà de la simple planification et qui assurent une traçabilité incontestable des heures accomplies.

Bien qu’il s’agisse d’une décision d’espèce, rendue au regard des faits particuliers du litige, sa motivation est suffisamment générale pour servir de guide. Elle rappelle que la liberté laissée à l’employeur dans le choix des modalités de décompte n’est pas absolue et trouve sa limite dans l’impératif de fiabilité. La solution retenue s’inscrit ainsi dans une jurisprudence constante visant à garantir l’effectivité des règles relatives à la durée du travail, lesquelles constituent un élément essentiel de l’ordre public social.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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