Par un arrêt en date du 25 février 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé. En l’espèce, un ressortissant étranger souffrant de plusieurs pathologies graves, dont une apnée du sommeil sévère nécessitant une assistance ventilatoire, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour. Sa demande se fondait sur la nécessité d’une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité.
L’autorité préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté du 24 avril 2023, lui faisant obligation de quitter le territoire français. Cette décision administrative s’appuyait sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, lequel estimait que le demandeur pouvait bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Nice, qui a rejeté sa requête par un jugement du 9 janvier 2024. Il a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’accès effectif aux soins n’était pas garanti dans son pays et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Le problème de droit soulevé devant le juge d’appel portait donc sur l’étendue du contrôle exercé sur l’appréciation de l’autorité administrative quant à l’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine. Il s’agissait de déterminer si un étranger, confronté à un avis médical défavorable de l’OFII, pouvait renverser cette appréciation en se fondant sur des certificats médicaux et des considérations générales relatives au système de santé de son pays. De surcroît, la Cour devait évaluer si l’intégration professionnelle de l’intéressé pouvait, à elle seule, caractériser une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que les éléments produits par l’appelant ne permettent pas d’établir qu’il ne pourrait « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans son pays d’origine, confirmant ainsi l’appréciation du préfet. Elle considère également que, malgré une intégration professionnelle certaine, l’absence de maîtrise de la langue française et la persistance d’attaches familiales dans son pays d’origine empêchent de conclure à une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour confirme ainsi une approche rigoureuse de l’examen des conditions d’admission au séjour (I), dont la portée révèle une interprétation pragmatique des droits de l’étranger (II).
I. La confirmation d’une application rigoureuse des conditions d’admission au séjour
La décision de la Cour administrative d’appel s’inscrit dans une logique de contrôle strict des motifs justifiant la délivrance d’un titre de séjour. Elle valide l’appréciation portée sur la situation médicale de l’étranger en appliquant rigoureusement les règles de preuve (A) et adopte une lecture restrictive des critères d’atteinte à la vie privée et familiale (B).
A. Le contrôle de la charge de la preuve en matière d’accès effectif aux soins
L’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fonde le droit au séjour sur l’impossibilité pour l’étranger de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. La Cour rappelle le mécanisme probatoire applicable en la matière. L’avis du collège de médecins de l’OFII constitue un élément central, créant une présomption quant à la situation médicale et à l’offre de soins. En l’espèce, cet avis étant défavorable au requérant, il incombait à ce dernier de renverser cette présomption.
Le juge se livre à un examen concret des pièces versées au dossier pour contester cet avis. Il écarte les certificats des médecins français, au motif qu’ils ne démontrent pas l’impossibilité d’un traitement au Nigéria. Plus significativement, il rejette les attestations de médecins nigérians qui, tout en recommandant la poursuite des soins en France « essentiellement en raison du coût des traitements », n’établissent pas l’absence de disponibilité du suivi approprié. L’argument économique est ainsi jugé insuffisant pour caractériser l’absence d’accès effectif aux soins. De même, un article généraliste sur le système de santé local est jugé trop imprécis pour prouver l’impossibilité d’acquérir l’équipement médical nécessaire. Cette motivation illustre l’exigence d’une preuve directe et circonstanciée de l’indisponibilité du traitement.
B. L’appréciation restrictive de l’atteinte à la vie privée et familiale
Le second fondement de l’argumentation du requérant reposait sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour procède à une mise en balance des intérêts en présence, en examinant la situation personnelle de l’étranger. Elle reconnaît une intégration professionnelle, l’appelant cumulant deux emplois en contrat à durée déterminée. Toutefois, ce seul élément est jugé insuffisant pour emporter la conviction du juge et caractériser une atteinte disproportionnée.
La Cour oppose à cette intégration plusieurs éléments factuels qui en minorent la portée. Elle relève que l’intéressé, arrivé en France à l’âge de quarante-deux ans, a vécu la majeure partie de son existence dans son pays d’origine. Surtout, elle souligne qu’il « ne parle pas la langue française, en dépit d’une présence en France depuis six ans ». Cet élément est considéré comme un obstacle majeur à une intégration complète. Enfin, la Cour retient que l’étranger n’est pas dépourvu d’attaches familiales au Nigéria, faisant référence à la mention de deux enfants vivant dans ce pays dans un compte rendu d’hospitalisation. La combinaison de ces facteurs conduit le juge à écarter l’existence d’une ingérence excessive dans le droit au respect de la vie privée et familiale.
II. La portée d’une décision illustrant le pragmatisme du juge administratif
Au-delà de la solution d’espèce, l’arrêt éclaire sur la manière dont le juge administratif conçoit les notions d’accès effectif aux soins et d’intégration. Il en ressort une conception exigeante de la condition d’indisponibilité du traitement (A), qui se double d’une hiérarchisation des critères d’intégration où les attaches personnelles l’emportent sur la seule insertion par le travail (B).
A. Une conception exigeante de l’indisponibilité du traitement dans le pays d’origine
L’arrêt apporte une précision importante sur la notion de « traitement approprié » dont un étranger pourrait « bénéficier effectivement ». En écartant les certificats médicaux qui évoquaient le coût des soins comme un obstacle, la Cour semble distinguer la disponibilité d’un traitement de son accessibilité financière. La décision suggère que la charge de la preuve pesant sur le requérant ne se limite pas à démontrer l’inexistence d’une offre de soins, mais s’étend à la démonstration de l’impossibilité matérielle d’y accéder, ce qui n’était pas suffisamment établi en l’espèce.
Cette interprétation place la barre probatoire à un niveau élevé pour les demandeurs. Elle implique qu’un traitement, même onéreux, est considéré comme accessible dès lors qu’il existe dans le pays de renvoi. Une telle approche, si elle est juridiquement fondée sur une lecture littérale du texte, peut avoir des conséquences pratiques considérables. Elle contraint les étrangers à fournir des preuves très spécifiques non seulement sur l’offre de soins, mais aussi sur l’impossibilité absolue, pour eux, d’y accéder, y compris pour des raisons financières. L’arrêt confirme ainsi une tendance jurisprudentielle qui refuse de faire de la situation économique de l’étranger un critère déterminant de l’accès effectif aux soins.
B. La primauté accordée aux attaches familiales et linguistiques sur l’intégration professionnelle
En matière de droit au respect de la vie privée et familiale, la décision est révélatrice des critères que le juge administratif privilégie pour évaluer le degré d’intégration d’un étranger. Alors que le requérant mettait en avant une intégration sociale et professionnelle réussie, la Cour choisit de mettre l’accent sur d’autres aspects de sa situation personnelle. La non-maîtrise de la langue française après six ans de présence sur le territoire est retenue comme un indice d’une intégration incomplète.
Cette approche confirme que l’insertion par le travail, bien qu’étant un élément important, ne suffit pas à constituer un centre des intérêts privés et familiaux en France lorsque d’autres facteurs pointent vers un maintien des liens avec le pays d’origine. La mention d’attaches familiales, même si elle se fonde sur un document ancien, pèse lourdement dans la balance. La décision rappelle ainsi que l’appréciation de l’intégration est globale et que les attaches personnelles et la maîtrise de la langue demeurent des critères prépondérants pour le juge administratif, limitant la portée d’une intégration purement économique et professionnelle.